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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 162

Le jeudi 23 novembre 2023
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le jeudi 23 novembre 2023

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La ville de Montréal

L’honorable Tony Loffreda : Merci, madame la Présidente.

Honorables sénateurs, je prends la parole pour partager quelques‑uns des résultats issus de l’analyse qu’a récemment publiée l’Institut du Québec en collaboration avec Montréal International et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Parue le mois dernier et intitulée Comparer Montréal, cette étude évalue l’état de la métropole et la compare avec 14 autres villes nord-américaines de taille et d’importance semblables, en analysant six indicateurs, dont la qualité de vie, l’activité économique, la croissance économique et l’environnement.

[Traduction]

Ce qui ressort surtout de ce rapport, c’est que Montréal est première de classe sur le plan de la qualité de vie et qu’elle se démarque sur le plan du logement abordable, la proportion des gens qui consacrent au moins 30 % de leur revenu pour le logement y étant moins élevée que dans d’autres villes. Elle compte aussi la plus faible proportion d’habitants vivant sous le seuil de la pauvreté. Avec Toronto et Vancouver, Montréal compte parmi les trois villes où le taux d’homicides est le plus bas. Elle a aussi le plus faible taux d’inégalité des revenus.

Comme le rapport le laisse entendre, la qualité de vie est un facteur clé qui renforce le rôle de locomotive économique de la ville, ce qui attire les entreprises, les talents et les immigrants qui assureront sa croissance. Sur le plan économique, Montréal reste dans la deuxième moitié du peloton, mais il y a des signes encourageants. Le rapport présente deux éléments importants qu’il faudrait prioriser afin d’accroître l’activité économique.

Premièrement, nous devons améliorer notre productivité. Je l’ai déjà dit à maintes reprises. C’est d’ailleurs l’un des points soulevés dans notre récent rapport du Comité des banques sur l’économie canadienne. Ce n’est pas l’apanage de Montréal. Le Canada souffre d’un important déficit de productivité par rapport aux États-Unis.

Deuxièmement, même si elle est une destination attrayante sur le plan des études postsecondaires avec ses établissements de classe mondiale tant francophones qu’anglophones, Montréal doit augmenter son taux de travailleurs éduqués et qualifiés. À ce sujet, Montréal s’est hissée parmi les cinq premières villes au chapitre du nombre de diplômés en sciences, en technologies, en génie ou en mathématiques, ce qui l’a certainement aidée à gravir deux échelons afin de se classer au sixième rang sur le plan de l’innovation.

[Français]

Bien que l’étude dépeigne un portrait encourageant, il est clair qu’on peut faire mieux. Le rapport propose certaines pistes d’action pour améliorer l’économie montréalaise et pour faire en sorte que Montréal atteigne son plein potentiel.

Honorables sénateurs, je me réjouis de cette performance qui place Montréal comme une destination de choix pour les entrepreneurs, les immigrants et les capitaux étrangers. Qui plus est, Montréal demeure la ville où il fait bon vivre.

Merci. Meegwetch.

[Traduction]

La violence faite aux femmes

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, en 2017, le gouvernement Trudeau a lancé sa politique étrangère féministe et s’est vanté que le Canada se porterait à la « défense de l’égalité des sexes ».

Il semble toutefois que le gouvernement ne faisait que jeter de la poudre aux yeux avec cette politique et les déclarations concernant l’application d’une optique féministe à notre politique étrangère. Lorsqu’il est temps de prendre des mesures concrètes et de faire preuve de leadership, le Canada brille par son absence.

Je parle, chers collègues, du silence assourdissant face aux preuves de plus en plus nombreuses de viols et d’horribles actes de violence sexuelle commis par le Hamas contre des femmes israéliennes juives innocentes le 7 octobre et du refus de reconnaître que ces actes ont même eu lieu.

Le Hamas n’a pas hésité à commettre ces crimes odieux. Il a filmé et publié des vidéos, y compris une vidéo qui montre des membres du Hamas en train d’exhiber une jeune Israélienne kidnappée, dont le pantalon était maculé de sang, dans les rues de Gaza.

Des terroristes du Hamas ont également admis avoir commis ces atrocités lors d’interrogatoires policiers qui sont désormais publics. Dans d’autres cas, des témoins oculaires ont courageusement raconté les horreurs qu’ils ont vues. Une femme a dit qu’elle a vu son amie se faire violer par plusieurs hommes et se faire couper les seins. Elle a ensuite expliqué que certains terroristes du Hamas ont commencé à jouer avec le sein coupé tandis que d’autres ont poursuivi le viol collectif jusqu’à ce que l’un d’entre eux tire une balle dans la tête de la femme alors qu’il était encore en train de la violer.

Les ambulanciers et les premiers répondants israéliens qui ont découvert les scènes horrifiantes de corps jonchant le sol de villages à la frontière israélienne ont vu de jeunes femmes — dont certaines de jeunes adolescentes — au bas du corps dénudé et portant des marques de viol.

D’autres ont parlé de femmes ayant le pelvis fracturé tant l’agression sexuelle qu’elles avaient subie était violente. Mais, pour une raison inconnue et en dépit de notre politique étrangère féministe, la ministre responsable n’a pas encore formulé de commentaires au sujet de ces crimes.

Malheureusement, à mesure que ces détails font surface, aucune de nos collègues au Parlement et aucun député n’a, à ma connaissance, dénoncé le Hamas pour avoir enfreint la loi internationale en utilisant le viol comme arme de guerre et en ciblant de jeunes femmes innocentes de la sorte.

Pire, on voit des élus provinciaux et municipaux, ainsi que des universitaires et même des responsables de centres universitaires d’aide aux victimes d’agressions sexuelles signer des déclarations niant les viols et les agressions sexuelles perpétrées par le Hamas.

Le déni est une chose que le peuple juif ne connaît que trop.

Où sont tous ceux qui parlent de prendre la défense des femmes? Pourquoi personne n’a pris la parole à ce sujet dans cette enceinte? Le silence des nombreux parlementaires et ministériels qui prétendent être des défenseurs des droits des femmes constitue une abdication de responsabilité, qui permet au Hamas de commettre ses crimes innommables en toute impunité.

Ce silence envoie aux membres de la communauté juive du Canada le message que l’actuel gouvernement féministe ne se soucie pas le moindrement de leurs familles à l’étranger.

En omettant de publier de fermes condamnations, on permet au déni de se répandre dans les rues et dans les médias sociaux. Résultat : les femmes juives, jeunes et vieilles, se sentent menacées et considérées insignifiantes.

Chers collègues, nous pouvons et nous devons faire mieux. Merci.

L’usine Soileos

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, j’aimerais aujourd’hui souligner la grande ouverture de l’usine d’engrais durable AGT Soleios à Rosetown, en Saskatchewan. Voilà qui illustre bien l’esprit d’innovation de ma merveilleuse province et son intérêt pour le développement durable. La nouvelle usine, qui a ouvert ses portes le 11 octobre, est le résultat d’un partenariat entre AGT Foods et Lucent BioSciences. La supergrappe des industries des protéines du Canada a aussi contribué au projet.

Cette nouvelle installation est à la fine pointe de la technologie et mise sur le développement durable, la séquestration du carbone et les principes de l’économie circulaire; un véritable modèle d’agriculture moderne, quoi. Soileos est un exemple de fertilisation optimisée, car elle fera un meilleur usage des micronutriments afin de produire plus avec la même quantité d’engrais azoté, autrement dit d’en faire plus avec moins. Avec ses produits, qui prennent la forme de granules, Soileos utilise des sous-produits de déchets et les réintroduit dans le sol pour favoriser la croissance de la récolte suivante en liant les micronutriments à la cellulose et en tirant parti de la capacité biologique naturelle de relâchement des nutriments dans le sol.

Le principal avantage de la gamme de produits Soileos, c’est qu’elle permettra de réduire l’intensité carbonique de la production agricole. Le milieu agricole a eu d’excellentes idées pour le climat, à commencer par les cultures-abris, la culture sans labours, le pâturage en rotation et la culture intercalaire.

Le soutien d’initiatives comme Soileos cadre bien avec l’objectif du Canada de garantir un avenir plus vert et durable. Grâce à la synergie entre le gouvernement, l’industrie et la collectivité, nous pouvons créer des débouchés pour les générations futures, protéger notre environnement et veiller à ce que la Saskatchewan demeure une province prospère et résiliente.

Honorables collègues, la nouvelle usine d’engrais durable AGT Soleios est plus qu’une simple usine. Elle est le symbole de notre engagement commun en faveur d’une gestion responsable des terres, de la durabilité environnementale et du bien-être de nos collectivités. Cette installation illustre le potentiel de croissance économique tout en respectant notre précieux environnement. En utilisant des technologies de pointe et des pratiques durables, Soileos a montré que le progrès et la durabilité peuvent aller de pair. Merci. Hiy kitatamihin.

(1410)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Fiona et Mark Harper. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Deacon (Ontario).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Les établissements d’enseignements sûrs

L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, je suis reconnaissante qu’on m’ait donné l’occasion, à la dernière minute, d’intervenir aujourd’hui au sujet d’une question que je souhaitais aborder depuis un moment déjà.

J’aimerais revenir à juin dernier. Peu de temps après que le Sénat a fait relâche pour l’été, les étudiants qui assistaient à un cours en études des genres au pavillon Hagey, au campus de l’Université de Waterloo, ont été victimes d’une attaque planifiée et ciblée.

L’accusé, un jeune diplômé de l’Université de Waterloo, a poignardé et blessé trois personnes, qui ont dû être envoyées à l’hôpital pour être soignées. Heureusement, toutes les victimes se sont rétablies sur le plan physique. Cette attaque a violemment ébranlé la communauté universitaire, particulièrement les membres de la communauté LGBTQ2+ qui célébraient activement le Mois de la fierté.

Dans les jours qui ont suivi le drame, il a été confirmé qu’il s’agissait d’un geste haineux lié à l’expression et à l’identité de genre. Approximativement 40 étudiants se trouvaient dans la salle lorsque les victimes, une professeure associée de 38 ans de Kitchener et deux étudiants, respectivement de 19 et 20 ans, ont été poignardées.

J’ai eu l’occasion de converser avec des étudiants réunis à des tables de pique-nique placées en cercle au pavillon Hagey deux jours après le drame. J’ai écouté les étudiants exprimer, de façon très éloquente, leur peine, leur stupeur et leur colère.

Universités Canada, une association qui représente des universités à l’échelle du Canada, a condamné cette violence. Voici un extrait de son communiqué :

[...] il est d’autant plus inquiétant de constater que cet acte motivé par la haine ciblait l’expression et l’identité de genre de même que les personnes marginalisées de la collectivité.

Voici ce qu’a déclaré Aimée Morrison, professeure associée au département d’anglais de l’Université de Waterloo :

Ces agressions m’ont fendu le cœur et m’ont terrifiée. Elles ont eu lieu dans un édifice où je travaille tous les jours. J’enseigne dans cette salle de classe. Je donne moi-même des cours semblables. Nous sommes tous moins en sécurité à cause de ce qui s’est passé.

Les semaines suivantes, cet événement a fait réagir et suscité beaucoup de réflexions et de discussions. Les établissements d’enseignement postsecondaire doivent demeurer des lieux de discussion ouverts et protéger les groupes marginalisés qui se retrouvent au cœur d’enjeux et de débats polarisants.

Comme on le sait, la liberté d’explorer les différences et de remettre en question les idées traditionnelles est l’un des fondements mêmes des universités et des collèges. Toutefois, une chose est certaine au Canada : la liberté d’expression ne donne pas le droit d’être violent ou d’inciter à la violence.

Bien qu’il soit encore très rare, l’horrible événement qui s’est produit à Waterloo nous apprend que les nouvelles idées, les discussions franches et les débats peuvent engendrer de la violence, surtout lorsqu’ils se combinent aux débats politiques récents sur les droits des jeunes LGBTQ2+ dans les écoles. Les universités et les collèges agissent en étant conscients que ces jeunes font de plus en plus souvent l’objet d’agressions au Canada dans divers contextes.

Chers collègues, je vous invite à réfléchir à ce qui s’est produit. Les opinions que nous exprimons ont souvent des conséquences imprévues sur la vie concrète de certaines personnes. Nous devons faire en sorte que tous les établissements d’enseignement — ainsi que le Sénat — soient des lieux d’éducation sûrs, accueillants et inclusifs.

L’honorable Leo Housakos

Félicitations pour avoir reçu l’Ordre arménien de l’amitié

L’honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, en ces jours difficiles dans cette enceinte, je prends la parole pour vous annoncer une bonne nouvelle concernant l’un de nos collègues.

En début de semaine, le président de la République d’Arménie a décerné au sénateur Leo Housakos l’Ordre de l’amitié pour sa contribution au resserrement des liens entre l’Arménie et le Canada et pour son dévouement à la défense des valeurs humaines universelles.

L’Ordre arménien de l’amitié est décerné en reconnaissance d’une contribution importante à la promotion de la compréhension mutuelle dans les domaines politique, scientifique, éducatif, culturel et religieux.

Avant la cérémonie de remise, le président a passé près d’une heure à discuter des points suivants avec le sénateur Housakos : les relations entre le Canada et l’Arménie, la situation politique dans la région et la reconnaissance que les Arméniens éprouvent à l’égard du Canada pour l’ouverture de la première ambassade canadienne en Arménie, il y a quatre ou cinq semaines.

Après la rencontre avec le président, nous avons été informés que le premier ministre de la République d’Arménie souhaitait également rencontrer le sénateur Housakos et le reste de la délégation canadienne à la réunion de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Le premier ministre a souligné le soutien du Canada aux institutions démocratiques de ce pays et la décision du gouvernement canadien de participer à la mission civile de l’Union européenne en Arménie.

Parlant de nos relations diplomatiques, je sais que les pages du Sénat seront particulièrement intéressés par ceci : il s’avère que le premier ambassadeur du Canada en Arménie est un ancien page du Sénat. Il se peut que nous ayons parmi nous aujourd’hui de futurs ambassadeurs.

Avant sa nomination, l’ambassadeur Andrew Turner siégeait au Sénat lors du débat sur la reconnaissance du génocide arménien, à la suite duquel le Canada a été l’un des premiers pays à reconnaître le génocide — une décision controversée à l’époque. M. Turner est notre ambassadeur en Arménie, il connaît donc certainement l’histoire de ce pays.

Chers collègues, tout au long de son engagement dans des dossiers internationaux, le sénateur Housakos a toujours défendu la démocratie en Arménie — qui se trouve dans une région du monde où il y a peu de démocraties. Son travail continu auprès des Canadiens d’origine arménienne a été essentiel pour inciter le gouvernement du Canada à y établir une ambassade.

Ce prix lui a été décerné en reconnaissance de ce qu’il a fait pour le Canada et nos relations internationales. Ce fut un honneur pour lui personnellement. Je dois dire que c’était la première fois que je le voyais à court de mots. Il n’a dit que quelques mots et était très ému. Ce fut une très belle cérémonie.

Ce fut un honneur pour le Sénat canadien, un exemple de l’influence que les sénateurs peuvent avoir sur les politiques publiques.

Merci, chers collègues.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

Transports et communications

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final sur l’étude de l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté le jeudi 10 février 2022, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des transports et des communications concernant son étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans les secteurs des transports et des communications et les répercussions corrélatives sur leurs interdépendances soit reportée du 30 novembre 2023 au 30 novembre 2024.


[Français]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Régie interne, budgets et administration

Les travaux du comité

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Ma question s’adresse à la présidente du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Madame la présidente, combien coûte le fonctionnement du Sénat pendant une quinzaine de minutes ou même une heure d’arrêt pour le vote? Avez-vous ces données?

L’honorable Lucie Moncion : Merci pour la question, sénatrice Mégie. Je n’ai pas cette information, mais je pourrais vous la fournir.

Ce que je peux vous donner comme information, c’est que, pendant tout le temps qu’une cloche sonne, tous les sénateurs et tout le personnel sont en attente de la reprise de la séance. Il y a probablement entre 150 et 200 personnes qui sont en attente, ce qui fait en sorte qu’il y a des coûts qui sont assumés, que ce soit en matière de salaires ou d’heures supplémentaires.

Maintenant, on peut poser la question aux gens de l’administration, qui pourront possiblement nous fournir des chiffres un peu plus exacts.

(1420)

[Traduction]

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : J’aimerais poser une question complémentaire à la présidente du Comité de la régie interne, si elle accepte d’y répondre. Merci.

Pendant que vous y êtes, sénatrice Moncion, vous pourriez aussi vous informer sur les effets et les conséquences de faire retentir la sonnerie pendant 15 minutes ou de passer immédiatement à un vote lorsque des comités sont en réunion et que des sénateurs ne sont pas en mesure de venir ici parce que nous avons des obligations à remplir un peu partout dans la Cité parlementaire. Lorsque vous nous indiquerez les chiffres, vous pourriez peut-être aussi nous expliquer quelques-unes des raisons pour lesquelles il y aurait une sonnerie d’une heure au lieu d’un vote immédiat ou d’une sonnerie de 15 minutes. Merci.

La sénatrice Moncion : Je n’ai pas de réponse pour l’instant, alors nous allons nous renseigner, puis vous fournir la réponse, sénateur Plett.


ORDRE DU JOUR

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Premier rapport du comité—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l’étude du premier rapport du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, intitulé Examen d’un rapport d’enquête du conseiller sénatorial en éthique, présenté au Sénat le 21 novembre 2023.

L’honorable Judith G. Seidman propose que le rapport soit adopté.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au nom du Comité sénatorial permanent de l’éthique et des conflits d’intérêts des sénateurs au sujet de son premier rapport, qui présente les observations et les recommandations du comité à propos du rapport d’enquête du conseiller sénatorial en éthique sur la conduite du sénateur Michael L. MacDonald.

Le rapport d’enquête porte sur la conduite du sénateur MacDonald dans la soirée du 16 février 2022, lorsqu’il a adressé à un citoyen des commentaires qui ont été enregistrés et diffusés sur les médias sociaux et les médias nationaux. Au cours du mois qui a suivi, des sénateurs ont adressé au conseiller sénatorial en éthique neuf demandes visant la tenue d’une enquête afin de déterminer si, ce soir-là, le sénateur MacDonald avait manqué à ses obligations aux termes du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.

Le conseiller sénatorial en éthique a entrepris un examen préliminaire et, le 21 juin 2022, il a informé le sénateur MacDonald qu’il mènerait une enquête sur l’affaire. Le 18 juillet 2023, le conseiller sénatorial en éthique a remis son rapport d’enquête à votre comité, qui a déposé le rapport auprès du greffier du Sénat le même jour. Dès lors, le rapport est devenu un document public.

Dans son rapport d’enquête, le conseiller sénatorial en éthique a conclu que la conduite du sénateur MacDonald a contrevenu aux paragraphes 7.1(1) et 7.1(2) du code en raison des propos et du langage qu’il a tenus lorsqu’il s’est adressé au citoyen en question pendant cette soirée de février. En outre, le conseiller sénatorial en éthique a jugé que le sénateur MacDonald a enfreint les paragraphes 48(7), 7.1(1) et 7.1(2) ainsi que l’article 7.2 et du code à cause de son manque de collaboration tout au long du processus d’enquête.

Après avoir reçu le rapport du conseiller sénatorial en éthique, votre comité s’est réuni rapidement, comme l’exige le code, le 4 août 2023, pour commencer son étude, qui est la principale priorité du comité depuis cette date. Votre comité s’est réuni huit fois pour examiner le rapport d’enquête, a rencontré le sénateur MacDonald, s’est penché sur ses observations écrites et orales, a convenu des sanctions appropriées et a préparé sans tarder le présent rapport.

Avant de passer aux recommandations énoncées dans le rapport, il est important de vous informer que cette étude est le fruit d’un travail très sérieux et d’un examen minutieux de la part de tous les membres du comité. Le rapport reflète les opinions et les conclusions de votre comité.

Je tiens également à souligner que l’examen du rapport d’enquête du conseiller sénatorial en éthique par votre comité et l’examen des recommandations du comité par le Sénat lui-même font partie du processus d’application global énoncé dans le code. Le code indique clairement qu’à la suite d’une enquête, seul le conseiller sénatorial en éthique détermine si un sénateur a manqué à ses obligations au titre du code. Dans le cadre de son examen, votre comité est également censé donner au sénateur qui fait l’objet de l’enquête l’occasion de se faire entendre. Lorsque le conseiller sénatorial en éthique conclut qu’un sénateur a enfreint le code, on s’attend à ce que votre comité recommande des mesures correctives ou des sanctions appropriées et qu’il présente ces recommandations au Sénat.

La dernière étape, c’est l’examen du rapport et des recommandations de votre comité par le Sénat. Il incombe au Sénat d’exercer le pouvoir final et exclusif en ce qui concerne les mesures correctives et les sanctions.

Cette dernière étape commence aujourd’hui.

Il importe de rappeler aux honorables sénateurs que le Règlement du Sénat fixe des délais précis pour l’étude des rapports du comité qui concernent un sénateur. Ces règles visent à garantir une réponse rapide de la part du Sénat ainsi que le respect du droit du sénateur qui fait l’objet du rapport à être entendu. Par conséquent, la motion portant adoption du rapport présentée aujourd’hui ne peut pas être mise aux voix avant le cinquième jour de séance suivant la présentation de la motion, à moins que le sénateur qui fait l’objet du rapport se soit exprimé.

Le Règlement prévoit aussi que le Sénat doit prendre une décision sur le rapport au plus tard le 15e jour de séance suivant la présentation de la motion visant son adoption.

Dans son rapport d’enquête, le conseiller sénatorial en éthique fait état de deux infractions au code. Premièrement, il conclut que, pendant la soirée du 16 février 2022, le sénateur MacDonald n’a pas « adopt[é] une conduite qui respecte les normes les plus élevées de dignité inhérentes à la charge de sénateur », comme l’exige le paragraphe 7.1(1) du code. Il conclut aussi que le sénateur Macdonald ne s’est pas :

[abstenu] de tout acte qui pourrait déprécier la charge de sénateur ou l’institution du Sénat.

 — comme l’exige le paragraphe 7.1(2) du code.

Il est important de rappeler à tous les honorables sénateurs, en particulier à ceux qui ont récemment été nommés au Sénat, que l’article 7.1 fait partie d’une série de modifications qui ont été adoptées par le Sénat entre 2008 et 2014 pour réaffirmer son engagement de même que celui de chaque sénateur à respecter les normes de conduite les plus élevées.

Plus précisément, les modifications de 2014 ont établi des règles de conduite générale et de comportement éthique pour les sénateurs. À l’époque, le Sénat a renommé le document Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs afin de rappeler que le respect des normes de conduite les plus élevées exige davantage que la simple prévention des conflits d’intérêts.

Pour renforcer ce changement, le Comité sur l’éthique et les conflits d’intérêts a également émis une directive à l’intention du conseiller sénatorial en éthique, qui stipule :

Cette règle de conduite générale s’applique à toute conduite d’un sénateur, qu’elle soit ou non directement liée à ses fonctions parlementaires, pouvant être contraire aux normes les plus élevées de dignité inhérente à la charge de sénateur et/ou pouvant déprécier la charge de sénateur ou l’institution du Sénat.

Ces modifications et cette directive s’appliquent à la situation du sénateur MacDonald dans la mesure où les questions qui se posent dans son cas concernent le comportement éthique du sénateur, y compris dans sa vie personnelle et ses activités non sénatoriales. C’est ce qui a permis de conclure que la conduite du sénateur MacDonald le 16 février 2022 a enfreint les dispositions du code relatives à l’éthique.

Le conseiller sénatorial en éthique a également conclu que le refus du sénateur MacDonald de collaborer à l’enquête entrait en violation avec les paragraphes 7.1(1) et (2) du code. La conduite du sénateur MacDonald contrevenait en outre à l’article 7.2, qui dit que « [l]e sénateur exerce ses fonctions parlementaires avec dignité, honneur et intégrité ».

Le paragraphe 48(7), de son côté, précise que « [l]es sénateurs sont tenus de collaborer sans tarder avec le conseiller sénatorial en éthique dans toute enquête ».

(1430)

Honorables sénateurs, j’aimerais m’attarder légèrement sur la question de la collaboration. Ce n’est pas au comité d’établir si le sénateur MacDonald a enfreint le code ou pas, mais au conseiller sénatorial en éthique.

Le comité estime toutefois qu’il est de sa responsabilité de rappeler à tous les sénateurs la nature essentielle de la collaboration avec le conseiller sénatorial en éthique.

Le comité est conscient que, du moins au début, le sénateur MacDonald avait réellement mal compris ses obligations dans le cadre du processus d’enquête. Quoi qu’il en soit, tous les sénateurs sont censés comprendre les obligations et les devoirs que leur impose le code, y compris relativement au processus d’application. Qu’un sénateur ignore l’existence de ce processus ne lui permet pas de se soustraire à ses obligations, y compris celle de collaborer aux enquêtes. Le comité a constaté que, même si le conseiller sénatorial en éthique a maintes fois expliqué le processus au sénateur MacDonald, celui-ci a gardé le cap et refusé de collaborer.

Honorables sénateurs, le code est un instrument issu du Sénat lui-même. Il a été adopté afin de maintenir la dignité et l’intégrité inhérentes au poste de sénateur et d’éviter que les agissements des sénateurs ne nuisent à l’institution. Refuser de collaborer à une enquête équivaut à contester l’autorité du Sénat sur la conduite de ceux-là mêmes qui le composent.

Ayant considéré la nature et l’étendue des infractions constatées par le conseiller sénatorial en éthique, et ayant tenu compte des observations du sénateur MacDonald, le comité a ensuite entrepris de déterminer quelles seraient les mesures correctives ou les sanctions appropriées. Le code prévoit une liste non exhaustive de mesures ou de sanctions que le comité peut recommander au Sénat. Pour déterminer laquelle de ces mesures est appropriée dans les circonstances, le comité a appliqué les critères énoncés dans son cinquième rapport, publié en 2019, soit que le comité tienne compte de ce qui suit :

la gravité du manquement et son effet sur la capacité du sénateur de continuer à remplir ses fonctions parlementaires;

les répercussions du manquement sur d’autres sénateurs et sur l’honneur, la dignité et l’intégrité de l’institution du Sénat;

la confiance du public à l’égard du Sénat.

Ayant appliqué ces critères, le comité présente deux recommandations. Premièrement, il recommande que le Sénat ordonne au sénateur MacDonald de présenter des excuses sincères et sans réserve au Sénat pour avoir enfreint les paragraphes 7.1(1) et 7.1(2) du code relativement à sa conduite le 16 février 2022, et pour avoir enfreint les paragraphes 7.1(1) et 7.1(2), l’article 7.2 et le paragraphe 48(7) du code relativement à son manque de coopération dans l’enquête du conseiller sénatorial en éthique.

Nous recommandons également que le Sénat ordonne au sénateur MacDonald de publier ses excuses sur sa page Web du Sénat et sur son site Web personnel, ainsi que sur ses comptes de sénateur et ses comptes personnels dans les médias sociaux.

Recommander à un sénateur de s’excuser pour avoir manqué à ses obligations éthiques est une mesure qui n’a rien de nouveau ou d’inhabituel. Cette possibilité figure déjà dans la liste non exhaustive des mesures correctives et des sanctions qui sont prévues dans le code. Le comité a déjà formulé des recommandations semblables.

Votre comité recommande deuxièmement que le Sénat blâme le sénateur MacDonald pour avoir enfreint les paragraphes 7.1(1) et (2) du code relativement à sa conduite le 16 février 2022 et pour avoir enfreint les paragraphes 7.1(1) et (2), l’article 7.2 et le paragraphe 48(7) du code relativement à son manque de collaboration dans l’enquête du conseiller sénatorial en éthique.

Le blâme est l’un des moyens officiels que peut prendre un organe législatif pour désapprouver la conduite d’un de ses membres. Le blâme joue un rôle important au Sénat dans la mesure où il est consigné dans les comptes rendus officiels, où il rappelle les valeurs communes des sénateurs, où il permet de dénoncer certains comportements et où il vise à dissuader les autres sénateurs d’agir de la même façon. En adoptant cette sanction, le Sénat signifierait qu’il convient lui aussi, à l’instar du comité, que le sénateur MacDonald a manqué à ses devoirs de sénateur. Le blâme rappellerait en outre qu’il est important de respecter le code que tous les sénateurs se sont engagés à respecter.

Il convient de noter qu’en 2020 ce comité a recommandé le blâme dans des circonstances semblables, affirmant qu’avec l’adoption d’une telle sanction « le Sénat montrerait qu’il partage l’avis du comité, à savoir que le sénateur [...] ne s’est pas conduit de manière appropriée […] »

Dans le cas en question, le Sénat s’est rallié à la recommandation de blâme du comité.

En terminant, chers collègues, si vous n’avez pas encore lu les rapports du conseiller sénatorial en éthique et du comité, je vous encourage à le faire. Tous les sénateurs doivent respecter les obligations énoncées dans le code. Le Sénat ainsi que tous ses membres ont l’obligation de servir l’intérêt public. Cette obligation impose une responsabilité accrue aux membres de cette institution, qui doivent tenir leurs collègues responsables de leur conduite. Merci.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, conformément à l’article 12-29(2) du Règlement, nous ne pouvons pas encore prendre une décision au sujet de ce rapport. À moins qu’un sénateur ne veuille proposer l’ajournement, le débat sera ajourné d’office jusqu’à la prochaine séance du Sénat.

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Conformément à l’article 12-29(2) du Règlement, la suite du débat sur la motion est ajournée à la prochaine séance.)

Projet de loi sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants au Canada

Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Moodie, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.

L’honorable Rosemary Moodie : Je vais revenir sur ce que je disais au sujet du projet de loi C-35. Lorsque je me suis arrêtée, je parlais de l’article qui porte sur la responsabilisation du gouvernement fédéral.

Il a pour objectif de tenir Ottawa responsable et il explique que, au moyen des accords, Ottawa travaillera avec les provinces afin d’exiger des comptes de ces dernières.

Voici ce que dit le paragraphe 7(1) :

Les investissements fédéraux concernant l’établissement et le maintien d’un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants à l’échelle du Canada, ainsi que les efforts visant la conclusion avec les provinces et les peuples autochtones de tout accord connexe, sont guidés par les principes selon lesquels les programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants devraient être accessibles, abordables, inclusifs et de haute qualité [...]

Les alinéas qui suivent donnent des détails sur le paragraphe que je viens de lire. L’alinéa a) explique que le fédéral doit appuyer la prestation de programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de haute qualité et faciliter un accès équitable à ceux-ci en privilégiant ceux offerts par des fournisseurs publics à but non lucratif. Les fournisseurs doivent être enregistrés et offrir des services qui tiennent compte d’autres pratiques fondées sur des données probantes et répondre aux besoins variés des enfants et des familles.

L’alinéa b) explique que les investissements du fédéral dans les services de garde d’enfants doivent contribuer à rendre ces services plus abordables pour les familles.

Penchons-nous sur l’alinéa c). L’alinéa c) prévoit que les investissements du gouvernement fédéral doivent soutenir l’accès aux services de garde d’enfants dans les collectivités rurales et éloignées, ainsi que l’élargissement des services destinés aux enfants handicapés, aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, et aux enfants appartenant à d’autres groupes marginalisés. Il réitère que ces investissements doivent répondre aux différents besoins des familles, en insistant cette fois-ci sur le fait qu’ils doivent respecter et valoriser la diversité.

J’aimerais m’attarder un instant à l’alinéa c), car il est extrêmement important. Il exige que le gouvernement fédéral investisse dans les services de garde pour les enfants handicapés. Il ressort clairement de l’alinéa c) que le gouvernement fédéral doit investir dans les communautés rurales et éloignées afin d’y garantir un meilleur accès aux services de garde d’enfants. Il en ressort également clairement que l’objectif manifeste de ce projet de loi est de faire en sorte que le gouvernement fédéral investisse dans les services de garde d’enfants pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Si ce projet de loi reçoit la sanction royale, cette obligation sera inscrite dans la loi. Chaque famille qui vit dans une communauté de langue officielle en situation minoritaire peut s’attendre à ce que le gouvernement fédéral soit tenu, de par la loi, d’investir pour faire en sorte qu’elles aient accès à des places dans des services de garde d’enfants afin qu’elles puissent transmettre à leurs enfants et à leurs petits-enfants, leur culture, leur langue et leur identité.

(1440)

Cet alinéa, chers collègues, garantit que personne ne sera laissé pour compte. Il oblige Ottawa à fournir du financement à perpétuité à ces groupes conformément à ce qui se trouve dans les accords. Inscrire ces éléments dans les principes directeurs établit clairement que l’intention du Parlement est que ces groupes reçoivent des fonds fédéraux pour garantir un accès adéquat à des services de garde d’enfants de grande qualité qui répondent à leurs besoins.

Je passe maintenant à l’alinéa d). Il établit que les fonds fédéraux devraient appuyer la prestation de services de garde de grande qualité qui favorisent le développement social, émotionnel, physique et cognitif des jeunes enfants grâce à une main-d’œuvre solide. Tous les gouvernements ont reconnu le rôle central de la main-d’œuvre. En assurer la solidité est un aspect crucial des accords qui ont déjà été conclus et sera une des pierres d’assise d’un bon programme d’éducation préscolaire et de garde des jeunes enfants.

Au paragraphe 2, on peut lire que le financement fédéral et les accords avec les peuples autochtones doivent être guidés par les principes énoncés dans le Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones. Comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture, le Canada a élaboré un système d’éducation préscolaire et de garde des jeunes enfants autochtones en partenariat avec les communautés et les gouvernements autochtones. Ce paragraphe a pour effet de garantir que le Canada continuera d’accorder du financement conformément à ce cadre et de collaborer avec les peuples autochtones.

Enfin, le paragraphe 3 indique que les investissements fédéraux doivent être guidés par la Loi sur les langues officielles. Comme nous le savons, chers collègues, l’un des objets de cette loi est :

d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones en vue de les protéger, tout en tenant compte du fait qu’elles ont des besoins différents;

Il ne s’agit là que d’un seul objectif. L’article 7 indique que les investissements fédéraux doivent être guidés par l’ensemble de la loi. En fait, nous savons que cette loi quasi constitutionnelle vise à assurer le respect et l’égalité réelle des deux langues officielles d’un bout à l’autre du Canada.

C’est très important. En incluant la Loi sur les langues officielles à l’article 7, le projet de loi C-35 impose une obligation d’investissement, non seulement dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, mais aussi dans le développement et l’évolution futurs des deux langues officielles au Canada, conformément à la Loi sur les langues officielles.

En bref, l’article 7 énonce les règles d’engagement, et on constate que le Canada doit respecter certaines obligations lorsqu’il collabore avec les provinces pour investir dans les services de garde. L’article 7 précise que le financement est accordé à des établissements publics sans but lucratif pour assurer la prestation de services de garde accessibles, abordables, inclusifs et de haute qualité qui répondent aux besoins des familles, et que ces principes sont non négociables.

Si nous prenons aussi en compte l’article 8, qui indique que le gouvernement du Canada s’engage à maintenir le financement à long terme des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants dans le cadre d’accords avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones, nous avons la garantie d’un financement continu axé sur les règles d’engagement déjà énoncées à l’article 7. Par conséquent, que la demande porte sur des services adaptés à une réalité culturelle particulière et offerts dans une langue ancestrale, sur un enfant handicapé de Vancouver ou d’une région rurale du Nord de la Colombie-Britannique, sur un anglophone au Québec ou un francophone à l’extérieur du Québec, les articles 7 et 8 du projet de loi C-35 garantissent que le gouvernement fédéral continuera de veiller à ce que les Canadiens, quelle que soit leur situation, aient un jour accès à des services abordables et de haute qualité qui répondent à leurs besoins.

Chers collègues, j’ai longuement parlé du projet de loi, mais je souhaite parler brièvement du travail que nous faisons au comité et préciser pourquoi, à mon avis, le projet de loi nous a été renvoyé sans propositions d’amendement.

Tout d’abord, je crois que nous avons mené une étude rigoureuse. Nous avons rencontré des travailleurs en garderie, des économistes et des universitaires. Nous avons rencontré des dirigeants communautaires et des gouvernements autochtones. Nous avons entendu ce qu’avaient à dire les parents d’enfants handicapés et les parents qui n’avaient pas accès actuellement à des services de garde d’enfants dans la langue de leur choix. Nous avons entendu que des progrès supplémentaires sont nécessaires et qu’ils doivent être réalisés plus rapidement. Nous avons entendu que les Canadiens croient aux avantages d’un système national d’éducation préscolaire et de garde d’enfants et que la réduction des frais a représenté un important pas en avant. Pourtant, la création de places en garderie et le développement de la main-d’œuvre restent des besoins cruciaux.

Je tiens à remercier une fois de plus tous les témoins de leur voix et leur temps, même ceux avec lesquels je n’étais pas d’accord. De nombreux amendements ont été proposés par les témoins et au cours de l’étude article par article. Néanmoins, le projet de loi nous est renvoyé sans proposition d’amendement, et je tiens à en parler.

Chers collègues, nous établissons et élargissons un programme social important et énormément complexe, un programme qui repose sur des relations, des négociations, de la collaboration et une vision partagée. Dans le cadre de cet exercice, le gouvernement fédéral doit travailler avec de nombreux partenaires pour mener à bien le projet, et je pense que nous devons faire preuve de patience au cours de l’élaboration de notre système de garde d’enfants, surtout lorsqu’il s’agit de mesures importantes comme la formation des travailleurs et la création de places en garderie, entre autres étapes essentielles.

Cela signifie également qu’en tant que législateurs fédéraux, nous devons nous rappeler que les Canadiens veulent que le projet de loi C-35 soit adopté. Pour eux, cela signifie une garantie que l’éducation préscolaire et la garde d’enfants sont là pour de bon. Ils veulent des certitudes.

Voici ce que Jennifer Nangreaves, directrice générale de l’Association pour le développement de la petite enfance de l’Île‑du-Prince-Édouard, nous a dit :

La position de l’ECDA est que nous appuyons sans réserve le projet de loi C-35. L’importance de l’engagement du gouvernement fédéral à l’égard du système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, quel que soit le gouvernement en place à l’avenir, permettra de bâtir un véritable système à l’échelle du pays. Le fait d’avoir accès à un financement prévisible, suffisant et soutenu au lieu de ce que nous faisions par le passé, avec l’octroi de subventions ici et là, assurera une stabilité et une prévisibilité qui favoriseront des investissements stratégiques et à long terme afin que les provinces, les territoires et les peuples autochtones puissent atteindre leurs objectifs en mettant en place un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de grande qualité, accessible et abordable.

Ses paroles m’ont interpellée. Les Canadiens attendent ce projet de loi pour obtenir des certitudes. Ils se tournent vers le Parlement pour obtenir des certitudes. Nous ne devons pas l’oublier dans nos délibérations d’aujourd’hui.

Je crois que le comité de l’autre endroit a fait un travail remarquable en amendant ce projet de loi et l’a amélioré considérablement. Je suis également consciente des tensions politiques à la Chambre des communes et je sais que le fait d’apporter des amendements au projet de loi pourrait retarder son adoption, ce qui créerait davantage d’incertitude pour les Canadiens. Par conséquent, pour chaque amendement, j’ai pesé le pour et le contre pour déterminer si l’incertitude valait le changement proposé. Je dois avouer, chers collègues, qu’aucun des amendements proposés ne contribue à régler les problèmes de fond ou les difficultés et, à mon avis, aurait pu justifier de retarder de plusieurs mois l’adoption de ce projet de loi.

Par conséquent, j’ai fait valoir mes arguments et j’ai voté contre tous les amendements qui ont été déposés. Par ailleurs, la majorité des membres du comité semblaient d’accord.

Honorables sénateurs, je tiens à souligner l’une des préoccupations qui ont été soulevées par les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Beaucoup d’entre elles estiment qu’elles devraient être incluses dans l’article 8 du projet de loi pour être certaines de continuer à recevoir un financement à long terme. Leur crainte, c’est que, sans cette inclusion, les tribunaux tiendront pour acquis que le Parlement veut les exclure de tout engagement en matière de financement continu, malgré l’article 7, comme je l’ai dit.

(1450)

Chers collègues, respectueusement, j’estime que cette préoccupation est infondée. Quoi qu’il en soit, je reconnais son existence. Comme je l’ai dit, j’estime que les règles d’engagement énoncées à l’article 7 — les principes directeurs — ne laissent aucun doute quant à ce que le Parlement entend inclure dans le financement permanent.

Néanmoins, avec l’aide de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, ou FCFA, du sénateur Cormier et de la sénatrice Moncion, j’ai préparé un énoncé qui précise cela sans équivoque. Je vous le lis :

Je suis consciente des principes habituels de l’interprétation des lois et de la jurisprudence pertinente relativement aux droits linguistiques. En particulier, je suis consciente que, dans l’affaire Caron c. Alberta, la Cour suprême du Canada a refusé de reconnaître l’existence des droits linguistiques en raison de l’absence de garanties explicites dans les textes constitutionnels et législatifs pertinents.

Par conséquent, en tant que marraine de ce projet de loi, je souhaite exprimer clairement mon intention que le libellé de l’article 8 inclue implicitement une garantie de financement à long terme pour les programmes et services d’apprentissage et de garde d’enfants destinés aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Selon moi, l’intention du projet de loi C-35 tel qu’il est actuellement rédigé a toujours été que les communautés francophones continuent de faire partie des discussions qui se tiennent entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires dans le cadre des accords de financement.

Je tiens à souligner ceci : la protection de l’intérêt des communautés de langue officielle en situation minoritaire et la protection de l’intérêt des autres groupes minoritaires ne sont pas mutuellement exclusives. Souvent, les communautés se recoupent, et des personnes appartiennent à plus d’un groupe minoritaire.

En conclusion, je vais apporter des précisions sur la terminologie employée dans le projet de loi en ce qui a trait aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je tiens à indiquer que le projet de loi C-35 contient deux termes différents pour désigner les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je peux vous assurer que les deux termes respectent l’esprit de la Loi sur les langues officielles.

Je tiens à remercier le sénateur Cormier, la sénatrice Moncion ainsi que la FCFA de leur partenariat et de leur collaboration. Il me tarde de continuer de travailler avec vous pour que tous les enfants puissent tous apprendre et grandir dans la langue de leur famille.

Honorables collègues, je vous remercie de votre attention et de votre travail remarquable. Il me tarde d’entendre l’avis d’autres intervenants et de voir ce projet de loi devenir loi. Merci. Meegwetch.

Le sénateur Cormier : Merci. La sénatrice Moodie accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Moodie : Oui.

Le sénateur Cormier : Merci. D’abord, je vous remercie d’attirer notre attention sur le fait que la terminologie employée dans le projet de loi est incohérente et d’avoir clarifié l’intention et la portée de l’article 8, qui porte sur le financement à long terme des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

D’après votre discours, je conclus que vous appuyez le principe voulant que la défense des intérêts des communautés de langue officielle en situation minoritaire et la défense des intérêts d’autres groupes minoritaires ne soient pas mutuellement exclusives.

Comme vous l’avez dit, il y a convergence de ces communautés, et les membres de ces dernières font partie de plusieurs groupes minoritaires à la fois.

Or, lorsque vous vous êtes opposée à un des amendements que j’ai présentés au comité, celui qui avait pour objectif de préciser l’engagement du gouvernement envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire, vous avez dit ceci :

Ce qui est tout aussi inquiétant, ce sont les commentaires du président d’ITK, Natan Obed, qui s’est dit préoccupé et qui nous a dit ici au comité que cet amendement causerait du tort aux droits langagiers des Inuits.

Êtes-vous toujours de cet avis aujourd’hui? Le cas échéant, pourriez-vous clarifier votre position, puisque les observations que vous avez faites aujourd’hui semblent contredire — en partie — cette affirmation?

La sénatrice Moodie : Je vous remercie, sénateur Cormier.

Dans ma réponse à la question que vous aviez posée lors de la réunion du comité, je vous ai rappelé à vous — un autre membre du comité — les propos du président Natan Obed. Lorsque la sénatrice Moncion, si je me souviens bien, lui a posé une question sur l’incidence de cette mesure législative sur les Autochtones, il a répondu que celle-ci pourrait avoir une incidence sur leur langue. C’est une préoccupation qu’il a clairement soulevée. J’ai simplement énoncé un fait.

Vous m’avez demandé si je maintenais mes propos. C’est absolument le cas. Il ne fait aucun doute qu’il existe un lien étroit entre les minorités raciales, les exigences linguistiques et les personnes handicapées. Toutes les communautés tiennent à ce que leurs intérêts soient représentés dans cette mesure législative et à ce que leurs enfants puissent bénéficier des meilleurs services de garde possibles. Nous mettons l’accent sur la collaboration. Il s’agit d’une approche nationale dans le cadre de laquelle nous veillons à faire respecter les droits de tous les groupes, y compris des enfants vivant dans les zones rurales et isolées, afin qu’ils aient, eux aussi, accès à des services de garde.

Je maintiens donc ma position, et la réponse que je vous avais donnée faisait écho aux propos du président Obed.

L’honorable Elizabeth Marshall : Sénatrice Moodie, un grand merci pour votre discours. J’étais suspendue à vos lèvres parce que vous avez rappelé, au début de votre discours, que personne ne devait être laissé pour compte. D’après les commentaires que j’entends, qui viennent non seulement de ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, mais aussi de plusieurs autres provinces, beaucoup de familles n’ont pas accès à une place de garderie à 10 $ par jour. Certaines familles y ont accès, mais d’autres non. Dans certains contextes, non seulement n’y a-t-il pas de place de garderie à 10 $, mais il n’y a carrément aucun service de garde disponible, et les familles ont du mal à s’organiser pour faire garder leurs enfants.

Je sais que, dans ma province, la radio de CBC/Radio-Canada a publié plusieurs articles à ce sujet. Des médecins ne peuvent pas retourner travailler faute de place de garderie pour faire garder leurs enfants. Cet enjeu a-t-il été abordé pendant votre étude du projet de loi?

Son Honneur la Présidente : Je suis désolée, sénatrice Moodie, votre temps de parole est écoulé.

Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Moodie : Oui.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Moodie : Sénatrice Marshall, vous avez raison. C’est ce que nous avons entendu. Nous avons entendu que la main‑d’œuvre est en difficulté et qu’elle doit être renforcée. Nous avons entendu parler de la fixation des prix et du soutien au perfectionnement professionnel. Nous avons aussi entendu parler d’un certain nombre de facteurs clés — de lacunes, si vous voulez — du système actuel.

Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un nouveau système qui est en train d’être mis en place. Dans le cadre du système actuel, le niveau de qualité des services offerts varie, et il arrive parfois qu’aucun service ne soit fourni. C’est clair, et nous l’avons entendu haut et fort au comité.

Nous reconnaissons que nous avons du travail à faire. Dans les accords qu’elles ont conclus, les provinces ont décrit comment elles envisagent aller de l’avant en faisant fond sur le système actuel pour créer le nouveau. Pour répondre à votre question, il est bien connu qu’il y a des régions où des services de garde ne sont pas disponibles, comme vous l’avez indiqué.

L’honorable Jim Quinn : Je vous remercie de votre discours, sénatrice Moodie. Ma question porte sur l’article 8. Vous avez reconnu qu’il y avait un risque que les tribunaux — notamment dans l’affaire dont vous avez parlé — ne considèrent pas que le financement est garanti et assuré et l’article 8 a justement pour objet le financement.

(1500)

Dans votre discours, vous avez clairement affirmé que vous considérez qu’il doit être garanti que le financement sera continu. Ma question est la suivante : si c’est le cas, pourquoi ne pas l’indiquer de façon explicite? De nouveaux systèmes sont développés. Pourquoi exposer les générations futures à la possibilité qu’un tribunal arrive à la conclusion que le financement n’était pas garanti et n’exige pas le financement de ces groupes minoritaires, pas seulement au Nouveau-Brunswick, mais dans l’ensemble du pays?

La sénatrice Moodie : Merci de votre question, sénateur Quinn.

Je ne suis pas du genre à faire des déclarations précipitées. Je pense qu’il y a du travail à faire pour mettre au point notre système. À mon avis, dans sa forme actuelle, l’article 7 de la mesure législative, qui porte sur les principes directeurs, indique clairement ce dont nous aurons besoin pour soutenir notre système de garderies à mesure que nous progresserons.

Je crois aussi que l’article 8 énonce les mécanismes de financement qui existent et la façon dont le gouvernement fédéral verserait les fonds aux établissements sur le terrain, dans les provinces et les territoires, ainsi qu’aux gouvernements autochtones. La mesure législative l’énonce clairement. Les groupes d’enfants qui doivent être protégés sont clairement indiqués dans les principes directeurs. Je pense que la loi, la mesure législative, énonce déjà ce qu’elle doit énoncer.

De toute évidence, je crois que nous devons renforcer le système et que des améliorations seront peut-être nécessaires à l’avenir.

Nous commençons à jeter les fondements du système, et il ne fait aucun doute qu’il y a des lacunes. Quiconque suggérerait que ce n’est pas le cas ne vous dirait pas la vérité.

La sénatrice Marshall : Sénatrice Moodie, vous avez dit que le projet de loi a été renvoyé sans amendement. Y a-t-il des observations jointes au projet de loi qui portent sur le manque d’accès aux garderies à dix dollars par jour ou le manque d’accès à toute forme de services de garde d’enfants?

La sénatrice Moodie : Merci. Plusieurs des observations concernent le renforcement du système et le financement de certains groupes et attirent l’attention sur les questions qui ont été abordées par le comité. Je crois qu’elles mettent l’accent sur certaines lacunes que nous avons observées — continuer de travailler et de surveiller la situation — à propos desquelles le gouvernement doit faire mieux.

L’honorable Jane Cordy : La sénatrice Moodie a répondu à toutes les questions. Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.

Je tiens à vous remercier, sénatrice Moodie, pour votre discours très approfondi qui a très bien expliqué le projet de loi C-35 et son importance en tant que contrat social.

Je veux aussi vous remercier pour tout le travail que vous avez accompli à titre de marraine du projet de loi au Sénat. Je remercie les membres du Comité des affaires sociales pour leurs questions et leurs observations très justes et très importantes pendant nos délibérations sur ce projet de loi.

Ce projet de loi est la première étape de la création d’un système pancanadien d’éducation préscolaire et de garde des jeunes enfants et un système de garderies à 10 $ par jour, comme le gouvernement fédéral s’était engagé à le faire. Il établit l’engagement du gouvernement à verser aux provinces, aux territoires et aux communautés autochtones du financement à long terme destiné à l’éducation préscolaire et à la garde des jeunes enfants.

En plus de ces engagements, le projet de loi crée le Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. En tant que grand-mère et ancienne enseignante au primaire, je sais à quel point l’éducation préscolaire et les services de garde accessibles et de grande qualité sont importants pour les Canadiens et leur famille.

Honorables sénateurs, il est essentiel que les enfants aient le meilleur départ possible dans la vie afin qu’ils aient tous les outils pour apprendre toute leur vie durant.

Aux quatre coins du Canada, certains obstacles empêchent les familles d’avoir accès à des services de garde inclusifs, de grande qualité et adaptés à leur culture. En raison du nombre insuffisant de places dans les garderies et de l’augmentation des coûts, bon nombre de familles ont du mal à trouver des services abordables pour leurs enfants.

Le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a entendu une grande variété de témoins provenant d’un peu partout au pays. Ces témoins lui ont parlé des disparités qui subsistent au Canada en ce qui a trait à l’accès des Autochtones, des familles à faible revenu, des Néo-Canadiens, des minorités linguistiques et des personnes qui vivent hors des régions urbaines à des services de garde de grande qualité adaptés à leur culture.

Or, pour combler ces écarts, il faut du temps, une bonne planification et du financement. J’estime que le projet de loi C-35 aidera grandement les familles à obtenir des services abordables et de qualité.

Par l’entremise des ententes de financement qu’il a conclues, le gouvernement fédéral a montré son appui aux provinces, aux territoires et aux communautés autochtones. Pour que le gouvernement fédéral débloque son financement, les provinces et les territoires ont convenu de lui présenter, pour la durée de l’entente, des plans d’action et des rapports d’étape au début de chaque exercice.

Ces rapports seront sans doute utiles aux gouvernements, mais je pense qu’ils seront surtout utiles aux jeunes familles.

En 2021, ma province a signé l’Accord entre le Canada et la Nouvelle-Écosse sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants à l’échelle du Canada — 2021-2026, qui prévoit la création de 9 500 places en garderie et l’instauration d’un tarif quotidien de 10 $ par enfant d’ici 2026. Suivant cet accord, le gouvernement fédéral devra engager des dépenses de 123 millions de dollars pour l’exercice en cours, de 143 millions l’exercice suivant et de 169 millions en 2025-2026.

Cet argent servira à trouver des moyens de répondre aux besoins de toutes les familles ayant de jeunes enfants, et plus particulièrement les familles autochtones et francophones de la Nouvelle-Écosse.

Honorables sénateurs, la pénurie de main-d’œuvre constitue l’un des principaux obstacles empêchant les provinces et les territoires de créer des places en garderie. Plusieurs témoins ont expliqué au comité à quel point il est difficile de trouver et de garder — surtout de garder — des employés qualifiés, dévoués et motivés.

Traditionnellement, les emplois dans le secteur de la petite enfance sont peu rémunérés, ils sont rarement accompagnés d’avantages sociaux et ils sont majoritairement occupés par des femmes. Voilà pourquoi ce choix de carrière intéresse aussi peu les jeunes.

Les provinces et les territoires doivent trouver des solutions pour attirer et retenir un personnel de qualité. Dans le cas de la Nouvelle‑Écosse, il s’agit de doter 9 500 nouvelles places d’ici à 2026. Si nous voulons conserver un personnel de qualité, non seulement dans l’immédiat, mais aussi à long terme, il faut que les salaires soient plus élevés et que les employés bénéficient de meilleurs avantages.

Comme l’a déclaré Taya Whitehead, présidente du conseil d’administration de la Fédération canadienne des services de garde à l’enfance :

Nous encourageons la mise en place de mécanismes permettant de s’assurer que le financement des services de garde d’enfants demeure prévisible, durable et suffisant dans chaque province et territoire en fonction des besoins et des objectifs des collectivités visés par les ententes.

Le projet de loi C-35 se veut le mécanisme permettant d’assurer un soutien financier prévisible, durable et suffisant de la part des gouvernements fédéraux successifs à l’avenir.

Honorables sénateurs, j’appuie le projet de loi C-35. Il s’agit d’une mesure législative essentielle pour garantir le financement et le soutien futurs du gouvernement fédéral au-delà des accords actuels qui prendront fin en 2026.

(1510)

Honorables sénateurs, il n’est pas fréquent que des accords de quelque nature que ce soit soient conclus entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Cet accord sur les services à la petite enfance a été conclu parce que les gouvernements de tous les échelons ont reconnu, à juste titre, que les services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants au Canada devaient être une priorité.

Je crois qu’il s’agit d’une occasion à ne pas prendre à la légère. Les familles canadiennes ont besoin du soutien qu’offrira le projet de loi C-35 pour garantir un accès à long terme à des services de garde inclusifs, adaptés à la culture et de grande qualité. Je vais appuyer le projet de loi C-35.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d’amendement—Report du vote

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), tel que modifié.

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénateur Carignan, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Seidman,

Que le projet de loi C-48, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau à l’article 1 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 26 octobre 2023), à la page 3, par substitution, à la ligne 13, de ce qui suit :

« contre une personne à l’aide d’une arme — ou purgeait une peine d’emprisonnement à l’égard d’une telle infraction — et chacune ».

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion modifiée?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Le sénateur Plett : Nous reportons le vote à la prochaine séance.

[Français]

Son Honneur la Présidente : Conformément à l’article 9-10(1) du Règlement, le vote est reporté à 17 h 30 le prochain jour où le Sénat siège, et la sonnerie retentira à 17 h 15.

[Traduction]

Projet de loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Marty Klyne propose que le projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, c’est un grand jour pour le bien-être animal au Canada. Je suis très heureux de parrainer le projet de loi S-15, la nouvelle mesure législative du gouvernement visant à protéger les éléphants et les grands singes vivant en captivité. Ce projet de loi sur le bien-être des animaux est l’un des plus stricts de l’histoire du Parlement.

Je remercie le gouvernement, en particulier le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault; le représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Marc Gold; ainsi que la secrétaire parlementaire Julie Dabrusin pour leurs efforts entourant la présentation de ce projet de loi. Je me permets de noter que la présentation du projet de loi S-15 honore une promesse électorale faite en 2021 ainsi qu’un engagement contenu dans une lettre de mandat concernant la présentation d’une mesure législative visant à protéger des animaux sauvages en captivité. Cette promesse faite aux Canadiens faisait suite à la présentation, en 2020, de la Loi de Jane Goodall sur le même sujet par notre ancien collègue, le sénateur Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et réconciliation, ainsi que par le député Nathaniel Erskine-Smith, le parrain du projet de loi à la Chambre.

Je crois que ce projet de loi d’initiative gouvernementale fera fond sur les récents succès que le Sénat a connus en matière de protection du bien-être des animaux. Je songe notamment aux lois sur l’élevage en captivité des baleines et des dauphins, adoptées grâce au leadership des sénateurs Moore, Sinclair et Harder; à l’interdiction visant les nageoires de requin, parrainée par le sénateur MacDonald; aux efforts de la sénatrice Boyer visant à prévenir la cruauté envers les animaux et les combats de chiens; au travail de la sénatrice Stewart-Olsen visant à interdire les essais effectués sur des animaux dans le domaine des cosmétiques; et aux amendements proposés au projet de loi S-5 par les sénateurs Galvez et Dalphond dans le but d’éliminer progressivement les essais de toxicité sur les animaux, projet de loi qui a été adopté en juin dernier.

En tant que projet de loi du gouvernement, le projet de loi S-15 peut être examiné par le Sénat et ses comités en priorité et avec une rapidité bien plus grandes que le projet de loi S-241, la version actuelle de la Loi de Jane Goodall. Comme vous le savez, je suis également le parrain de ce projet de loi, qui a fait l’objet d’un débat approfondi pendant 14 mois à l’étape de la deuxième lecture et qui a été renvoyé à trois comités sénatoriaux. Juridiquement, et bien que rédigé différemment, le projet de loi S-15 est essentiellement une partie du projet de loi S-241 et, en tant que tel, le Sénat l’a déjà soutenu en principe.

Je reviendrai plus en détail sur la relation entre les deux projets de loi. Pour l’instant, concentrons-nous sur les animaux. Pour les éléphants et les grands singes en captivité, le projet de loi S-15 prévoit la protection juridique accrue qu’ils méritent, en fonction de leurs caractéristiques et de leurs besoins scientifiquement déterminés. Les éléphants et les grands singes sont conscients d’eux-mêmes, très intelligents, émotifs et sociaux. Ils aiment leurs amis et leurs familles, pleurent leurs morts et utilisent des outils. Les grands singes peuvent même apprendre et communiquer en langue des signes, parfois en s’enseignant mutuellement cette compétence. À bien des égards, ces créatures remarquables nous ressemblent beaucoup.

Pourtant, au Canada, la possession de ces créatures n’est pas soumise à une licence ni à un objectif justifiable. Par conséquent, comme pour la Loi de Jane Goodall, le projet de loi S-15 interdirait toute nouvelle mise en captivité d’éléphants et de grands singes, y compris pour la reproduction, à moins qu’une licence ne soit délivrée pour le bien-être individuel, la conservation ou la recherche scientifique. De même, comme le projet de loi S-241, ce projet de loi interdirait l’utilisation de ces espèces dans des spectacles, ce qui s’est produit ces dernières années avec des éléphants au Canada et pourrait se poursuivre.

Le projet de loi S-15 peut et doit aboutir à la première élimination progressive de la captivité des éléphants prévue par la loi dans le monde. Plus de 20 éléphants vivent en captivité au Canada à quatre endroits, et la plupart se trouvent à l’African Lion Safari, près d’Hamilton, en Ontario. Le Zoo de Granby et l’Edmonton Valley Zoo se sont déjà engagés à éliminer progressivement la garde d’éléphants.

Les scientifiques et d’autres experts indépendants recommandent l’abandon progressif des droits acquis en raison des graves problèmes de santé, de comportement et de reproduction que connaissent les éléphants en captivité. Dans les zoos nord‑américains, les décès d’éléphants sont deux fois plus nombreux que les naissances, ce qui signifie que leur captivité n’a pas de valeur de conservation. Parmi les autres considérations, citons le fait que tous les zoos canadiens possédant des éléphants ont des individus qui ont été prélevés dans la nature; la nécessité de garder ces créatures énormes et aux vastes territoires à l’intérieur pendant une grande partie de l’hiver canadien; le risque permanent de séparer cruellement les mères des filles lors des transactions commerciales; l’utilisation au Canada de crochets à éléphants, qui sont des instruments utilisés pour contrôler les éléphants par la douleur et la peur; et l’utilisation d’éléphants ces dernières années au Canada pour des promenades et des spectacles de divertissement.

En ce qui concerne le traitement des éléphants, le projet de loi S-15 reflète le changement dans les attitudes sociales qui ont évolué en même temps que les connaissances scientifiques sur ces créatures. Comme le sénateur Sinclair l’avait dit lors du débat au sujet du projet de loi sur les baleines, nous ne portons pas de jugement sur les activités qui avaient cours dans le passé, mais, dorénavant, nous cherchons à élaborer des politiques et des lois appropriées qui se fondent sur nos connaissances actuelles.

Pour ce qui est des grands singes, le projet de loi S-15 maintient les programmes de sanctuaires, de conservation et de recherche scientifique pour les chimpanzés, les gorilles et les orangs-outans. Les grands singes risquent d’être exploités en captivité dans d’autres pays et sont menacés d’extinction en Afrique et en Asie. Le projet de loi S-15 peut envoyer au monde un message sur la nécessité de protéger ces espèces qui constituent les plus proches parents vivants de l’homme puisqu’elles partagent jusqu’à 98,8 % de l’ADN humain. En fait, le projet de loi S-15 offrirait aux grands singes certaines des protections juridiques les plus robustes au monde qui pourraient, par exemple, inclure des conditions de délivrance de licences axées sur l’évolution des données scientifiques sur le bien-être animal. Je précise que la scientifique et militante écologiste bien connue Jane Goodall, qui agit également comme messagère de la paix pour les Nations unies, estime important de poursuivre des programmes scientifiques de conservation des grands singes qui reposent sur des normes élevées en matière de bien-être. L’équipe de Mme Goodall continue de collaborer avec des collectivités locales pour sauver des grands singes à l’état sauvage.

Approximativement 30 grands singes vivent au Canada à quatre endroits. Il s’agit notamment de chimpanzés au sanctuaire de la Fondation Fauna près de Montréal, de gorilles et d’orangs-outans au zoo de Toronto et de gorilles aux zoos de Calgary et de Granby. Je félicite ces organisations pour leur excellent travail et leur engagement à assurer le bien-être des grands singes dont ils ont la garde.

Comme je l’ai mentionné, en 2020, notre ancien collègue, l’honorable Murray Sinclair, avait jeté les bases du projet de loi S-15. C’est lui qui a rédigé et présenté la version originale de la Loi de Jane Goodall, le projet de loi S-218, dont l’objectif était de protéger les éléphants, les grands singes et d’autres animaux sauvages gardés en captivité. En discutant de ce projet de loi, le sénateur Sinclair nous invitait à essayer de comprendre notre lien avec la nature et de respecter les autres créatures vivantes. Voici ce qu’il a dit :

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Dans bien des cultures autochtones, on emploie l’expression « toutes mes relations » pour désigner l’interdépendance et l’interrelation entre toutes les formes de vie ainsi que la relation mutuelle et la destinée commune des humains et des animaux. Quand on traite bien les animaux, on fait preuve de respect envers soi-même et on encourage le respect mutuel.

Je remercie le sénateur Sinclair pour sa sagesse et ses conseils concernant le projet de loi S-15 et la Loi de Jane Goodall. En cette époque de petits zoos privés, d’extinctions de masse et de crise climatique, je me rallie à son opinion que ce projet de loi favorisera notre réconciliation avec le monde naturel, ce qui est un des objectifs énoncés dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation. J’espère que le savoir scientifique et autochtone incitera les sénateurs et les députés à accorder la priorité au projet de loi S-15 afin qu’il obtienne la sanction royale plus tôt que tard, du moins avant les prochaines élections.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à remercier les ONG canadiennes qui se dévouent pour la cause du bien-être des animaux et dont le travail au fil des ans a ouvert les cœurs et les esprits à des mesures législatives empreintes de compassion comme le projet de loi S-15. Merci à Humane Canada, à Animal Justice, à Protection mondiale des animaux Canada, à la Humane Society International/Canada et à Zoocheck.

Pour l’élaboration conjointe du projet de loi S-241, qui contient les politiques du projet de loi S-15, je remercie également l’Institut Jane Goodall du Canada, le zoo de Toronto, l’Institut Wilder du zoo de Calgary, et le zoo de Granby.

Nombreux sont ceux qui souhaitent que les mesures de la Loi de Jane Goodall soient examinées en même temps que le projet de loi S-15, notamment l’interdiction de posséder de grands félins dans les petits zoos privés et en tant qu’animaux de compagnie, ainsi que le cadre pour les organismes animaliers pour assurer la bonne tenue des zoos, aquariums et sanctuaires. Je suis persuadé que notre processus nous en donnera l’occasion, et je crois savoir que le gouvernement est ouvert à envisager d’éventuels amendements basés sur les témoignages entendus pendant l’étude du projet de loi S-241.

En effet, en tant que parrain, j’estime, au moment de débattre du projet de loi S-15 à l’étape de la deuxième lecture, que celui-ci nous permet d’envisager de tels amendements à des étapes ultérieures, d’autant plus que les deux projets de loi modifieraient les deux mêmes lois relatives à la captivité des animaux sauvages.

Chers collègues, je vous parlerai aujourd’hui de cinq sujets liés au projet de loi S-15 : premièrement, les aspects juridiques du projet de loi; deuxièmement, la captivité des éléphants au Canada; troisièmement, les sanctuaires, la conservation et les programmes scientifiques relatifs aux grands singes au Canada; quatrièmement, les amendements potentiels au projet de loi S-15; cinquièmement, le processus à venir pour ce projet de loi et notre mesure législative connexe, mais différente — le projet de loi S-241, Loi de Jane Goodall.

Sur le plan légal, le projet de loi S-15 modifierait l’article du Code criminel relatif à la cruauté envers les animaux, ainsi que la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial. Il s’agit d’une loi sur le commerce des espèces sauvages administrée par Environnement et Changement climatique Canada.

Le projet de loi interdira toute nouvelle mise en captivité d’éléphants et de grands singes, y compris aux fins de reproduction, sauf si une licence est délivrée pour le bien-être de l’animal ou pour un programme de conservation ou de recherche scientifique. À l’instar des lois canadiennes de 2019 sur les baleines et les dauphins, le projet de loi S-15 autorise les gouvernements fédéral et provinciaux à délivrer des licences d’élevage à ces fins, tandis que le transport transfrontalier relève exclusivement du gouvernement fédéral.

La question de savoir si le ministre de l’Environnement doit accorder ou non des licences, et à quelles fins, est une question de fait et d’éthique. En fonction des recommandations de scientifiques indépendants et d’autres experts, j’estime qu’il ne faut pas délivrer de licences pour mettre de nouveaux éléphants en captivité au Canada.

En ce qui concerne l’examen des mérites d’un programme de conservation ou de recherche scientifique dans le cadre du projet de loi, de tels programmes doivent promettre des contributions importantes à la survie à long terme de l’espèce à l’état sauvage. La reproduction en captivité a notamment joué un rôle dans plus de la moitié des cas où on a évité l’extinction d’oiseaux et de mammifères.

De plus, le projet de loi S-15 interdirait l’utilisation des espèces concernées dans des spectacles de divertissement, comme cela a été le cas de certains éléphants au Canada ces dernières années. Aucune licence ne pourrait être délivrée pour de tels spectacles. Contrairement au projet de loi S-241, le projet de loi S-15 n’interdit pas explicitement les promenades à dos d’éléphant, qui ont également eu lieu ces dernières années. Il s’agit peut-être d’un amendement à envisager.

Comme dans le cas des lois canadiennes visant les baleines et les dauphins, la reproduction illégale et les spectacles donnés à des fins de divertissement seraient punissables, par voie de déclaration sommaire de culpabilité, d’une amende pouvant atteindre 200 000 $. Contrairement au projet de loi S-241, le projet de loi S-15 ne prévoit pas de nouvelles mesures de détermination de la peine pour ce qui est de la possible relocalisation des animaux sauvages concernés et des coûts.

Sur le plan constitutionnel, le projet de loi S-15 invoque les compétences fédérales en matière de commerce international et interprovincial et de droit criminel sur la cruauté envers les animaux. Les peines fédérales pour cruauté envers les animaux existent depuis 1892. À des fins de conservation, il existe aussi déjà des restrictions commerciales internationales en ce qui concerne les espèces en péril.

En outre, en matière de droit de la propriété et de droits civils, les provinces ont depuis longtemps des lois complémentaires visant à porter secours aux animaux en captivité. À l’échelon municipal, il existe également une multitude de restrictions à la propriété. Le projet de loi S-15 permettrait d’établir, dans l’ensemble du pays, des restrictions solides et uniformes concernant les espèces visées.

J’invite les sénateurs qui voudraient étudier en profondeur les aspects juridiques de cette mesure législative à consulter le mémoire sur le projet de loi S-241 que j’ai présenté, le 7 septembre 2023, au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

Mentionnons que les modalités juridiques du projet de loi S-15 sont les mêmes que celles de la Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins, que le Comité des pêches et des océans a étudiée et que le Parlement a adoptée en 2019. Les modifications ayant été apportées au Code criminel et à la Loi sur les pêches ont servi de modèle juridique pour le projet de loi S-15.

Le Sénat a appuyé massivement les mesures visant les baleines et les dauphins lors d’un vote par appel nominal sur le projet de loi C-68. Ce projet de loi du gouvernement sur les pêches, parrainé par le sénateur Christmas, comprenait les amendements du sénateur Harder, alors représentant du gouvernement, visant à obtenir un vote sur les mesures relatives aux baleines, ainsi que l’interdiction visant les nageoires de requin proposée par le sénateur MacDonald. Le Sénat a voté en faveur du projet de loi C-68 avec 86 voix pour, 3 voix contre et 2 abstentions.

Lors du débat du Sénat sur le projet de loi C-68, le sénateur Harder a dit :

[...] j’espère que les amendements proposés au projet de loi C-68 montreront ce qu’il est possible de réaliser lorsque le gouvernement et le Sénat collaborent pour élaborer la meilleure politique publique possible pour les Canadiens. [...] J’ose espérer que le traitement de cette mesure législative incitera le Sénat à prendre des décisions plus indépendantes et plus positives.

Je souligne également que les lois canadiennes sur la captivité des baleines et des dauphins ont bien fonctionné. Le projet de loi S-203, Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins, présenté par le sénateur Moore et le sénateur Sinclair, ainsi que le projet de loi C-68, ont mis fin à la reproduction des bélugas et à l’importation de bélugas et de dauphins sauvages capturés à Marineland, à Niagara Falls, en Ontario. Ces lois ont également donné lieu à une accusation en 2021 pour utilisation présumément illégale de dauphins dans un spectacle aux fins de divertissement par Marineland.

Aujourd’hui, l’aquarium de Vancouver n’a plus de baleines ni de dauphins en captivité, et un sanctuaire de baleines actuellement en développement en Nouvelle-Écosse donne l’espoir d’une vie meilleure à certains des bélugas survivants de Marineland, qui sont plus de 30.

Depuis l’adoption du projet de loi canadien sur les baleines en 2019, la France a interdit la captivité des baleines et des dauphins, tout comme l’État australien de la Nouvelle-Galles du Sud. Le Congrès américain envisage d’adopter une mesure législative semblable, soit la Strengthening Welfare in Marine Settings Act.

Comme le projet de loi S-15 s’appuie sur le succès du projet de loi sur les baleines, le temps est venu de protéger d’autres espèces sauvages en captivité, en commençant par les éléphants et les grands singes, et en envisageant d’autres priorités, comme les grands félins.

Chers collègues, je vais maintenant parler de la nécessité d’éliminer progressivement la captivité des éléphants au Canada. Comme le sénateur Sinclair nous l’a dit en 2020, les éléphants d’Asie et d’Afrique sont les plus grands animaux terrestres qui existent. Les éléphants sont intelligents et très émotifs, et ils sont dotés d’une excellente mémoire et d’une profonde empathie. Ils découvrent le monde principalement par l’odorat et l’ouïe. En fait, leur odorat est cinq fois plus puissant que celui d’un limier.

Les éléphants émettent des sons à basse fréquence, qui sont inaudibles pour nous, pour communiquer les uns avec les autres à des kilomètres de distance. Ils peuvent entendre les orages à des centaines de kilomètres de distance et changer de trajet des jours à l’avance afin de se diriger vers la pluie. Leur domaine vital s’étend de 400 à 10 000 kilomètres carrés.

Du point de vue social, les éléphants vivent en troupeaux dirigés par une matriarche entourée de femelles adultes, d’adolescents et d’éléphanteaux. Les femelles plus âgées préservent le savoir qui assure la survie du troupeau. En période de sécheresse, le troupeau suivra la matriarche pendant des jours avec confiance pour se rendre à un point d’eau qu’elle seule connaît.

Par ailleurs, les éléphants sont altruistes. Ils essaient de réanimer les individus malades ou mourants, même les étrangers, en les soulevant avec leurs défenses pour les remettre sur leurs pattes. Les éléphants font le deuil des membres de leur troupeau qui meurent, notamment en veillant les corps des matriarches décédées.

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Honorables collègues, 23 éléphants vivent en captivité au Canada. L’African Lion Safari, près d’Hamilton, compte 17 éléphants d’Asie, soit le plus grand troupeau d’Amérique du Nord. Au moins deux d’entre eux sont nés à l’état sauvage. L’Edmonton Valley Zoo compte une éléphante d’Asie du nom de Lucy, qui est née à l’état sauvage. Au Québec, le Parc Safari possède deux éléphants d’Afrique, tous deux nés à l’état sauvage. Le Zoo de Granby possède trois éléphants d’Afrique, dont deux sont nés à l’état sauvage. Il est évident que l’enlèvement d’éléphants d’Afrique et d’Asie pour les exposer dans des zoos d’Amérique du Nord va à l’encontre des efforts de conservation des éléphants.

Au risque de me répéter, l’Edmonton Valley Zoo et le Zoo de Granby se sont engagés à ne plus acquérir d’éléphants. En 2011, le conseil municipal de Toronto a voté pour l’envoi des trois derniers éléphants d’Afrique du zoo de Toronto dans un sanctuaire en Californie, un déplacement financé par Bob Barker.

En 2014, trois éléphants d’Asie de Calgary ont été transportés vers le climat plus chaud des États-Unis. Entre le début des années 1990 et 2012, plus de 22 zoos américains ont cessé de présenter des éléphants ou ont annoncé qu’ils prenaient des mesures progressives à cette fin.

Le projet de loi S-15, qui préconise l’élimination progressive des éléphants des zoos du Canada, s’appuie sur deux lettres de 23 scientifiques indépendants et d’autres experts qui appuient cette politique. Ces lettres sont signées par des sommités internationales en la matière, telles que Joyce Poole. Voici ce qu’ils ont écrit :

Des preuves scientifiques et expérimentales révèlent que l’utilisation des éléphants dans des spectacles et comme montures et spécimens d’exposition peut être physiquement et psychologiquement préjudiciable à ces animaux très intelligents, sensibles et conscients d’eux-mêmes. Le confinement, la contrainte, les déplacements, les pratiques de dressage néfastes, les expositions, l’isolement, le bruit, les spectacles et le contact avec le public dans des environnements non naturels peuvent nuire à la santé et au bien-être des éléphants.

Les éléphants ne sont adaptés à aucune forme de captivité, car aucune installation ne peut répondre à leurs besoins biologiques, sociaux, cognitifs, en matière d’espace et intrinsèques de base. Il faut mettre fin à la possibilité de maintenir des éléphants en captivité au Canada et tout mettre en œuvre pour que ceux qui restent captifs bénéficient des meilleures conditions possible pour répondre à leurs besoins et assurer leur bien-être pour le reste de leur vie.

Honorables sénateurs, ces deux lettres provenant de spécialistes se trouvent sur les sites Web des trois comités qui étudient le projet de loi S-241. La deuxième lettre répond aux arguments contre le projet de loi S-241 présentés par l’International Elephant Foundation, un organisme dont le conseil d’administration est composé principalement de cadres supérieurs de différents zoos, dont l’African Lion Safari. La deuxième lettre répond aussi aux arguments contre le projet de loi formulés par l’Elephant Managers Association, dont le conseil d’administration est, lui aussi, composé d’employés de zoos.

Je mets ici en lumière quatre des conclusions de la deuxième lettre de réponse, que nous avons reçue de spécialistes indépendants.

Tout d’abord, il n’y a aucun cas où des éléphants en captivité, qui sont importés pour maintenir la population d’éléphants dans les zoos d’Amérique du Nord, ont permis de renforcer la protection des populations sauvages.

Deuxièmement, les éléphants qui vivent au Canada doivent passer la majeure partie de leur temps à l’intérieur en hiver pour éviter les engelures et l’hypothermie.

Troisièmement, la recherche sur la reproduction et d’autres recherches à l’African Lion Safari n’a pas eu de valeur pour la conservation des éléphants sauvages.

Quatrièmement, il a été démontré que la captivité provoque des lésions cérébrales chez les éléphants.

J’ai bon espoir que ces experts se manifesteront au cours de l’étude en comité.

Un article du New York Times publié en 2019 est éclairant. On peut y lire ceci:

Une enquête menée en 2012 par le Seattle Times a révélé que 390 éléphants étaient morts dans des zoos accrédités au cours des 50 dernières années, la majorité d’entre eux ayant été victimes de blessures et de maladies liées à la captivité.

Cependant, la plus grande menace s’est avérée être le taux de natalité anormalement bas des éléphants en captivité [...] L’une des manifestations les plus inquiétantes de la psychose des éléphants de zoo est l’incidence élevée des mortinaissances et des troubles de la reproduction chez les mères enceintes. Même lorsque les naissances sont réussies, il y a souvent des cas non seulement de mortalité infantile, mais aussi de rejet des éléphanteaux et d’infanticide, ce qui n’a pratiquement jamais été observé dans les milliers d’études sur les troupeaux d’éléphants sauvages [...] Essentiellement, pour chaque nouvelle naissance en captivité, deux éléphants sont morts.

Je tiens également à verser au compte rendu certains événements problématiques survenus récemment à l’African Lion Safari. Comme beaucoup d’autres, j’ai été perturbé d’apprendre qu’en 2021, l’African Lion Safari a offert des éléphants à vendre à un zoo du Texas. Cette transaction — ultérieurement annulée — aurait séparé deux paires mère-fille qui, normalement, restent ensemble toute leur vie. On a offert les éléphantes nommées Emily et Nellie pour 2 millions de dollars, avec un supplément de 200 000 $ si Emily donnait naissance à un éléphanteau qui demeure en vie plus de 60 jours. On peut imaginer la détresse causée par cette cruelle séparation.

En outre, en 2019, une attaque perpétrée par un éléphant lors d’une promenade à dos d’éléphant a causé de graves blessures à un entraîneur. La CBC a publié un article au sujet de l’incident :

Cela faisait 25 ans que l’African Lion Safari offrait aux visiteurs des promenades sur le dos de cette éléphante asiatique, née en Birmanie [...]

Cependant, le 21 juin 2019, Maggie a assené un coup à son meneur au moment où la dernière personne à la monter mettait pied à terre [...]

Malgré tout ce que nous avons appris ces dernières années, il se donne toujours des spectacles d’éléphant. Sur YouTube, on peut voir des vidéos d’éléphants dans un stade qui lancent des ballons dans un panier, qui peignent, qui se lèvent sur leurs pattes arrières, qui s’agenouillent, qui se dandinent, qui secouent la tête et qui exécutent toutes sortes d’autres tours de cirque.

Par ailleurs, certains entraîneurs d’éléphant utilisent des crochets à éléphant pour contrôler leurs éléphants. Un crochet à éléphant est un bâton pointu qui fait obéir l’éléphant en suscitant la peur et en infligeant de la douleur. En 2019, l’Association of Zoos and Aquariums, ou AZA, a annoncé l’abandon progressif des crochets à éléphant.

Partout dans le monde, les mesures visant à restreindre la mise en captivité des éléphants se sont multipliées. En 2019, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, qui encadre le commerce transfrontalier d’animaux sauvages, a interdit l’envoi d’éléphants d’Afrique dans les jardins zoologiques. L’année suivante, au Pakistan, le juge Athar Minallah a conclu que les animaux ont des droits constitutionnels et qu’ils jouissent de la protection du Coran. Il a ordonné le déménagement dans un refuge d’un éléphant solitaire qui vivait enchaîné dans un zoo depuis 35 ans. L’an dernier, la Cour d’appel de l’État de New York a refusé, dans un jugement à cinq contre deux, d’ordonner le déménagement de l’éléphante solitaire du jardin zoologique du Bronx, Happy. N’empêche que son cas s’est quand même rendu jusque-là.

Honorables sénateurs, les progrès réalisés pour le bien-être de nos camarades les animaux me rappellent les mots de Martin Luther King Jr :

L’arc de l’univers moral est long, mais il penche vers la justice.

Grâce au projet de loi S-15, le Canada peut devenir un modèle pour la protection des éléphants en étant le premier à inscrire officiellement dans ses lois la fin de leur mise en captivité. Tout comme le sénateur Sinclair, j’estime que les climats chauds conviendraient mieux aux éléphants qui sont encore en sol canadien. Quand il est question de la captivité des éléphants, honorables sénateurs, écoutons ce que dit la science, et la vérité sera synonyme de liberté.

Passons maintenant aux grands singes.

Les chimpanzés sont ce que nous avons de plus proche comme cousins encore en vie et ils sont originaires des forêts et des savanes de l’Afrique tropicale. Les liens familiaux et amicaux et qu’ils tissent durent toute la vie. Ces grands singes ressentent la joie, la tristesse, la peur, le désespoir et la peine. Ils s’embrassent quand ils se rencontrent, et les jeunes rient quand on les chatouille.

En 1960, Jane Goodall a été la première personne à observer les chimpanzés en train de fabriquer et d’utiliser des outils, ce qui a poussé l’anthropologue Louis Leakey à déclarer ceci dans un télégramme célèbre :

Nous devons maintenant revoir notre définition de ce qui constitue un outil et un humain, ou alors considérer les chimpanzés comme des humains.

Comme nous l’a dit le sénateur Sinclair, les chimpanzés vivent au sein de sociétés complexes et forment des alliances politiques pour atteindre leurs buts. Les mâles vont même jusqu’à essayer de charmer les plus jeunes lorsqu’ils cherchent à obtenir le pouvoir. Comme les humains, les chimpanzés peuvent être violents, mais ils prennent aussi soin de leurs parents les plus âgés et ils pleurent leurs morts.

Or, les humains ont traité ces proches parents d’une façon atroce. Depuis 1900, l’humain a réduit le nombre de chimpanzés de 70 à 80 %, et leurs populations diminuent toujours. En captivité, les chimpanzés ont été exposés dans des zoos et des cirques, possédés comme animaux de compagnie, exploités à la télévision et dans des films, envoyés dans l’espace et utilisés dans la recherche militaire et biomédicale. Les expériences sur les chimpanzés ont inclus la privation de nourriture, les électrochocs et la chirurgie, ainsi que l’exposition aux radiations, aux armes chimiques et aux maladies.

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Au Canada, six chimpanzés vivent au sanctuaire Fauna près de Montréal — et 17 de leurs congénères y sont décédés au fil des ans — dans une paix et un confort relatifs, après avoir vécu des traumatismes dévastateurs.

Les héros de Fauna, dirigé par la fondatrice Gloria Grow, ont sauvé ces chimpanzés de la recherche en laboratoire, de l’industrie du divertissement et de zoos inadaptés. Le livre à succès The Chimps of Fauna Sanctuary, écrit par Andrew Westoll, raconte leur histoire. On y parle notamment de la mort de Tom, un chimpanzé bien-aimé du sanctuaire, qui avait été capturé en Afrique avant d’être vendu à un laboratoire à des fins de recherche. Malgré ce qu’il a enduré, Tom est devenu un mentor pour les jeunes mâles et a aidé les chimpanzés les plus abîmés à se rétablir. On se souvient de lui comme d’un leader aimant et sage. Après sa mort, on a dit ceci :

[…] on peut trouver un peu de réconfort dans la simple leçon que les chimpanzés du sanctuaire Fauna enseignent à Gloria depuis plus de 10 ans maintenant : quel que soit le type de traumatisme que nous avons subi, nous avons tous la capacité de nous rétablir et d’aider les autres à guérir.

Sénateurs, le projet de loi S-15 permettra à Fauna de poursuivre son travail inspirant grâce à la délivrance de licences dans l’intérêt des chimpanzés qui en ont besoin.

Je vais maintenant parler des programmes scientifiques et des programmes de conservation des gorilles et des orangs-outans des zoos de Toronto, de Calgary et de Granby.

Les gorilles sont les plus grands primates d’Afrique centrale. Ils vivent en groupes familiaux dirigés par un gorille à dos argenté. À l’état sauvage, les gorilles sont en danger critique d’extinction, trois sous-espèces ayant perdu entre 70 % et 80 % de leur population au cours des 25 dernières années.

L’orang-outan habite les îles asiatiques de Bornéo et de Sumatra. Il se reconnaît à son pelage roux à l’allure hirsute. L’orang-outan est relativement solitaire, mais la mère est très proche de ses petits. D’aucuns prétendent même qu’il n’y a que chez l’humain que le lien maternel est plus fort et plus intense.

Les orangs-outans sont également en danger critique d’extinction : 80 % de leur habitat a été anéanti, et la population de Sumatra compte moins de 14 % des effectifs du milieu du XXe siècle.

Les zoos de Toronto, de Calgary et de Granby participent au plan de survie des espèces de l’Association of Zoos & Aquariums pour les gorilles, et on recense une nouvelle naissance à Calgary cette année. Le zoo de Toronto participe également à un tel plan pour les orangs-outans de Sumatra. Il a annoncé une nouvelle naissance l’année dernière et a élevé 13 orangs-outans depuis 1974. Ces programmes, qui répondent aux normes les plus strictes, visent à gérer des populations saines, génétiquement diversifiées et démographiquement stables à long terme comme solution de rechange aux efforts de conservation dans la nature afin de sauvegarder l’existence des espèces.

En outre, depuis 2011, le zoo de Toronto a participé à 60 études sur les gorilles et les orangs-outans en collaboration avec des universités, y compris l’Université York, l’Université de Toronto et de l’Université Laurentienne. Les vétérinaires du zoo de Calgary ont présenté leurs conclusions sur les conditions médicales des gorilles lors de conférences sur la médecine vétérinaire. L’an dernier, le zoo de Calgary a annoncé un partenariat avec deux organismes de conservation situés en Afrique de l’Ouest. Les travaux visent à soutenir les projets de recherche des cycles supérieurs au Nigeria pour aider à sauver les gorilles de la rivière Cross, un groupe qui ne compte plus que 300 individus.

Jane Goodall appuie le maintien des programmes de recherche scientifique et de conservation pour les grands singes menés par les zoos de Toronto, de Calgary et de Granby en collaboration avec l’Association of Zoos & Aquariums. Le projet de loi S-15 soutient aussi ces programmes.

D’excellents zoos contribuent à sauver des espèces en voie de disparition au Canada et partout dans le monde, y compris les grands singes, et ce faisant, ils ont tout mon appui.

Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant parler des amendements possibles au projet de loi S-15. Je crois comprendre que le gouvernement est ouvert à des modifications qui découlent des témoignages entendus au sujet de ce projet de loi et du projet de loi S-241. Heureusement, nous allons pouvoir examiner parallèlement ces deux projets de loi et ouvrir le bal avec un projet de loi émanant du Sénat. Je suppose que c’est une excellente chose.

C’est pourquoi j’estime que notre tâche en ce qui a trait au projet de loi S-15 ne consistera pas en un second examen objectif; ce sera plutôt un premier examen enthousiaste. En tant que parrain du projet de loi, je félicite le gouvernement pour son excellent bilan quand vient le temps d’étudier et d’accepter les amendements apportés par le Sénat, y compris ceux qui visaient à amender le projet de loi sur la protection des baleines, à interdire les nageoires de requin et à éliminer progressivement les essais de toxicité sur les animaux.

Le projet de loi S-15 est une étape importante dont il y a lieu de se réjouir, puisque c’est un projet de loi émanant du gouvernement qui porte sur le bien-être des animaux et qui permettrait, pour la première fois dans le monde, d’éliminer progressivement la captivité des éléphants. Cependant, nous pourrions envisager d’y apporter un amendement ou deux pour rendre permanentes les règles sur l’ivoire d’éléphant et les cornes de rhinocéros que le ministre Guilbeault a annoncées cette semaine.

Je félicite le ministre d’avoir réussi à limiter de façon importante le commerce d’ivoire d’éléphant, de cornes de rhinocéros et de trophées de chasse provenant de ces espèces tout en prévoyant des exceptions limitées pour les antiquités.

On pourrait aussi envisager d’amender le projet de loi S-15 pour interdire les promenades à dos d’éléphant; autoriser les procédures judiciaires pour la réinstallation des animaux sauvages en captivité ayant fait partie d’élevages ou de spectacles illégaux et imposer des coûts pour ces infractions au moment de la détermination de la peine; interdire la possession de grands félins dans les petits zoos privés et leur possession comme animal de compagnie; tenir compte du cadre sur les organismes animaliers prévu dans le projet de loi S-241 pour les excellents zoos qui répondent aux normes les plus rigoureuses; prévoir un mécanisme pour étendre les protections juridiques à d’autres espèces sauvages en captivité, par décision du Cabinet.

Cependant, n’oublions pas que le temps presse lorsqu’il s’agit de faire adopter au Parlement des mesures législatives sur la captivité des animaux sauvages. Nous devons agir rapidement en ayant un objectif en tête : la sanction royale. Heureusement, compte tenu des procédures gouvernementales prévues dans le projet de loi S-15, il y a de l’espoir.

Enfin, honorables collègues, j’aimerais parler du processus à venir en ce qui concerne le projet de loi S-15 et une initiative distincte, mais connexe, le projet de loi S-241, Loi de Jane Goodall. Comme vous le savez, faire avancer l’étude du projet de loi sur les baleines en captivité et du projet de loi visant à promulguer la Loi de Jane Goodall au Parlement n’a été ni rapide ni facile.

Lorsque le projet de loi « Free Willy » a reçu la sanction royale en 2019, cela a mis fin au plus long processus d’adoption d’un projet de loi de toute l’histoire parlementaire canadienne. Le périple du projet de loi a duré trois ans et demi et a nécessité 34 mois de débats et d’étude au Sénat, comparativement à 8 mois à la Chambre des communes. Au Sénat, il y a eu un amendement visant à reporter indéfiniment le projet de loi lors de la deuxième lecture; 16 audiences des comités; six mois de débat à l’étape du rapport, alors que la durée normale se calcule en jours ou en semaines; et une obstruction systématique à l’étape de la troisième lecture.

Au cours de la présente législature, le projet de loi S-241, la Loi de Jane Goodall, est devenu le projet de loi le plus débattu à l’étape de la deuxième lecture. Il a fait l’objet de 17 discours et de bien plus de cinq heures de débats avant le vote à l’étape de la deuxième lecture en juin. La plupart de ces discours appuyaient fermement le projet de loi, et je remercie les sénateurs qui ont parlé au nom des animaux. Cependant, après 14 mois de travaux, le porte-parole a pris part au débat pour s’opposer au projet de loi, en demandant que le projet de loi soit renvoyé à plusieurs comités. Par conséquent, le projet de loi S-241 est devenu le premier projet de loi d’initiative parlementaire de l’histoire du Parlement à être renvoyé à plus d’un comité, et non pas à deux, mais à trois, c’est-à-dire les comités de l’environnement, des affaires juridiques et de l’agriculture.

À ce sujet, en tant qu’ardent défenseur du secteur agricole, je tiens à souligner que ni le projet de loi S-15 ni le projet de loi S-241 ne prévoit ou ne propose quoi que ce soit en matière d’agriculture. Ces projets de loi portent seulement sur les animaux sauvages en captivité et non sur les fermes à gibier.

Néanmoins, j’accueille favorablement les études des trois comités et j’ai présenté des mémoires écrits dans le cadre de chacune d’entre elles. Malheureusement, les deux premières réunions du Comité de l’environnement pour étudier le projet de loi S-241 ont été annulées parce que le Sénat siégeait. Quoi qu’il en soit, je sais que la présidente, la sénatrice Galvez, est impatiente d’amorcer cette étude.

La procédure gouvernementale prévue dans le projet de loi S-15 permettra peut-être que la mesure législative sur la captivité des espèces animales sauvages fasse enfin l’objet d’un examen juste, opportun et transparent et reçoive la sanction royale au cours de la présente législature.

En ce qui me concerne, la dynamique procédurale entourant le projet de loi S-241 est chose du passé. Cependant, j’exhorte les sénateurs à ne pas tolérer l’instauration d’une dynamique similaire en ce qui concerne le projet de loi S-15. Nous avons perdu un temps précieux, et il est impératif que les audiences du comité débutent dans les meilleurs délais. J’exhorte les sénateurs désireux d’intervenir au sujet de ce projet de loi à s’exécuter rapidement. Nous verrons ensuite jusqu’où l’esprit des Fêtes nous permettra de faire avancer cette mesure avant la relâche.

J’ose croire que tout le monde dans cette enceinte souhaite faire ce qui s’impose pour les magnifiques créatures avec lesquelles nous partageons la planète. Je suis persuadé que si nous nous fions à la science et au savoir autochtone, nous pourrons atteindre ce but ensemble au Canada, notre grande mosaïque de nations.

(1550)

En terminant, j’aimerais lire une citation de ma source d’inspiration pour ce projet de loi, l’honorable Murray Sinclair :

[...] je veux vous rappeler que nous sommes tous liés, vous et moi et toutes les autres formes de vie. Cette compréhension nous impose des responsabilités. [...]

Honorables sénateurs, nous vivons une période de grands défis alors que le monde naturel est en danger. Toutefois, nous vivons aussi une période sous le signe de l’espoir du fait que les valeurs sociales reflètent de plus en plus un éveil spirituel et moral. Nous pouvons encore sauver cette magnifique planète, ainsi que le savoir et les cultures autochtones, et les animaux, ces êtres sacrés et innocents qui méritent notre compassion.

Honorables sénateurs, j’ai besoin de votre aide pour franchir un petit pas vers l’accomplissement de cette vision en adoptant le projet de loi S-15. Merci, hiy kitatamihin.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

La Loi sur Investissement Canada

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Clément Gignac propose que le projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je me présente devant vous aujourd’hui pour parler du projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada.

La Loi sur Investissement Canada (LIC) est un atout important pour l’économie, car elle permet, grâce à un régime réglementaire prévisible et clair, de faire du Canada une importante destination pour l’investissement étranger.

Cette loi vise à encourager la croissance économique et l’emploi et ne prévoit une intervention que si un investissement nuit à la sécurité nationale du pays.

Par contre, elle donne aussi au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour agir rapidement et de façon décisive au besoin.

Au fil des années, le gouvernement a noté trois grandes thématiques quant au besoin de renouvellement de la loi : répondre aux préoccupations stratégiques et géopolitiques; améliorer la certitude et la transparence pour les investisseurs; protéger les innovations au Canada.

[Traduction]

Le contexte géopolitique dans lequel le Canada évolue continue de changer rapidement. Des acteurs étatiques et non étatiques hostiles emploient des stratagèmes pour obtenir des biens, des technologies et de la propriété intellectuelle, des stratagèmes qui sont incompatibles avec les intérêts et les principes du Canada. Nous savons aussi que l’investissement étranger peut servir à canaliser les activités d’ingérence étrangère qui visent à affaiblir nos normes et nos institutions.

Le point de jonction entre la technologie et la sécurité nationale est évident et ne disparaîtra pas de sitôt. Les innovations technologiques rapides ont offert au Canada de nouvelles possibilités de croissance économique, mais elles ont aussi entraîné leur lot de grands défis stratégiques inédits.

[Français]

En même temps, nous devons soutenir un climat d’investissement accueillant pour les investissements bénéfiques. Cela signifie que les activités de la Loi sur Investissement Canada doivent être claires, transparentes et efficaces. Nous savons que la certitude réglementaire et la rapidité des examens sont des facteurs importants pour attirer les investissements au Canada.

Le régime canadien des investissements étrangers doit également s’adapter à la vitesse de l’innovation. Les actifs incorporels, comme la propriété intellectuelle et les données, ont pris de l’importance dans la définition de la force économique du Canada, et posent en même temps de nouveaux défis quant à la manière de les gérer.

Le Canada est une économie ouverte et fortement dotée de ressources naturelles, une économie qui fait l’envie du monde et est aussi une source de création de richesse. Toutefois, le Canada est aussi, de plus en plus, la cible d’acteurs hostiles. Ceci représente une menace à la fois pour notre sécurité nationale et notre prospérité. C’est pourquoi le gouvernement prend aujourd’hui des mesures nécessaires pour protéger le marché canadien, en faisant évoluer nos outils pour mieux nous défendre contre les menaces actuelles.

Nous vivons à une époque sans précédent où les investissements étrangers font l’objet d’examens plus approfondis sur le plan de la sécurité nationale dans le monde entier.

On peut penser notamment à la pandémie de COVID-19, aux répercussions des changements climatiques sur la sécurité, aux perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales et à l’évolution des considérations géopolitiques. Ce n’est qu’en s’outillant aujourd’hui contre les menaces de demain que le Canada restera une destination importante pour les investissements étrangers.

[Traduction]

Le moment est venu de moderniser la Loi sur Investissement Canada. Plus que jamais, le gouvernement doit prendre des mesures concrètes pour favoriser une économie novatrice et saine. Le contexte mondial a considérablement changé au cours des dernières années, notamment dans les domaines de la concurrence mondiale, de l’investissement, de la technologie et de l’accès aux minéraux critiques.

Ce dernier domaine, c’est-à-dire l’accessibilité aux minéraux critiques, est particulièrement important. Selon BloombergNEF, le Canada se classe au deuxième rang des 10 plus grands producteurs de minéraux critiques, et ce classement tient compte des exigences relatives à la durabilité.

Au début de l’année, Jakob Stausholm, le PDG de Rio Tinto, a parlé de projets miniers et métallurgiques dans le monde entier et a dit ceci : « Je ne pense pas qu’il y ait d’endroit au monde qui me rende plus optimiste que le Canada. » Ce sont là des signes encourageants que nous devons protéger.

[Français]

L’excellence reconnue du Canada en matière de technologies émergentes et sensibles et en matière de minéraux critiques constitue une cible attrayante pour les États hostiles. Grâce aux amendements proposés au moyen du projet de loi C-34, le gouvernement s’assurera qu’il dispose des bons outils pour protéger ces secteurs ainsi que la propriété intellectuelle canadienne, les données personnelles et l’infrastructure.

Chers collègues, honorables sénateurs et sénatrices, le volume et la complexité des examens des investissements étrangers augmentent, et ce changement important justifie amplement le soutien à la modernisation de la Loi sur Investissement Canada.

Fondamentalement, le gouvernement a établi qu’un régime d’examen efficace doit être solide, transparent et flexible pour s’adapter à un monde en mutation, et le moment est venu de procéder à ces changements.

Ce projet de loi représente la plus importante mise à jour de la Loi sur Investissement Canada depuis 2009. Le gouvernement prend maintenant des mesures importantes pour examiner et moderniser des aspects clés de la loi, tout en veillant à ce que le cadre général destiné à soutenir l’investissement étranger nécessaire à la croissance de notre économie reste solide et ouvert.

Honorables sénateurs et sénatrices, nous devons tous reconnaître l’importance du projet de loi C-34, même si les projets de loi se terminant par le nombre 34 ne sont pas très populaires ces jours-ci dans cette Chambre. L’autre endroit a voté à l’unanimité pour appuyer le projet de loi après l’avoir étudié en comité, sans présumer de ce qui va se passer ici.

[Traduction]

Au cours de son étude, le Comité permanent de l’industrie et de la technologie de la Chambre des communes s’est efforcé de peaufiner le projet de loi. Il était déterminé à faire en sorte que les amendements soient équilibrés afin de protéger la sécurité nationale du Canada sans nuire aux investissements étrangers avantageux.

Les membres du comité se sont réunis 12 fois et ont entendu de nombreux experts en la matière qui leur ont fourni des points de vue utiles et précieux sur le régime canadien d’examen des investissements, les questions de sécurité nationale, le traitement des actifs incorporels et la nécessité de veiller à ce que l’économie du Canada reste saine.

[Français]

Permettez-moi maintenant de passer en revue les sept modifications principales à la Loi sur Investissement Canada proposées dans le projet de loi C-34.

Premièrement, une nouvelle exigence de dépôt préalable sera instaurée pour certains investissements. Ceci permettra au Canada de disposer d’une meilleure vue sur les investissements dans certains secteurs d’activité désignés, surtout dans les cas où l’investisseur aurait accès à des actifs et à des renseignements techniques importants qui ne sont pas accessibles au public, comme de la propriété intellectuelle de fine pointe ou des secrets commerciaux, à la clôture de l’investissement.

Le gouvernement peut donc veiller à prévenir de tels dommages irréparables. Les investisseurs devront déposer un avis d’investissement dans les délais prescrits dans la réglementation.

Une exigence générale de dépôt préalable à la mise en œuvre, sans tenir compte des nuances du secteur d’activité, du type de transaction ou d’autres faits pertinents, aurait un impact inutilement lourd sur les investissements nécessaires et bénéfiques au Canada, sans pour autant améliorer l’analyse de la sécurité nationale. Une approche ciblée favorisera la transparence et la certitude pour les investisseurs.

(1600)

Deuxièmement, le projet de loi rend le processus d’examen de la sécurité nationale plus efficace en donnant au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, en consultation avec le ministre de la Sécurité publique, le pouvoir de prolonger l’examen de la sécurité nationale des investissements, alors qu’auparavant, un décret était nécessaire à ce stade, avec toute la lourdeur que peut entraîner un décret — j’ai connu cela dans une vie antérieure.

La suppression de l’étape supplémentaire de l’obtention d’un décret donnera plus de temps à nos experts interministériels en matière de sécurité et de renseignement pour achever leur travail essentiel, y compris l’analyse de renseignements évaluant les risques d’une transaction pour la sécurité nationale.

Troisièmement, les modifications touchent aux pénalités pour les cas de non-conformité aux dispositions de la Loi sur Investissement Canada. Celles-ci ont été fixées il y a déjà plusieurs décennies et ne correspondent plus aux évaluations courantes des transactions ni à l’inflation.

Par exemple, pour les dispositions actuelles de la Loi sur Investissement Canada, la pénalité maximale de 10 000 $ par jour, qui a été établie en 1985, sera augmentée à 25 000 $ par jour par infraction, et ce, sans limite. De plus, on a établi une nouvelle pénalité pour les investisseurs qui omettent d’effectuer le dépôt d’avis préalable; ces investisseurs écoperont d’une amende de 500 000 $ ou d’un montant prévu par règlement, selon le montant le plus élevé.

Cette mise à jour assurera que les pénalités auront un plus grand effet de dissuasion.

Quatrièmement, le projet de loi autorise le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, après consultation auprès du ministre de la Sécurité publique, à imposer des conditions provisoires à un investissement étranger.

Ceci permettra de réduire le risque d’atteinte à la sécurité nationale au cours de l’examen lui-même, par exemple au moyen d’un transfert éventuel d’actifs, de propriété intellectuelle ou de secrets commerciaux avant la fin de l’examen.

Cinquièmement, la loi offre plus de souplesse dans l’atténuation des risques à la sécurité nationale en permettant, grâce à la collaboration entre le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie et le ministre de la Sécurité publique, d’accepter des engagements contraignants de la part des investisseurs. Ces engagements devront démontrer qu’ils réduisent adéquatement les risques à la sécurité nationale qui découleraient de l’investissement en question.

Auparavant, l’imposition des engagements visant à atténuer les risques en matière de sécurité nationale d’une transaction ne pouvait être imposée que par le biais d’un décret du gouverneur en conseil. Avec des engagements contraignants qui peuvent être discutés et acceptés à l’échelon ministériel, ceux-ci peuvent aussi être éventuellement modifiés ou même résiliés au besoin.

Sixièmement, le projet de loi permet au Canada de partager des informations spécifiques avec ses homologues internationaux, afin de contribuer à la protection des intérêts communs en matière de sécurité.

Ce type de coopération est important dans le cas d’un investisseur qui peut être actif dans plusieurs juridictions et qui recherche la même technologie, par exemple. Le gouvernement disposerait d’une plus grande marge de manœuvre pour partager ces informations, même si, bien entendu, ce partage se ferait sur la base d’une évaluation des dispositions en matière de confidentialité et d’autres préoccupations.

Le régime canadien d’examen des investissements vise l’excellence et, pour atteindre cette excellence, il faut collaborer étroitement avec nos alliés, dont plusieurs, y compris le Groupe des cinq — on parle de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Canada, du Royaume-Uni et des États-Unis —, ont mis à jour ou adopté de nouveaux mécanismes d’examen pour répondre à l’évolution des menaces géopolitiques. Ce projet de loi permet au gouvernement d’adopter une approche cohérente face à ses alliés et à nos préoccupations communes en matière de sécurité nationale, notamment en ce qui concerne les questions liées au transfert de technologies.

Finalement, la loi instaure de nouvelles dispositions pour la protection des renseignements dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions. Cette modification permettra au gouvernement de s’appuyer sur des renseignements sensibles pour défendre ses décisions relatives à la sécurité nationale, tout en protégeant ces renseignements contre la divulgation. Ces nouvelles dispositions permettent aussi aux demandeurs de participer plus pleinement à la procédure.

[Traduction]

Chers collègues, je tiens maintenant à prendre un moment pour discuter de certains amendements adoptés par l’autre endroit lors de l’étude du projet de loi par le Comité permanent de l’industrie et de la technologie.

[Français]

Tout d’abord, tous les partis à l’autre endroit se sont mis d’accord sur la présentation d’amendements visant à renforcer l’importance de la transparence.

Il s’agit notamment d’autoriser la divulgation par le ministre de l’identité des parties soumises à des ordonnances définitives en vertu de la Loi sur Investissement Canada lorsque l’examen de la sécurité nationale est terminé et d’introduire l’obligation de faire rapport aux organismes de surveillance lorsque certains pouvoirs sont utilisés conformément à la Loi sur Investissement Canada.

Deuxièmement, à la suite d’amendements proposés par un député conservateur de la Nouvelle-Écosse, le comité a proposé que le ministre dispose d’un nouveau pouvoir : il peut dorénavant demander un décret pour examiner l’avantage net de tout investissement d’une entreprise d’État provenant d’un investisseur n’ayant pas conclu d’accord commercial, quel que soit le seuil. Actuellement, ce n’est pas le cas. Toutefois, s’il n’y a pas d’accord commercial avec un autre pays, les seuils ne s’appliquent pas, et c’est le premier dollar qui se trouve à être analysé. Cette disposition ne s’applique qu’aux investisseurs qui n’ont pas conclu d’accord commercial. Par exemple, nous n’avons pas d’accord commercial avec la Chine.

Troisièmement, les amendements préciseront que les ventes d’actifs relèvent de la compétence générale des pouvoirs d’examen de la sécurité nationale prévus par la loi. Cela clarifie la compétence de la Loi sur Investissement Canada pour les parties prenantes, à la fois les entreprises canadiennes et les investisseurs étrangers.

Quatrièmement, au moyen d’une série d’amendements proposés par le député néo-démocrate de Windsor-Ouest et le député libéral de Mississauga—Malton, le projet de loi modifié clarifie la prise en compte du traitement de la propriété intellectuelle et des données personnelles des Canadiens lors de l’examen de l’avantage net.

Cinquièmement, grâce à un amendement proposé par un député conservateur de la Nouvelle-Écosse, le projet de loi modifié fera progresser le processus d’examen de la sécurité nationale lorsque l’investisseur a été reconnu coupable de corruption dans une juridiction quelconque.

Tous ces amendements, qui ont été acceptés par le gouvernement, montrent bien que les projets de loi originaux sont perfectibles. Je salue cette ouverture d’esprit du gouvernement, et je rappelle l’importance des travaux du comité. Ce sont les travaux du comité de l’autre endroit qui ont permis de bonifier ce projet de loi.

[Traduction]

Le projet de loi C-34 est un outil important pour suivre l’évolution de la situation économique et géopolitique. Bien que la Loi sur Investissement Canada accorde de vastes pouvoirs d’intervention dont nous avons besoin afin de prévenir les risques pour la sécurité nationale que peuvent présenter des investissements étrangers, les modifications proposées dans le projet de loi s’appuient sur cette base solide pour améliorer les mécanismes entourant le processus d’examen relatif à la sécurité nationale qui vise les investissements.

Ensemble, ces modifications législatives permettraient au Canada de continuer à profiter des avantages économiques liés aux investissements étrangers tout en renforçant notre capacité d’intervenir rapidement et efficacement pour lutter contre les menaces visant notre sécurité nationale et économique.

Chers collègues, il convient de noter que, pour les six premiers mois de 2023, le Canada s’est classé au troisième rang des pays de l’OCDE, derrière les États-Unis et le Brésil, en ce qui concerne les investissements étrangers directs. Ce n’est qu’une raison supplémentaire pour laquelle il nous faut une loi modernisée qui apporte clarté et prévisibilité aux investisseurs étrangers.

[Français]

La loi encourage la croissance économique et elle donne au gouvernement la possibilité d’agir rapidement si les circonstances l’exigent. Il ne fait aucun doute que le moment est venu de moderniser la Loi sur Investissement Canada et de l’adapter au monde d’aujourd’hui.

Honorables sénateurs, comme l’indique le vote unanime à l’autre endroit, s’il y a une chose sur laquelle nous pouvons tous être d’accord, c’est sur la protection de nos atouts et la sauvegarde de notre prospérité.

Je me réjouis à l’idée de travailler avec le porte-parole désigné par l’opposition, le sénateur Carignan, ainsi qu’avec vous tous, pour faire progresser ce projet de loi.

Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

(1610)

[Traduction]

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 22 novembre 2023, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 28 novembre 2023, à 14 heures.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Question de privilège

Report de la décision de la présidence

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, nous passons à la question de privilège soulevée récemment par la sénatrice Saint-Germain. Je suis maintenant prête à entendre des arguments, tel qu’annoncé mardi. Comme je l’avais dit alors, j’invite les sénateurs à faire des interventions aussi brèves que possible et à ne présenter que de nouveaux points.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Tout d’abord, Votre Honneur, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’examiner les enjeux soulevés mardi, de faire des recherches et de préparer mes observations. En premier lieu, je mettrai en contexte les événements qui se trouvent au cœur de la question de privilège de la sénatrice Saint-Germain.

En deuxième lieu, je mettrai en évidence quelques éléments qui devraient, selon moi, guider votre décision.

Enfin, je conclurai avec des considérations d’ordre personnel.

Je vous prie à l’avance de m’excuser, Votre Honneur, car mon intervention risque de ne pas être tout à fait aussi courte que vous le souhaitiez. J’espère que vous serez indulgente.

Je reviendrai plus tard sur les faits qui se sont produits le 9 novembre et qui ont été soulevés mardi. Je commencerai toutefois par expliquer à la présidence et à nos collègues pourquoi les sénateurs de l’opposition étaient mécontents — plusieurs vous diront même furieux — quand le débat sur le projet de loi C-234 a été ajourné.

Premièrement, nous avions l’impression — j’avais l’impression — qu’une entente avait été conclue entre les groupes pour terminer le débat le jeudi 9 novembre. En ce qui nous concerne, nous nous étions entendus 10 jours plus tôt. Bien entendu, il revient à tous les leaders ou à tous les groupes de changer d’avis. On aurait pu s’y attendre, mais on se serait peut-être attendu à ce que les autres leaders — s’ils avaient changé d’idée — m’avisent que le débat sur le projet de loi C-234 ne se terminerait pas ce soir-là. Ils ne l’ont pas fait.

Les différents groupes et leurs leaders ont tout à fait le droit de conclure des ententes — ou non — pour faire adopter des projets de loi ou choisir le moment du débat. Ils ont tout à fait le droit de changer d’avis. Je crois toutefois qu’il est de courtoisie élémentaire d’aviser les autres groupes lorsqu’il y a un changement après la conclusion d’une entente, et c’est habituellement le cas; ce ne l’a pas été le 9 novembre.

Deuxièmement, nous avons été quelque peu surpris lorsque la sénatrice Moncion a proposé un amendement. Je vous rappelle, Votre Honneur, que dans notre esprit, le débat sur le projet de loi devait se terminer ce jour-là, alors, à notre grande surprise, un sénateur a proposé un amendement. La sénatrice Moncion, comme tout autre sénateur, a le droit absolu de proposer un amendement à n’importe quel projet de loi, quelle que soit la teneur de cet amendement, et nous reconnaissons et respectons ce droit.

Les sénateurs savent que la plupart du temps, les préavis d’amendement sont présentés lors de la réunion de préparation. Le 9 novembre, aucun préavis de ce genre n’a été donné aux autres groupes, en tout cas certainement pas à nous.

Comme je l’ai dit, un sénateur a parfaitement le droit de proposer un amendement. C’est toutefois faire preuve de courtoisie élémentaire que d’en informer les autres groupes. On ne nous a pas accordé cette courtoisie élémentaire.

Enfin, la sénatrice Clement a proposé l’ajournement du débat avant que le moindre sénateur ait pu intervenir à ce sujet. Comme on l’a signalé mardi, l’ajournement est généralement proposé après que les sénateurs qui souhaitent participer au débat ce jour-là puissent le faire.

Nous n’avons jamais dit que nous ne voulions pas que des sénateurs qui n’étaient pas dans la salle ce jour-là — comme le sénateur Woo l’a laissé entendre l’autre jour, car il ne pouvait être présent — ne puissent pas participer au débat à une date ultérieure. Ce qui était inhabituel, c’est que l’ajournement a été proposé avant même que la liste des personnes — celles qui étaient dans la salle et qui étaient debout — qui souhaitaient intervenir soit épuisée ou, en l’occurrence, entamée.

Sachez, chers collègues, que dans sa hâte d’ajourner le débat — afin de permettre aux sénateurs qui n’étaient pas dans cette enceinte de participer au débat à une date ultérieure —, la sénatrice Clement a peut-être empêché un des sénateurs présents, le 9 novembre, de participer au débat, alors qu’il voulait le faire, mais qui pourrait ne pas pouvoir être ici à une date ultérieure. Cette personne aurait eu le droit de participer au débat.

Un sénateur a tout à fait le droit d’ajourner le débat sur une motion ou un amendement. Je le répète, c’est une simple question de courtoisie de dire aux sénateurs qui sont sur place et qui veulent intervenir de le faire avant de proposer l’ajournement du débat. C’est dans ce contexte que l’ajournement a été proposé et qu’un vote par appel nominal a été demandé. Je me suis ensuite rendu auprès de la sénatrice Saint-Germain, qui était assise à côté de la sénatrice Clement. J’y reviendrai plus tard dans mes observations à propos des événements qui ont eu lieu à ce moment précis.

Avant de me pencher sur les faits précis qui ont été soulevés et examinés pour déterminer si le privilège d’un sénateur a effectivement été bafoué, permettez-moi de préciser ce qu’on entend par « privilège ». Dans l’ouvrage d’Erskine May intitulé Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, on trouve la définition classique de « privilège parlementaire », qui va comme suit :

Le privilège parlementaire est la somme de certains droits à chaque chambre, collectivement [...] et aux membres de chaque chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers [...]

À la page 224 de La procédure du Sénat en pratique, on peut lire :

Le but du privilège est de permettre au Parlement et, par extension, à ses membres de remplir leurs fonctions sans ingérence ou obstruction injustifiée. Il appartient essentiellement et collectivement à l’assemblée ou à la Chambre. Les parlementaires ne peuvent l’invoquer que dans la mesure où « une atteinte à leurs droits ou des menaces risqueraient d’entraver le fonctionnement de la Chambre ».

À la page 226, on peut lire :

Les privilèges individuels des sénateurs comprennent :

la liberté de parole au Parlement et dans ses comités;

l’immunité d’arrestation dans les affaires civiles;

l’exemption du devoir d’être juré et de l’obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal;

la protection contre l’obstruction et l’intimidation.

Selon Erskine May, les privilèges du Parlement sont des droits « absolument indispensables à l’exercice de ses pouvoirs ». Le privilège n’est pas seulement quelque chose d’agréable à avoir; c’est le strict minimum nécessaire pour que les parlementaires fassent leur travail.

(1620)

En ce qui concerne la question de privilège soulevée mardi, un seul de ces privilèges aurait été violé : la protection contre l’obstuction par intimidation.

Le cinquième rapport du Comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure publié le 6 mai 1993 et cité à la page 2052 des Journaux du Sénat, dit ceci :

Les réflexions défavorables à l’endroit d’un sénateur ou du Sénat peuvent constituer des atteintes au privilège, mais seulement dans la mesure où elles empêchent le sénateur ou le Sénat d’exercer leurs fonctions parlementaires.

Donc, pour qu’il y ait une atteinte au privilège d’un sénateur, il faut des preuves de l’obstruction ou de l’intimidation et il faut également des preuves du fait que l’obstruction ou l’intimidation ont empêché le sénateur d’exercer ses fonctions parlementaires.

Mardi, la sénatrice Saint-Germain a déclaré : « L’événement en question a affecté plusieurs sénateurs et a eu un effet négatif sur le Sénat en tant qu’institution. » C’est peut-être vrai, sauf que le fait qu’un ou plus d’un sénateur a aient été touchés ou que la situation ait eu un effet négatif sur le Sénat ne constituent pas des atteintes au privilège. Le privilège est défini de façon très étroite. C’est normal, car le privilège parlementaire est « une immunité par rapport au droit commun », comme l’a dit le Président Furey le 1er mars 2018, ou un ensemble de pouvoirs qui « dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers », comme l’écrit Erskine May dans la définition que j’ai citée plus tôt.

En tout respect, le privilège ne protège pas le Sénat d’un effet négatif ni les sénateurs d’être touchés. Le privilège ne met ni les sénateurs ni le Sénat à l’abri de tout ce qui peut être dit de négatif à leur sujet. Il les protège contre toute entrave à l’exercice de leurs fonctions parlementaires.

Quels sont les faits qui entourent ce qui s’est passé le 9 novembre et qui ont été soulevés par la sénatrice Saint-Germain? La sénatrice a dit que j’ai violemment jeté mon écouteur, que je me suis tenu devant les sénatrices Saint-Germain et Clement en criant et en les réprimandant, que j’ai pointé du doigt la sénatrice Moncion, que le sénateur MacDonald a proféré le mot « fasciste » et que des menaces ont été brandies de bloquer les travaux des comités présidés par les membres du Groupe des sénateurs indépendants. La sénatrice Saint-Germain a également accusé les sénateurs Batters et Housakos d’avoir regazouillé une publication d’Andrew Scheer invitant les Canadiens à téléphoner aux bureaux de deux sénatrices. Elle s’est également offusquée des gazouillis du sénateur Wells, accusant les dirigeants du Groupe des sénateurs indépendants de manigancer avec la présidence du Sénat.

La sénatrice Saint-Germain n’a jamais expliqué en quoi l’un ou l’autre de ces faits a empêché des sénateurs d’assumer leurs fonctions parlementaires. Elle n’a jamais soutenu qu’on avait nui à sa capacité ou à la capacité de tout autre sénateur de participer à un débat ou à un vote sur le projet de loi C-234 ou sur toute autre question au Sénat. D’ailleurs, le 9 novembre, les sénatrices Saint‑Germain, Clement et Moncion ont toutes voté sur la motion d’ajournement du débat sur le projet de loi C-234. A-t-on porté atteinte au privilège d’au moins un sénateur le 9 novembre ou lorsqu’on a publié et republié les gazouillis? Vous constaterez, Votre Honneur, qu’aucun des sénateurs qui ont pris la parole mardi n’ont cité la décision d’un ancien Président ou d’une autre personne pour faire la démonstration qu’il y avait eu atteinte au privilège. Il y a une raison à cela, Votre Honneur : c’est parce qu’il n’y a pas eu atteinte au privilège.

Cependant il existe plusieurs précédents où on a étudié la question de privilège et rendu des décisions qui, selon moi, pourraient orienter la vôtre, Votre Honneur. Voyons ce que les précédents nous indiquent.

Premièrement, tout n’est pas couvert par le privilège. Le 1er mars 2018, l’ancien Président Furey a rendu une décision sur une question de privilège soulevée par la sénatrice McPhedran où il a dit ceci :

Le privilège a pour objet de permettre au Parlement et à ses membres de s’acquitter de leurs fonctions législatives et délibératives, sans ingérence injustifiée. Le privilège ne protège pas toujours toutes les activités exercées par les sénateurs dans le cadre de leur travail, et ce, peu importe leur valeur et leur mérite.

Un sénateur ne jouit pas du privilège parlementaire à tous les égards. Pour qu’il y ait atteinte au privilège, il doit y avoir une ingérence indue dans l’exercice de ses fonctions législatives et délibératives.

Deuxièmement, les propos vifs, offensants ou accusateurs au Sénat n’ont rien à voir avec le privilège. Le 21 avril 2009, l’ancien Président Kinsella a été appelé à rendre une décision concernant une question de privilège soulevée par le sénateur Harb au sujet de propos qui avaient été tenus au cours du débat. Je cite sa décision :

Selon le deuxième critère, la question doit concerner directement le privilège. À cet égard, le sénateur Harb s’est senti visé personnellement par les commentaires, qu’il a perçus comme une tentative de le réduire au silence. Dans les faits, rien n’a vraiment empêché le sénateur de poursuivre son intervention. Si les commentaires ont posé un problème, c’est plutôt parce qu’ils pouvaient être « vifs, offensants ou accusateurs », pour reprendre les termes de l’article 51. Pour cette raison, il s’agissait peut-être d’une question pouvant faire l’objet d’un rappel au Règlement, mais certainement pas d’une question touchant le privilège.

Même lorsque les mots employés sont vifs, offensants ou accusateurs, l’attaque d’un sénateur ne constitue pas une atteinte au privilège, surtout si cela n’a pas empêché le sénateur de participer au débat.

En fait, le privilège protège la liberté de s’exprimer, et non le droit d’être épargné de l’expression d’autrui. Dans une décision rendue le 5 octobre 2010, l’ancien Président Kinsella a dit :

Le privilège fondamental dont il est question ici est celui de la liberté d’expression. Comme nous pouvons le lire aux pages 89 et 90 de la deuxième édition de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, ce privilège est :

[Le] droit de loin le plus important qui soit accordé aux députés [...] un droit fondamental, sans lequel ils ne pourraient remplir convenablement leurs fonctions. Cette liberté leur permet d’intervenir sans crainte dans les débats de la Chambre, de traiter des sujets qu’ils jugent pertinents et de dire tout ce qui, à leur avis, doit être dit pour sauvegarder l’intérêt du pays et combler les aspirations de leurs électeurs.

Selon ce qu’on peut lire à la page 96 de la 23e édition d’Erskine May, voici ce que cela signifie :

Sous réserve des règles applicables au débat, un membre du Parlement peut dire ce que bon lui semble dans un débat, même si cela blesse certaines personnes ou ternit leur réputation, et le privilège dont il jouit le met à l’abri de toute poursuite en diffamation, et de toute autre question ou tracasserie.

Troisièmement, les attaques dans les médias et les médias sociaux ne relèvent pas d’une question de privilège.

Si certains sénateurs peuvent avoir l’impression d’être injustement attaqués dans les médias ou sur les plateformes de médias sociaux, cela ne constitue pas une atteinte à leurs privilèges. Permettez-moi de citer à nouveau la décision de l’ancien président Kinsella du 14 décembre 2009 :

Comme le philosophe anglais John Stuart Mill le soulignait dans De la liberté, il y a plus de 150 ans, le rôle des parlementaires ne consiste pas à priver le citoyen de sa liberté, surtout en ce qui concerne la liberté d’expression.

Nous comprenons aujourd’hui l’importance d’encourager la participation du public aux affaires nationales. Cela fait partie de cette démocratie vigoureuse qui est nôtre, au Canada. Des critiques bien informées de la part des membres du public et d’observateurs éclairés contribuent à la qualité des débats au Parlement et, par conséquent, à la qualité des mesures législatives et des politiques.

Mais avec les critiques utiles, nous devons aussi nous attendre, trop souvent, à des commentaires irréfléchis, voire durs et blessants. Évidemment, ce n’est pas agréable, mais quiconque occupe un poste au Parlement, au cœur de la vie publique, s’expose à des critiques parfois injustifiées ou insensées. Ce ne sont pas là mes paroles, mais une citation.

(1630)

Pour qu’il y ait atteinte aux privilèges, les menaces doivent être graves. Je cite de nouveau la décision du Président Kinsella :

Il peut aussi être intéressant de noter que, lorsqu’il évoque des tentatives d’influencer le comportement de parlementaires, le Beauchesne semble envisager plus que des commentaires inconvenants ou désobligeants. Aux termes du commentaire 99, l’usage actuel veut que l’enquête soit confiée « aux forces de police ordinaires ». Cela laisse entendre beaucoup plus que de simples propos tenus dans un communiqué. Cela sous‑entend des menaces directes, voire une intimidation physique.

Quatrièmement, il faut qu’un sénateur ou que le Sénat ne soit pas en mesure d’exercer ses fonctions. Comme je l’ai déjà dit, pour invoquer ses privilèges, un parlementaire doit prouver non seulement qu’il a reçu ce qui pourrait être perçu comme une menace, mais aussi qu’il a été entravé dans l’exercice de ses fonctions, et non pas qu’il a été dérangé ou affecté par ces menaces perçues.

Le 1er novembre 2017, le Président Furey s’est prononcé sur une question de privilège que j’avais soulevée au sujet d’une lettre de la sénatrice Lankin. Voici ce qu’il a dit :

Le privilège parlementaire a trait aux privilèges, aux immunités et aux pouvoirs dont jouissent le Sénat et chacun de ses membres et sans lesquels ils ne pourraient s’acquitter de leurs fonctions législatives. En outre, comme il est souligné à la page 228 de La procédure du Sénat en pratique :

Pour que les sénateurs puissent s’acquitter convenablement de leurs fonctions, il est tout à fait logique [qu’ils] soient aussi protégés contre l’ingérence en ce qui concerne leurs fonctions. Par exemple, tout geste visant à empêcher un sénateur d’entrer au Parlement ou à l’intimider dans l’exercice de ses fonctions constitue une atteinte à ce privilège.

Il ajoute ensuite ceci :

Je comprends que la lettre de la sénatrice Lankin ait pu déranger certains sénateurs, mais rien n’empêche les sénateurs de poursuivre leurs travaux visant le projet de loi C-210. Le projet de loi est encore inscrit à l’ordre du jour et il est appelé chaque jour où le Sénat siège, conformément à la pratique habituelle. Les sénateurs demeurent libres de disposer du projet de loi comme ils l’entendent, l’indépendance du Sénat et des sénateurs n’est pas minée par cette lettre.

Je vous soumets, Votre Honneur, que plusieurs de vos prédécesseurs ont dit la même chose dans d’autres décisions. Dans une décision rendue le 7 novembre 1995, le Président Molgat a affirmé qu’une réflexion peut être troublante, désagréable ou choquante, mais qu’il ne peut y avoir matière à question de privilège que si elle empêche les députés de faire leur travail convenablement :

Les réflexions défavorables à l’endroit d’un sénateur ou du Sénat peuvent constituer des atteintes au privilège, mais seulement dans la mesure où elles empêchent le sénateur ou le Sénat d’exercer leurs fonctions parlementaires. L’application du principe est donc très étroite, et il faut distinguer le privilège des actions en diffamation, auxquelles peuvent recourir tous les citoyens devant les tribunaux civils. Il est extrêmement difficile de se prévaloir de la protection offerte par cet aspect du privilège parlementaire. Il doit exister un lien quelconque entre la diffamation présumée et le travail parlementaire du sénateur.

Dans une décision rendue le 8 mai 2003, le Président a souligné que, même si le libellé d’un message officiel de l’autre endroit peut sembler sévère ou ferme, cela ne constitue pas nécessairement une atteinte au privilège.

Dans le même ordre d’idées, le 12 février 2008, le Président Kinsella a conclu que, en l’absence d’une menace quelconque, un message d’une Chambre ne peut être traité comme un rappel au Règlement ou une atteinte au privilège.

Le 14 décembre 2009, le Président Kinsella a également déclaré qu’il ne peut y avoir atteinte au privilège si le sénateur qui soulève la question et le Sénat dans son ensemble peuvent s’acquitter de leurs fonctions.

Le sénateur Cools peut s’exprimer librement sur le projet de loi, sous réserve de nos usages et des dispositions du Règlement, et d’autres sénateurs peuvent faire de même. Rien n’a porté atteinte à la liberté d’expression du sénateur Cools et des autres sénateurs. Et, quand il le voudra, le Sénat rendra une décision sur la deuxième lecture du projet de loi C-268.

Quoi qu’il soit arrivé le 9 novembre ou qu’il se soit dit sur les réseaux sociaux, il n’y a aucune preuve qu’un sénateur n’ait pas pu s’exprimer ou voter librement ce jour-là ou depuis. Il n’y a aucune preuve que tout cela ait porté atteinte au droit du Sénat de se pencher sur le projet de loi C-234. En fait, tout ce qui s’est produit depuis ce soir-là indique le contraire. Pour répondre à la question de savoir s’il y a présomption suffisante d’atteinte au privilège, je dirais donc ceci.

Premièrement, je rappelle l’argument que j’ai fait valoir mardi, à savoir que l’avis de la sénatrice Saint-Germain n’était pas suffisamment étoffé et que, par conséquent, sa question de privilège est irrecevable. Je ne remets pas en question les faits que la sénatrice a présentés mardi. J’interprète peut-être certains de ces faits un peu différemment de mon point de vue, mais ils sont ce qu’ils sont.

Toutefois, Votre Honneur, la question que vous devez trancher est la suivante : y a-t-il eu, ce soir-là ou depuis, atteinte au privilège? Pour moi, la réponse est clairement négative. À moins de redéfinir la motion de privilège parlementaire, il n’y a pas eu atteinte au privilège.

Ce qui s’est produit ici le 9 novembre et les agissements de certains sénateurs sur les réseaux sociaux, aussi offensants soient-ils, ne sont pas protégés par le privilège. Comme je le disais, le privilège parlementaire est très pointu. Il n’empêche pas les sénateurs d’être dérangés par le comportement d’un collègue. Il ne les protège pas non plus contre les propos difficiles à entendre ni contre les attaques, que ce soit dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Or, même si cela peut sembler intolérable à certains sénateurs, le privilège n’empêche pas non plus les Canadiens de se rassembler devant l’édifice du Sénat pour exprimer leur opinion. Il ne fait pas du Sénat, qui débat et adopte des lois qui ont une incidence sur le quotidien de tous nos concitoyens, une tour d’ivoire douillette à l’abri du bruit et de la furie de la scène politique.

Comme l’ont dit vos prédécesseurs dans les décisions dont j’ai fait mention, Votre Honneur, la pression politique fait partie intégrante du travail des sénateurs. Reste maintenant à savoir s’il s’agit de menaces et si celles-ci nuisent au travail des sénateurs.

Cette semaine, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de la Chambre des communes a adopté une résolution exhortant le Sénat à adopter le projet de loi S-234 sans amendement. Y a-t-il quelqu’un ici qui s’est senti menacé par cette résolution? Que les représentants élus des Canadiens expriment encore une fois le souhait que ce texte législatif soit adopté empêche-t-il le Sénat de faire son travail? Je ne le crois pas et je crois que personne ne pourrait soutenir le contraire.

Même si les faits qui vous ont été soumis, Votre Honneur, étaient protégés par le privilège, la preuve n’a pas été faite qu’il y a eu entrave au travail d’un sénateur ou du Sénat. D’ailleurs, aucun des sénateurs qui ont pris la parole mardi n’a dit qu’un sénateur s’était trouvé dans l’impossibilité d’accomplir ses fonctions. C’est l’essence même du privilège.

Compte tenu des décisions rendues par vos prédécesseurs, Votre Honneur, il est évident que les faits énoncés par la sénatrice Saint‑Germain ne constituent pas une atteinte au privilège.

S’il y avait eu manquement au décorum ou utilisation de propos offensants, cela aurait fait l’objet d’un rappel au Règlement. C’est ce qui aurait été approprié.

Tout sénateur qui se sent menacé ne doit jamais hésiter à signaler la menace à notre service de sécurité et à la police. C’est ce que la sénatrice Clement a fait, et je l’en félicite.

Votre Honneur, il ne me reste que quelques minutes. Avant que vous ne rendiez votre décision, j’estime qu’il est important que vous examiniez comment le Sénat fonctionne — pas seulement un soir donné, mais régulièrement.

Vous savez tous que je suis ici depuis longtemps. Je ne suis pas en train de dire que nous sommes en compétition les uns contre les autres pour savoir lequel d’entre nous est le moins bien traité au Sénat et dans les médias, mais je pense qu’il est important pour moi de raconter quelques anecdotes qui se sont produites depuis que je suis sénateur.

Certains sénateurs ont envoyé des lettres au chef du Parti conservateur il y a quelque temps pour lui demander de faire ce qu’ils pensaient que je devais faire. J’ai déjà parlé de la lettre de la sénatrice Lankin, car elle a fait l’objet d’une question de privilège que j’ai soulevée lorsqu’elle a écrit cette lettre à notre leader.

(1640)

Le 15 octobre 2020, le sénateur Dalphond a écrit une lettre à Erin O’Toole et en a envoyé une copie à d’autres députés conservateurs pour leur demander de faire pression sur moi pour que cesse l’obstruction du Sénat à l’égard des projets de loi d’intérêt privé. N’est-il pas un peu ironique, chers collègues, de voir ce même sénateur Dalphond participer au report du projet de loi C-234?

J’ai cessé de compter le nombre de ministres, de secrétaires parlementaires, de députés et de sénateurs qui ont utilisé les médias sociaux pour me dire ce que je devais faire ou ne pas faire ou inviter leurs abonnés à communiquer avec moi.

Je vais vous donner deux exemples. Premièrement, le secrétaire parlementaire libéral Mark Gerretson a publié le gazouillis suivant en mai : « Je demande au sénateur Don Plett de cesser de tergiverser et de sévir contre la criminalité en adoptant le projet de loi C-21. » Il avait tout à fait le droit d’envoyer ce gazouillis, même si le fait qu’il m’accuse de retarder l’adoption d’un projet de loi dont nous n’étions pas encore saisis au Sénat à l’époque le faisait paraître un peu ridicule.

Le sénateur Klyne a utilisé plusieurs fois Twitter pour me demander d’accélérer l’adoption du projet de loi C-241. Je n’ai rien trouvé à redire à cela. Il faisait son travail. Cela me convient.

Je ne pense pas qu’un sénateur soit la cible de plus d’attaques personnelles que moi au Sénat, et je m’en accommode. Je ne me souviens pas d’un discours du sénateur Woo ou du sénateur Dalphond qui ne contenait pas une attaque contre moi ou notre groupe. Ces deux sénateurs ultra-partisans cherchent-ils à m’intimider et à intimider mes collègues et notre personnel? C’est probablement le cas, mais ils sont ce qu’ils sont.

Je vous rappelle, Votre Honneur, que la sénatrice McPhedran m’a insulté dans son premier discours. Elle n’était ici que depuis quelques jours et a dit quelque chose qu’elle a été obligée de rétracter.

Il y a quelques années, une manifestation s’est déroulée ici même, devant l’édifice du Sénat, où des gens m’insultaient et brandissaient des pancartes sur lesquelles se trouvait ma photo. J’ai été incapable de franchir la porte principale. J’ai dû être escorté jusqu’à la porte arrière. Cette manifestation avait été organisée à la demande d’autres sénateurs. Si ma mémoire est bonne, personne ne les a interpellés à ce sujet — je ne l’ai pas fait.

Il y a quelques semaines, un groupe de manifestants pro‑palestiniens a encerclé ma voiture, a sauté dessus, a tapé sur le toit de ma voiture et a essayé de m’empêcher de conduire. Les médias en ont parlé. Cela fait partie de la routine quotidienne d’un sénateur.

En 2014, après une réunion de comité, j’ai reçu 1 300 courriels en une nuit. Le Comité des affaires juridiques étudiait le projet de loi sur la prostitution. Laissez-moi vous dire qu’aucun de ces courriels n’était gentil à mon endroit. Certains contenaient des menaces, d’autres, des photos trafiquées de moi.

J’ai participé à l’étude de nombreux projets de loi controversés au fil des ans. J’ai reçu des tonnes de messages sur les dauphins, les thérapies de conversion, les droits des personnes transgenres, la prostitution, la Commission canadienne du blé, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et les éléphants, entre autres, et je vous assure que ce n’étaient pas toujours des messages d’admirateurs.

Encore une fois, honorables sénateurs, je ne veux en aucun cas minimiser ce qui s’est passé le 9 novembre dernier. Ce que je dis, c’est que la violence dans le discours public n’est malheureusement ni nouvelle ni propre au Sénat ou à certains sénateurs. Elle peut être un cancer pour notre vie démocratique. Il est certain qu’il faut faire quelque chose à ce sujet, mais il n’existe pas de solution simple à ce problème. Mettre un sénateur au pilori à cause d’un incident ne changera rien à la situation. Le privilège parlementaire n’est pas l’outil qui permettra de changer le comportement des parlementaires et des citoyens ordinaires.

Maintenant, Votre Honneur, je vais prendre quelques minutes pour réfléchir personnellement à ce que j’ai fait le jeudi 9 novembre.

J’y ai réfléchi pendant un certain temps. Encore une fois, Votre Honneur, je vous remercie de nous avoir accordé ces jours supplémentaires. J’ai cherché de sages conseils dans l’espoir de mieux comprendre la situation dont nous sommes saisis.

Ce que j’ai fait le jeudi 9 novembre ne constituait pas une question de privilège. Cependant, Votre Honneur, je me suis conduit d’une façon que je ne peux pas me permettre. Je me tiens en plus haute estime que la façon dont je me suis conduit ce jour-là.

Je n’ai jamais eu l’intention de causer du tort ou de gêner quelqu’un. Je reconnais que j’ai perdu mon calme. J’ai parlé trop fort, beaucoup diraient que j’ai crié. Lorsque nous discutons à table, ma femme me dit souvent : « Ne crie pas après moi. » J’ai un problème d’ouïe à cause duquel je parle déjà fort dans le meilleur des cas. Alors, quand je parle plus fort, je crie. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai parlé beaucoup trop fort. Mes intentions n’ont jamais été mesquines et j’admets que je ne me suis pas conduit comme je l’aurais souhaité.

Il m’arrive de citer les Saintes Écritures, et je vais citer un court verset de ce qu’a dit l’apôtre Paul aux Éphésiens : « Si vous vous mettez en colère, ne péchez point. »

J’étais en colère et j’ai péché. J’étais en colère et j’ai perdu mon sang-froid. Toutefois, il n’y a pas de mal à être fâché. Je crois que j’avais le droit d’être en colère parce que, à mon avis, nous avons été traités injustement, mais je n’avais pas le droit de me comporter comme je l’ai fait, sous le coup de la colère.

Je me répète sans cesse : « Compte jusqu’à 10 avant de faire quoi que ce soit. » Aujourd’hui, j’ai dit à ma leader adjointe : « Lorsque les esprits s’échauffent et que je me lève, mets ta main sur mon bras. Ainsi, je vais peut-être réfléchir avant de parler. » Malheureusement, notre leader adjointe a vécu des moments difficiles et elle n’était pas à mes côtés lorsque cela s’est produit. Je ne la blâme pas. J’aimerais le faire, mais ce n’est pas sa faute, c’est la mienne.

Les émotions étaient bien réelles. Votre Honneur, je suis venu vers vous et j’ai parlé beaucoup trop fort. Je n’ai pas respecté votre poste comme j’aurais dû le faire. Pour cela, je vous présente toutes mes excuses.

Je me suis tenu devant les sénatrices Saint-Germain et Clement, et j’ai parlé fort, beaucoup trop fort. C’est bien humblement que je leur présente mes excuses les plus sincères. J’ai mal agi.

Bien franchement, je ne croyais pas que la sénatrice Monsion et moi échangions des propos mesquins, mais c’est ce que dit un des commentaires que j’ai reçus. Si cela a été le cas, je vous remercie, sénatrice Moncion.

Donc, chers collègues, je promets que je vais tenter de faire mieux. Vais-je réussir? J’espère que vous me pardonnerez si je n’y parviens pas, mais je vais essayer. Ce que j’ai fait était mal. Ce n’était pas professionnel. C’était indigne d’un sénateur. C’était surtout indigne d’un sénateur.

Chers collègues, je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé et, je l’espère, pour votre compréhension.

Votre Honneur, vous allez rendre votre décision en temps et lieu. Je ne crois pas qu’il y ait matière à question de privilège. Toutefois, Votre Honneur, je tiens à ce que vous sachiez que vous avez mon appui pour poursuivre votre examen. J’offre mon soutien au Sénat pour la suite des choses, et je respecterai votre décision. Merci, chers collègues.

L’honorable Denise Batters : Votre Honneur, je vous remercie de me donner la possibilité de vous présenter de plus amples observations sur cette question de privilège. Comme je l’ai déclaré mardi, étant donné que ni le préavis écrit de la sénatrice Saint-Germain ni la déclaration orale au cours de laquelle elle a soulevé la question de privilège ne faisaient référence à moi ou à mon comportement, directement ou de quelque façon que ce soit, j’ai été très surprise d’apprendre que j’étais, en fait, accusée d’atteinte au privilège.

De toute évidence, de nombreux sénateurs étaient au courant de ces allégations parce qu’ils sont arrivés prêts à présenter de longues observations sur le sujet ce soir-là. Cependant, je maintiens que le préavis pour l’ensemble du Sénat était inadéquat et qu’il ne satisfaisait pas aux critères énoncés à l’article 13-3(1) du Règlement, sur le préavis écrit d’une question de privilège, ni à l’article 13-3(4), sur le préavis oral d’une question de privilège.

Mardi, j’ai lu des précédents tirés des archives du Sénat au sujet des préavis et je ne vais pas les répéter. Par contre, j’aimerais simplement ajouter que ni le préavis écrit ni le préavis oral ne prétendaient que des sénateurs avaient intimidé certains de leurs collègues.

(1650)

L’intimidation aurait donc pu provenir de sénateurs. Elle aurait pu provenir d’employés, de députés ou de membres du public. Il n’y avait pas de détails.

Cela dit, j’estime que le fait d’avoir partagé un gazouillis ne correspond pas au caractère fautif que définit la sénatrice Saint-Germain dans le préavis annonçant son intention de soulever cette question de privilège.

Je tiens d’abord à dire que je compatis avec les sénatrices Clement et Petitclerc, qui ont très bien exprimé la peur et la souffrance qu’elles ont vécues parce qu’elles ont été menacées et harcelées par des citoyens. Personne ne devrait craindre pour sa sécurité en faisant son travail.

La question ici est de savoir si les actes présentés par la sénatrice Saint-Germain constituent une atteinte au privilège. Mon intervention ne portera que sur les allégations qui me concernent. Je prétends ainsi que ce que j’ai fait ne constitue pas une atteinte au privilège. Pour qu’il y ait présomption d’atteinte au privilège, l’acte doit avoir empêché le Sénat et, par extension, les sénateurs, d’exercer leurs fonctions. Le fait d’avoir partagé un gazouillis n’a pas nui aux fonctions parlementaires des sénatrices Clement et Petitclerc. Aucun lien direct ne peut être établi entre le partage du gazouillis et l’intimidation de ces sénatrices ou une éventuelle entrave à leurs fonctions, que ces allégations soient prouvées ou non.

À ce sujet, je veux parler du harcèlement dont la sénatrice Clement a parlé et qu’elle associe aux gazouillis que le sénateur Housakos et moi avons partagés. Elle a dit :

Quand un gazouillis contenant ma photo et celle de la sénatrice Petitclerc et demandant aux Canadiens de nous appeler au sujet du projet de loi C-234 a été publié, je me suis inquiétée pour ma sécurité et celle de mes employés qui répondent au téléphone.

Votre Honneur, je ne vois absolument rien là qui permette d’affirmer que la menace contre la sécurité de la sénatrice Clément qui a été faite à ses employés était une conséquence de mon gazouillis. J’ignore qui l’a appelée ou l’a menacée. J’ignore comment cette personne a obtenu ses coordonnées, et personne ne m’a dit ou n’a même laissé entendre que ce pouvait être attribuable à mon gazouillis.

La sénatrice Clement et la sénatrice Petitclerc ont chacune une page Web du Sénat et des comptes sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, la biographie des deux sénatrices contient un lien qui mène directement à leur page sur le site Web du Sénat du Canada. Quand on clique sur ce lien, la première chose qu’on voit, ce sont leur photo officielle, le numéro de téléphone de leur bureau sénatorial, leur adresse électronique au Sénat et, oui, les noms de tous les membres de leur personnel.

Quoi qu’on en dise, rien dans mon gazouillis ni dans le gazouillis d’origine n’incitait au harcèlement, à la profération de menaces ou à l’intimidation à l’endroit des deux sénatrices ou de leurs employés. Mon message ne contenait pas de lien vers leurs coordonnées privées, domiciliaires ou personnelles, que je ne connais même pas de toute façon. En fait, même si je n’avais jamais publié ce gazouillis, les actes de harcèlement et d’intimidation dont les sénatrices Clement et Petitclerc ont été l’objet auraient pu se produire quand même.

Le gazouillis initial du député Andrew Scheer a suscité 796 gazouillis partagés. Le mien n’était que l’un d’entre eux. Même si je ne sais pas exactement combien de consultations mon gazouillis partagé a engendrées, parce que ce n’est pas enregistré et suivi de la même façon, je sais qu’ils ont été peu nombreux.

Dans son discours au Sénat mardi soir, la sénatrice Clement, qui est avocate, a elle-même déclaré : « [...] lorsque mes collègues du Sénat ont partagé cette photo, ils ne s’attendaient pas à ce que je me sente en danger. » Évidemment, nous sommes d’accord.

La sénatrice Clement a ensuite qualifié ces gazouillis de « communications imprudentes ». Elle a également parlé de « gazouillis qui manquaient de nuance ».

C’est peut-être une question de point de vue, mais je crois que vous pourrez convenir, Votre Honneur, que dans ce contexte, ces allégations ne répondent pas au critère d’une « atteinte grave et sérieuse » qui est requise pour conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.

La sénatrice Petitclerc allègue que mes gazouillis partagés répandent de la désinformation. Elle a affirmé que le gazouillis initial de M. Scheer se présentait comme « une affiche “de la liste des personnes les plus recherchées”, propageant un mensonge et demandant aux Canadiens d’appeler et d’envoyer des courriels à mon bureau ». Je soutiens que cette description est trompeuse.

L’image qui accompagne le gazouillis de M. Scheer contient la phrase « Call and ask these Trudeau Senators why they shut down debate on giving farmers a carbon tax carveout », c’est-à-dire « Téléphonez à ces sénatrices nommées par Trudeau et demandez-leur pourquoi elles empêchent la tenue du débat sur une exemption de la taxe sur le carbone pour les agriculteurs ». Puis, on voit les photos officielles des sénatrices Clement et Petitclerc avec leur numéro de téléphone et leur adresse courriel du Sénat, lesquels sont du domaine public et payés par les contribuables. L’arrière-plan des photos ressemble à un article qu’on aurait déchiré dans un journal. Cela n’a rien à voir avec les avis de recherche de l’époque du Far West. Le mot « recherché » n’y figure pas, et la police de caractère n’évoque pas le XIXe siècle.

Il n’y a rien qui ressemble à une cible. Il n’y a aucune menace.

Je présume que la sénatrice Petitclerc n’est pas d’accord sur l’affirmation selon laquelle la sénatrice Clement et elle empêchent la tenue du débat à propos d’une exemption de la taxe sur le carbone pour les agriculteurs, mais ce n’est certainement pas un mensonge, comme elle l’affirme. La motion d’ajournement de la sénatrice Clement, que la sénatrice Petitclerc a appuyée, a bel et bien empêché la tenue du débat sur le projet de loi C-234 le jeudi 9 novembre. Des sénateurs conservateurs étaient prêts à prendre la parole, mais la motion du Groupe des sénateurs indépendants les a empêchés de s’exprimer. C’est un fait. La sénatrice Petitclerc n’est peut-être pas d’accord, mais cela ne fait pas de notre interprétation des faits un mensonge ou de la désinformation.

Votre Honneur, il existe des précédents parlementaires concernant le fait que ce genre de commentaires ne constitue pas une atteinte au privilège. Le 14 décembre 2009, le Président Kinsella a rendu une décision impliquant la sénatrice Cools au sujet d’un communiqué de Benjamin Perrin, professeur de droit associé à l’Université de la Colombie-Britannique. Le communiqué concernait le projet de loi C-268, un projet de loi sur la traite des enfants, et on pouvait y lire que la sénatrice avait mis le projet de loi sur la glace en ajournant le débat de façon unilatérale. La décision en question indiquait que la sénatrice Cools avait fait valoir que l’ajournement est une décision du Sénat et non le résultat d’une initiative unilatérale d’un seul sénateur, et qu’elle n’avait pas bloqué la progression du projet de loi, qu’elle l’avait seulement arrêtée temporairement. La sénatrice Cools soutenait que le communiqué était une forme d’intimidation à son endroit. Le Président Kinsella a écrit ceci :

Il ne faut pas oublier [...] que le privilège a évolué au fil des ans. Des questions considérées comme des atteintes au privilège ou des outrages à une époque moins démocratique ne sont plus considérées comme telles.

Le Président poursuit :

[...] nous devons établir une distinction entre la question de privilège et le projet de loi C-268 comme tel. Des propos désobligeants ou choquants ne suffisent pas [...] à porter atteinte au privilège.

Le commentaire 69 du Beauchesne nous rappelle qu’« une réflexion peut être troublante, désagréable, voire choquante, mais qu’il ne peut y avoir matière à question de privilège que si elle empêche les [parlementaires] de faire leur travail convenablement ».

En outre, il a affirmé : « Il est extrêmement difficile de se prévaloir de la protection offerte par cet aspect du privilège parlementaire. »

Le Président a conclu qu’il n’y avait pas, de prime abord, atteinte au privilège :

Même si les propos tenus dans le communiqué étaient exagérés et que le sénateur Cools peut les trouver choquants, à juste titre, rien dans ces propos n’a porté atteinte au droit du Sénat de traiter du projet de loi C-268 comme bon lui semble. Tous les sénateurs peuvent encore s’exprimer librement. Quelques lignes d’un communiqué ne suffisent pas pour modifier les idées ou les actions des honorables sénateurs, encore moins de l’ensemble du Sénat. Par conséquent, il n’y a pas matière à question de privilège.

Il est certain que le harcèlement ou les menaces que les sénatrices Petitclerc et Clement ont subis sont répréhensibles et odieux. Votre Honneur, nous sommes tous, en tant que personnalités publiques, politiciens et sénateurs, sujets à d’immenses désagréments en ligne. Souvent, cela va jusqu’au harcèlement et à la violence, en particulier, malheureusement, pour les femmes.

C’est quelque chose que j’ai moi-même vécu, comme toutes mes collègues, j’en suis certaine. Je ne saurais vous dire combien de commentaires insultants, dégoûtants, dégradants, sexistes, violents et assimilables à du harcèlement m’ont été adressés en ligne — il y en a littéralement des milliers — par des trolls de gauche supposément progressistes, auxquels certains sénateurs sont abonnés sur Twitter. Bon nombre de ces trolls prennent un malin plaisir à publier des messages qui disent que c’est par pitié qu’on m’a nommée sénatrice, parce que mon mari, l’ancien député Dave Batters, s’est suicidé, ou que c’est le fait de vivre avec moi qui l’a poussé à ce geste. Quelqu’un a même publié une photo de ma voiture et de ma plaque d’immatriculation sur Twitter, avec un lien vers un article d’un journaliste local. Plus tôt ce mois-ci, une horrible personne a publié la photo d’un cercueil en disant souhaiter que ce soit le mien, parce que j’avais critiqué le gouvernement Trudeau.

Je peux vous affirmer, chers collègues, que je comprends la douleur et la peur que provoquent les menaces, le harcèlement et l’intimidation en ligne. J’ai même fait l’objet d’attaques méprisantes et sexistes et de tentatives d’intimidation de la part de sénateurs supposément progressistes dans l’enceinte même du Sénat et dans les comités. Ces comportements épouvantables ne sont malheureusement pas l’apanage d’un seul côté ou d’un seul groupe du Sénat.

Honorables sénateurs, les menaces et le harcèlement ne devraient jamais être employés comme armes politiques. L’un des principaux éléments qui définissent le Sénat a toujours été la capacité des sénateurs d’allégeances politiques différentes d’être en désaccord, mais de savoir faire la part des choses en dehors de cette enceinte. C’est un aspect important de la démocratie et de la collégialité, et je crains que nous ne soyons en train de le perdre.

Votre Honneur, j’estime que les gestes que j’ai posés dans le cadre de cette affaire — en partageant un gazouillis — ne satisfont pas aux critères permettant de conclure qu’il y a de prime abord matière à question de privilège. Premièrement, la substance des avis donnés oralement et par écrit par la sénatrice Saint-Germain était insuffisante, ce qui m’a obligé à me débrouiller pour me défendre mardi soir. C’était injuste. En partageant un gazouillis de mon collègue député, je n’avais aucune intention malveillante, et je suis heureuse de constater que la sénatrice Clement le reconnaît.

Par conséquent, le partage de ce gazouillis ne peut être considéré comme une « atteinte grave et sérieuse », d’autant plus qu’aucun lien de causalité n’a pu être établi.

Puisque ce critère n’est pas respecté, et compte tenu du précédent qui a été établi, à savoir qu’une situation semblable ne respectait pas le critère permettant de déterminer s’il y a eu atteinte au privilège, j’estime qu’il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège. Je vous remercie.

(1700)

L’honorable Leo Housakos : Merci, Votre Honneur, de me donner l’occasion d’aborder cette question de privilège, puisque j’y suis nommé, mais que j’étais absent mardi. Pour moi, cela ne fait aucun doute : il ne s’agit pas d’une question de privilège, comme l’ont très bien expliqué mes collègues. Je ne reviendrai pas sur l’aspect procédural de la chose, mais quoi qu’on en dise, chers collègues, nous savons tous que la sénatrice Clement et la sénatrice Petitclerc n’ont été empêchées d’aucune façon d’exercer leurs fonctions parlementaires.

La seule atteinte au privilège qui a eu lieu la semaine dernière s’est produite le 9 novembre et c’est parce qu’il y a eu violation des règles et des procédures de notre assemblée. Si nous voulons que la démocratie suive son cours et si nous voulons garder notre crédibilité, chers collègues, ces règles doivent être respectées et défendues coûte que coûte. La seule atteinte au privilège qu’il y a eu, c’est pendant le débat que l’on sait, lorsqu’une de nos collègues a pris la parole pour proposer un amendement à un projet de loi, ce qui est son droit le plus strict. C’est aussi le droit le plus strict du Sénat d’autoriser les autres sénateurs à poser des questions sur les amendements qui sont proposés, et c’est le droit le plus strict de la sénatrice en cause ici d’accepter ou de refuser de répondre à ces questions. Nous avons néanmoins le droit inaliénable de débattre, et c’est la seule atteinte à quoi que ce soit qu’il y a eu ce soir-là. La motion d’ajournement a pu être proposée. La sénatrice Clement a fait cette demande, et nous avons agi en conséquence. Le résultat final n’a évidemment jamais fait le moindre doute.

Chers collègues, je me suis demandé s’il valait la peine de discuter de la validité de cette question de privilège du point de vue de la procédure, mais je crois que nous n’en sommes plus là. Non point que je n’accorde pas une grande importance au respect de la procédure, des conventions et des précédents. D’ailleurs, je trouve regrettable qu’il arrive qu’on n’en tienne pas compte ou qu’on en oublie l’importance, ce qui nous amène à faire des erreurs. C’est en partie ce qui nous a frustré le 9 novembre et il en est de même depuis des années au Sénat. Je sais que beaucoup d’entre vous sont également frustrés et que vous êtes parfois las du ton que nous employons et de ce que certains qualifieraient de piaillements, de chahut ou de je ne sais quoi. Le débat de mardi au sujet de cette question de privilège était certainement centré sur cela.

Je peux certainement comprendre mes collègues. Il y a beaucoup de choses qui nous lassent nous aussi. Il n’y a pas un seul camp dans un débat ou au Parlement. Mon bon ami, le sénateur Cardozo, n’aime pas qu’on l’appelle un libéral. Eh bien, nous n’aimons pas qu’on nous dise que nous sommes incapables de penser et d’agir par nous-mêmes, que nous ne sommes là que pour recueillir de l’argent à des fins politiques et qu’être membres d’un caucus national fait de nous des sénateurs de second ordre dont le travail est moins sérieux ou important que le sien.

Je peux assurer au sénateur que mon travail est tout aussi important et vital que le sien, et les personnes au nom desquelles je parle diront que leur voix et leur point de vue sont tout aussi essentiels que ceux des personnes au nom desquelles il parle. Nous en avons assez qu’on nous dise le contraire, et cela dure, chers collègues, depuis huit ans, ce qui, sans surprise, n’a pas été inclus dans votre histoire révisionniste, sénateur Cardozo. Néanmoins, voilà où nous en sommes.

Indépendamment de la personne qui nous a nommés et des raisons pour lesquelles elle a estimé que nous étions dignes d’être nommés, nous sommes tous des parlementaires jouissant des mêmes droits et privilèges, ce qui m’amène à la substance de la question de privilège en ce qui concerne mes actions, puisque j’ai été nommé. En tant que parlementaires, nous sommes régulièrement appelés à rendre des comptes aux Canadiens. C’est ce qu’on appelle la responsabilité et la transparence. Comme je l’ai déjà dit : même si nous siégeons au sein d’une Chambre où les sénateurs sont nommés, nous ne sommes pas moins responsables que ceux qui siègent dans l’autre Chambre.

Dans notre cas en particulier, en tant que caucus conservateur, nous sommes directement responsables devant la Chambre élue démocratiquement. Le caractère public des adresses de courriel et des numéros de téléphone fait partie intégrante de cette responsabilité. Je suppose que c’est ainsi que nous concluons qu’il y a lieu de soutenir des motions et des projets de loi, et ainsi de suite, et déterminons quelles positions nous prenons dans les débats. Nous nous basons sur les observations de nos concitoyens. C’est pourquoi, sur le site Web du Sénat du Canada, vos numéros de téléphone et vos adresses de courriel, chers collègues, sont affichés. Il ne s’agit pas d’une atteinte au privilège. C’est une exigence et, à mon avis, une obligation que nous avons tous. Les numéros et adresses de courriel de notre bureau sont là pour une bonne raison.

Toutefois, j’insiste sur le fait que cela ne veut pas dire que les Canadiens doivent se sentir libres d’utiliser leurs ressources et ces numéros de téléphone et adresses de courriel pour rudoyer et intimider un sénateur, ou qui que ce soit d’ailleurs. Je le répète : que ce soit dans un gazouillis publié ou retransmis, dans une entrevue accordée aux médias, dans une lettre d’opinion ou un discours ou à un événement, ou que la demande vienne de parties intéressées, nous sommes fréquemment appelés à rendre des comptes pour nos votes, nos actes, nos discours ou notre inaction au Sénat, comme il se doit d’ailleurs. Cela fait partie intégrante de la démocratie, de nos privilèges et de nos obligations.

Je suis terriblement désolé que, dans ce cas, mes collègues se soient senties en danger. Cela ne devrait jamais se produire, et c’est inexcusable. Toutefois, chers collègues, tout cela n’a rien à voir avec la question de privilège. Il me semble que le débat que nous avons porte sur une façon de se comporter au Sénat lorsque la situation dégénère, comme cela arrive parfois dans une démocratie.

La démocratie peut être chaotique. Elle n’est pas toujours lisse, mais, honorables sénateurs, elle vaut bien mieux que son contraire. Nous voyons d’ailleurs ce qui se passe dans d’autres pays, Dieu nous garde d’en arriver là! Il vaut parfois mieux s’engager dans un débat animé et utiliser à l’occasion des mots qui dépassent ce qui pourrait être jugé acceptable, mais dans le feu de l’action, ces écarts font partie du processus démocratique.

S’il faut avoir un débat sur les nouveaux termes qui seraient inacceptables au Sénat, ayons-le. Si nous jugeons que les réseaux sociaux et d’autres modes de communication franchissent parfois les limites du discours haineux, il y a des dispositions dans le Code criminel qui traitent de ces choses. Honorables sénateurs, tout cela n’a rien à voir avec la question de privilège. Par contre, nous avons le droit de lancer ces débats et de modifier la Loi sur la radiodiffusion ou les dispositions législatives contre la propagande haineuse si nous jugeons qu’elles sont inefficaces.

Nous pouvons aussi débattre de la valeur artistique de la publication d’origine sur les réseaux sociaux. Même s’il est vrai que je ne suis pas graphiste, chers collègues, j’avoue que sur le coup, je n’ai pas vu la similitude que la sénatrice Batters a vue avec un avis de recherche, et je ne la vois toujours pas. Si la comparaison m’était venue à l’esprit, je peux vous assurer que je n’aurais pas « aimé » ce gazouillis et que je ne l’aurais pas republié, mais d’autres l’ont fait, et il est important de le souligner.

Sénatrice Clement, je vous remercie d’avoir admis que notre intention n’était pas de susciter la réaction dont vous avez fait l’objet, car vous avez tout à fait raison : ce n’était absolument pas notre intention. Cela dit, les conséquences effacent souvent l’intention. Je m’en veux terriblement de ce que vous avez vécu, vos employés et vous, et que vous vivez peut-être encore.

Il y a quelques années, mes propres employés ont dû appeler la Sécurité institutionnelle et la police d’Ottawa quand le numéro de mon bureau a été publié, accompagné d’un gros plan d’une de mes employées. Dans un message subséquent, on pouvait voir le dessin d’une pierre tombale portant le nom et la date de sa naissance de cette même employée. Quant à sa date de décès, elle correspondait à celle du lendemain. Certains gazouillis traitaient mes employés de réceptacle pour les déjections conservatrices. Voilà le genre de chose que nous devons endurer de la part du public.

Sénatrice Petitclerc, votre histoire m’a également touché. Je sais ce que c’est de devoir expliquer des choses horribles à son jeune fils. J’ai dû le faire avec mes deux fils au début de ma carrière au Sénat. Je me souviens des terribles brimades que mes jeunes enfants ont subies à cause de débats précipités qui se déroulaient au Sénat et des appels téléphoniques que mon épouse et moi recevions pour que nous allions chercher nos enfants de 9 et 12 ans à l’école. Je sais donc que ce n’est pas drôle.

Je ne dis pas cela pour minimiser le moindrement ce que vous avez ressenti ou ce que vous ressentez. Au contraire, j’ai de l’empathie pour vous et votre personnel et j’ai de l’empathie pour tous mes collègues en ce moment. Nous nous sentons probablement tous un peu plus secoués que d’habitude en raison des manifestations incessantes dans les rues, des coups de feu tirés dans les écoles et des cocktails Molotov qui sont lancés. C’est malheureusement l’ère de perturbation où nous vivons, et en tant que parlementaires, nous en faisons les frais.

J’ai de l’empathie pour les sénatrices Clement et Petitclerc. J’ai travaillé avec chacune de vous. J’ai le plus grand respect pour vous deux.

Cela dit, chers collègues, je ne m’excuserai pas d’encourager les Canadiens à discuter avec nous et à nous demander des comptes. C’est notre travail. C’est notre travail de rendre des comptes et d’en faire rendre aux autres lorsque nous sommes en désaccord, et le seul outil dont nous disposons à cet effet, c’est le discours public, qui passe par les diverses plateformes à notre disposition. Je mets en garde le Sénat contre l’instauration de mécanismes visant à dissuader ou à pénaliser ces appels à la reddition de comptes, qui constituent le fondement de notre système. La liberté d’expression est l’élément le plus essentiel de notre démocratie.

Cependant, ce que je peux faire et ce que je ferai maintenant, c’est me servir de mes fonctions et de ma tribune pour exhorter les Canadiens à engager un dialogue respectueux et civilisé. Ce n’est pas parce qu’on veut que nous rendions des comptes que quiconque au Sénat devrait être intimidé ou faire l’objet de propos racistes ou misogynes. Je le répète : je suis attristé qu’une telle chose soit arrivée dans ce cas-ci aux sénatrices Clement et Petitclerc. Je ne tolère pas et je ne tolérerai jamais un tel comportement à leur égard ou à l’égard de tout autre parlementaire ou, d’ailleurs, de n’importe quel Canadien. Merci.

(1710)

L’honorable David M. Arnot : Honorables sénateurs, je tiens à m’exprimer à propos de la question de privilège qui a été soulevée à l’égard des événements qui se sont produits après la séance du Sénat du 9 novembre 2023 ainsi que des incidents subséquents, à l’intérieur et à l’extérieur de cette enceinte.

Plus précisément, je veux réfuter les arguments selon lesquels cette question de privilège est irrecevable parce qu’elle dérogerait d’une façon quelconque à la procédure. Je veux aussi réfuter l’argument selon lequel ce qui s’est passé après la séance du 9 novembre dernier, à l’intérieur et à l’extérieur de cette enceinte, y compris dans les médias sociaux, ne serait pas du ressort du Sénat. Je m’appuierai sur des principes issus du domaine juridique, des négociations multipartites et du règlement des plaintes relatives aux droits de la personne. Je puiserai dans mes connaissances et mon expérience en tant que commissaire aux droits de la personne parce que des violations des droits de la personne sont en jeu dans le cadre de ce débat.

Tout d’abord, j’ai toujours dit aux plaignants, aux avocats et aux enquêteurs que quand des droits sont en cause, il faut bien écouter, rechercher et accepter les compromis raisonnables et, par-dessus tout, agir sans jamais perdre de vue le but ultime.

En ce qui concerne ce dont nous sommes saisis, nos valeureux efforts aujourd’hui auront un effet bénéfique, comme il se doit, sur le ton et de la teneur des échanges à la Chambre de second examen objectif. Je pense, honorables collègues, que nous devrions commencer en gardant le but ultime à l’esprit. Nous devrions nous demander ce que nous voulons en tant que sénateurs et non de ce que nous ne voulons pas. Je vais présenter une courte liste comme point de départ et j’inviterais mes collègues à y ajouter des éléments.

Premièrement, je crois que chaque fois que nous entrons ici, chaque fois que nous siégeons et chaque fois que nous nous réunissons, nous voulons le faire en tant que collègues — du latin collega, qui signifie « compagnon, camarade ». Peu importe que nous soyons d’accord ou non sur un sujet, nous nous efforçons main dans la main de parvenir au meilleur résultat pour les Canadiens.

Deuxièmement, nous devons agir avec retenue, comme notre regretté collègue le sénateur Shugart nous l’a demandé. Il a dit que pour chacun d’entre nous, pour les partis politiques et pour les institutions, la retenue peut commencer par la reconnaissance que notre point de vue, si légitime soit-il, n’est pas le seul point de vue possible.

Troisièmement, nous devons agir avec honneur dans tous les gestes que nous posons. Il y a un mois, j’ai pris la parole ici même à l’occasion de mon discours inaugural. J’ai parlé de l’honneur de la Couronne et du fait que, dans chacun de leurs actes et chacune de leurs décisions, les femmes et les hommes qui représentent la Couronne au Canada devraient se comporter comme si leur honneur personnel et la réputation de leur famille en dépendaient. Pourquoi? Parce que les actes des législateurs et des décideurs façonnent les actes de la Couronne. Le principe de l’honneur de la Couronne exige des sénateurs et des Canadiens qui évoluent dans une société démocratique mature qu’ils agissent conformément aux principes et aux normes morales les plus strictes.

Quand je parle de l’honneur de la Couronne et que j’évoque les piliers de l’honneur, je pense à l’intégrité, à l’honnêteté, à l’empathie, à la transparence, à l’indulgence et au respect. Inutile de chercher une norme ou une ligne à franchir. Elle est là, la norme. Elle est là, la ligne. Il s’agit d’une norme très élevée. Il faut, bien sûr, s’appuyer sur le Règlement du Sénat et l’appliquer, et suivre ce que dit La procédure du Sénat en pratique. Ces règles servent de garde-fous pour éviter les comportements indésirables.

J’ai découvert, pendant mon mandat de commissaire en chef de la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan, que lorsqu’on souhaite arriver à une solution réparatrice et établir un milieu de travail sain, il est vraiment préférable de mettre l’accent sur le dialogue plutôt que sur des garde-fous. Je précise, pour être clair, que le Sénat est notre lieu de travail. Il y a des comportements, des gestes et des paroles qu’on ne souhaite pas voir ou entendre sur notre lieu de travail. Ils ont déjà été mentionnés, alors je n’en parlerai pas davantage. Au cours des 50 dernières années, ces enjeux ont mené à des décisions dans de nombreux lieux de travail et dans de nombreuses affaires judiciaires. Des tribunaux, des arbitres et des commissions des droits de la personne ont consacré une grande partie des années 1970, 1980 et 1990 ainsi que du début du XXIe siècle à cerner avec toujours plus de précision ce qui est permis ou non dans un milieu de travail au Canada.

En tant que commissaire aux droits de la personne, j’ai examiné des centaines de plaintes chaque année pendant plus de 13 ans, des plaintes provenant de grandes et de petites entreprises, y compris des sociétés nationales et de petites entreprises familiales. Les milieux de travail du Canada continuent de réagir à tous les « ismes » : âgisme, capacitisme, sexisme et racisme. Il est malheureusement vrai de dire que là où il y a un « isme », tous les autres ne sont pas bien loin. Là où il y a de l’âgisme, il y aura du capacitisme. Là où il y a du sexisme, il y aura du racisme, et ainsi de suite.

Si vous voulez provoquer une forte réaction chez une autre personne, où que ce soit, que ce soit dans le cadre d’une médiation ou même dans la rue, vous n’avez qu’à dénoncer son comportement discriminatoire. Dire à une personne que son comportement est raciste, par exemple, provoque une réaction rapide, sûre et souvent hostile. Personne ne veut se faire dire qu’il est raciste. On a dit que la responsabilisation ressemblait à une attaque lorsqu’on n’est pas prêt à reconnaître comment son comportement cause du tort aux autres. Personne ne veut être confronté à ses paroles, à ses actes ou à ses comportements. Parfois, cependant, cela doit se produire, parce que le risque de ne pas le faire fomente invariablement une acrimonie de longue durée dans les relations. Les conséquences à long terme des relations acrimonieuses sont coûteuses et nuisent notamment au moral et à la productivité.

Plus précisément, les sénateurs Clement et Petitclerc nous ont dit avoir été victimes d’intimidation verbale et physique, d’attaques verbales en ligne et de doxing. Leurs photos et leurs coordonnées ont été utilisées d’une manière qui a encouragé et favorisé le harcèlement à leur endroit dans leurs bureaux, à leur domicile et dans leur vie personnelle, par extension.

Pour être clair, il existe de nombreuses façons de définir le doxing. Il ne fait pas l’objet d’une loi, d’une règle ou d’une norme sociale. Il s’agit d’une anomalie sociale. L’exercice du privilège parlementaire exige que les sénateurs se sentent en sécurité dans l’enceinte et dans l’exercice de leurs fonctions. Fondamentalement, le doxing est contraire au débat légitime qui est nécessaire dans une société libre et démocratique.

Le concept de doxing est né sur Internet. Il est changeant. Il n’a pas de définition unique et durable. Les chercheurs ont trouvé de nombreux cas de doxing, qui consiste à diffuser des informations privées ou d’identification sur une personne à des fins de harcèlement, en particulier de harcèlement fondé sur la race ou le sexe. Cette diffusion d’informations a pour but de faire honte à une personne, de lui nuire, de l’influencer ou de l’intimider. C’est son objectif fondamental. C’est son essence même. Il s’agit d’inviter, sur son ordre, d’autres personnes à le faire à sa place ou en tant qu’agent.

Certains de nos collègues ont déjà parlé des répercussions disproportionnées de ce type de comportement sur les femmes. Sénateurs, je n’oserais pas parler au nom des femmes de nos groupes ou de l’ensemble du Sénat. Les sénatrices Saint-Germain, Clement, Petitclerc, Dupuis, Miville-Dechêne, Moncion, Pate et McPhedran ont très bien fait valoir ce point de vue.

Je vais vous faire part plutôt de mon point de vue et de mon expérience en tant qu’ancien commissaire aux droits de la personne. Je pense que l’une des principales caractéristiques de la question qui vous est soumise, Votre Honneur, est l’intersectionnalité entre le genre, la race et le handicap.

Premièrement, les femmes sont touchées de manière disproportionnée par le harcèlement sur le lieu de travail, et ce harcèlement est exacerbé par l’intersectionnalité des identités, y compris la race, la race perçue et le handicap.

Deuxièmement, il ne s’agit pas d’un phénomène aléatoire ou rare. La Commission des droits de la personne de la Saskatchewan a eu la chance de s’associer aux milieux universitaires, juridiques et économiques dans le cadre d’une campagne permanente visant à mettre un terme au harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Lors de l’une des premières réunions de ce groupe, qui s’est tenue à la Faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan, autour d’une table occupée exclusivement par des femmes qui étaient toutes des avocates, des éducatrices ainsi que des expertes et des leaders dans leur domaine, chaque personne a raconté la première fois qu’elle avait été harcelée, de même que la plus récente fois où elle l’avait été. Ces événements, et tous ceux qui se sont produits dans l’intervalle, sont gravés dans leur mémoire. C’était très clair. Ce ne sont pas des questions mineures. Il faut les prendre au sérieux et les considérer à la lumière de l’intersectionnalité apparente.

Chers collègues, nous pouvons, si nous le voulons, demander aux spécialistes des ressources humaines et aux juristes de nous donner des conseils, comme nous le faisons régulièrement au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Nous allons assurément bénéficier de la sagesse de la Présidente — je vous le dis, chers collègues —, puisqu’elle n’a pas le choix de trancher.

(1720)

Il y a eu un important changement en ce qui concerne ce qui s’est passé ici, et il y a eu un grand changement au cours de la dernière décennie concernant ce genre de situations en particulier. D’après mon expérience, je dirais que, souvent, les solutions significatives, convaincantes et durables émanent du dialogue, qu’il est possible d’assurer de façon durable et soutenue la responsabilisation au moyen des débats et que nous sommes en mesure de répondre à toute situation blessante qui pourrait survenir. Comme l’a affirmé le sénateur Gold au sujet des événements du 9 novembre, ce n’était pas notre moment le plus glorieux. C’est certain. Y a-t-il un côté positif à retenir de tout cela? Je crois que oui.

Il y a deux jours, dans la soirée du 21 novembre, nous avons assisté ici à un échange entre la sénatrice Moncion et le sénateur Wells. Je vous invite à en consulter l’enregistrement. Nos collègues ont servi de médiateurs et ont résolu leurs préoccupations en notre présence. À bien des égards, cette situation s’apparentait aux nombreuses concertations familiales et aux nombreux conseils de détermination de la peine auxquels j’ai eu l’occasion d’assister, ainsi qu’aux mécanismes efficaces de résolution des différends employés par les commissions des droits de la personne dans le cadre de plaintes, par les syndicats dans le cadre de conflits de travail, et par les négociateurs internationaux. Ce soir-là, des faits, des perceptions et des impressions ont été exprimés dans cette chambre. Cet échange a débouché sur ce que l’on appelle, dans le domaine de la médiation, une « résolution ». Ce soir-là, nous avons pu observer le fonctionnement de la justice réparatrice. C’était fascinant. Pour ma part, je me suis senti soulagé. Je félicite les sénateurs Wells et Moncion de leur courage, de leur empathie, et du respect qu’ils ont manifestement l’un pour l’autre, ainsi que pour leurs collègues du Sénat.

Honorables sénateurs, le fait de débattre de ces questions, ainsi que ce que nous faisons en tant que sénateurs, nous définit. C’est, si vous voulez, notre pain et notre beurre. À son meilleur, un débat est sain et constructif. Je crois que nous méritons et souhaitons tous avoir un milieu de travail où nos relations avec nos collègues, quelle que soit leur affiliation, et nos conseillers et les professionnels sur lesquels nous comptons, permettent à la Chambre de fonctionner efficacement. Il nous incombe, en tant que sénateurs, de ne jamais recommander, soutenir ou encourager l’intimidation ou le harcèlement, ni à la Chambre ni au Sénat, ni dans la rue ni dans nos collectivités. Avant toute chose, nous avons la responsabilité d’être respectueux et de préserver nos droits individuels ou collectifs et nos intérêts supérieurs.

Honorables sénateurs, nous sommes des Canadiens qui ont le privilège de servir leurs concitoyens. Ce service doit en tous points refléter la collaboration, la retenue et l’honneur de la Couronne afin de défendre l’honneur du Sénat. Merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

Son Honneur la Présidente : Je remercie sincèrement les sénateurs de leurs interventions. Avant de prendre la question en délibéré, je suivrai la pratique générale en demandant à la sénatrice Saint-Germain, qui a soulevé la question de privilège, si elle a une dernière remarque à nous livrer.

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Je vous remercie sincèrement, madame la Présidente, de respecter cette pratique générale et de me donner cette occasion de m’exprimer; je l’apprécie. Je réitère l’importance de votre décision pour notre doctrine et pour l’avenir de nos travaux.

[Traduction]

Premièrement, permettez-moi de réaffirmer que toute menace faite à un parlementaire, ou toute tentative d’influencer son vote ou son comportement, constitue une atteinte aux privilèges. Selon l’ouvrage Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, 6e édition : « Il va de soi que des menaces directement adressées à un député en vue d’influencer son comportement à la Chambre constituent des atteintes au privilège. » Vous trouverez cela, Votre Honneur, dans mes observations de mardi.

J’aimerais parler d’un autre aspect qui a trait à la norme sur laquelle on doit se fonder pour établir s’il y a eu atteinte aux privilèges. Dans ses observations de mardi, et encore aujourd’hui, le leader de l’opposition au Sénat a indiqué que son travail et ses obligations lui tiennent à cœur, et qu’il est fidèle à ses valeurs. Je respecte vraiment cela, et j’ajouterai que j’ai le plus grand respect pour la détermination du sénateur Plett à remplir ses obligations parlementaires.

Je suis également surprise que la sénatrice Batters sous-estime le lien entre le gazouillis initial du député conservateur et ce que les sénatrices Clément et Petitclerc ont subi. Lorsqu’on diffuse un gazouillis, il est évident que l’on souscrit à son contenu et que l’on contribue à le promouvoir, à moins de préciser que ce n’est pas le cas. Or, la sénatrice Batters n’a pas apporté cette précision lorsqu’elle a diffusé le gazouillis.

Toutefois, si la fougue, l’engagement et les valeurs personnelles servent à justifier le comportement d’un sénateur, les violations présumées du privilège seront alors évaluées au moyen d’une norme subjective, avec pour résultat que les normes attendues d’une institution devraient s’aligner sur l’idée que se fait un sénateur de ce qui est acceptable. Si cette approche est adoptée dans cette enceinte, elle conduira à l’anarchie. N’importe quel sénateur pourrait invoquer la bonne foi pour justifier ses actions, aussi inacceptables soient-elles. Ainsi, cette approche ne peut être autorisée à régir ces questions. La norme doit être objective. Bien que cela ne soit pas explicite dans nos documents de référence, il s’agit manifestement de l’approche juste et nécessaire.

La Chambre des Lords — avec laquelle nous avons tant en commun et dont nous nous inspirons — a abordé la question de l’honneur personnel soulevée par le sénateur Plett. Je me permets de citer le code de la Chambre des Lords :

[...] l’expression « honneur personnel » est en fin de compte l’expression du sentiment de la Chambre dans son ensemble quant aux normes de conduite attendues de chacun de ses membres [...] les membres ne peuvent pas simplement s’en remettre à ce qui leur apparaît être honorable. Ils sont tenus d’agir conformément aux normes attendues par la Chambre dans son ensemble. L’« honneur personnel » est donc [...] une question qui concerne chacun des sénateurs, sous réserve du sentiment et de la culture de la Chambre dans son ensemble.

Votre Honneur, en tout respect, je considère que ce devrait être notre approche. Pour que ce soit clair, la conduite de certains sénateurs, que j’ai longuement décrite dans mon discours ce mardi, ne respectait absolument pas cette norme et, par conséquent, portait atteinte au privilège des sénateurs et jetait le déshonneur sur notre honorable institution. Votre Honneur, c’est avec le plus grand respect que je m’en remets à vous et que j’attends votre décision. Merci.

Son Honneur la Présidente : Encore une fois, je remercie tout le monde. Conformément à l’article 2-5(1) du Règlement, je vais prendre la question en délibéré.

La Loi sur l’Agence du revenu du Canada

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Percy E. Downe propose que le projet de loi S-258, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé), soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, passons maintenant à quelque chose de complètement différent. Je remercie le président du Comité des finances nationales, le sénateur Mockler, ainsi que les membres du comité — le sénateur Dagenais, le sénateur Forest, la sénatrice Galvez, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice MacAdam, la sénatrice Marshall, la sénatrice Pate, la sénatrice Petten et le sénateur Smith — de l’étude qu’ils ont menée sur le projet de loi que j’ai présenté. C’est la deuxième fois que le comité l’examinait et je suis heureux de constater qu’en plus de l’amélioration qu’ils ont apportée la dernière fois, leur appui au projet de loi demeure inchangé.

Je remercie tout particulièrement la sénatrice Marshall, qui appuie depuis longtemps la lutte contre l’évasion fiscale à l’étranger. Elle a fait preuve d’un leadership remarquable sur toutes les questions financières soumises au Sénat.

Il semblerait, chers collègues, que cet appui ou, du moins, l’appui à la mesure du manque à gagner fiscal, soit à la hausse. Dans son témoignage au Comité des finances nationales, un représentant de l’Agence du revenu du Canada a parlé avec enthousiasme du travail de l’agence sur le manque à gagner fiscal. En réalité, à entendre l’agence parler de son travail, on pourrait penser qu’elle supplie le gouvernement depuis des années de mesurer le manque à gagner fiscal et quelqu’un l’a enfin laissée réaliser son rêve. Je dois dire que mes souvenirs de la dernière décennie sont très différents.

(1730)

En tant que personne qui, selon un journaliste, préconise cette approche depuis longtemps, je trouve le nouvel enthousiasme de l’Agence du revenu du Canada pour mesurer l’écart fiscal plutôt surprenant. Mieux vaut tard que jamais, mais l’expérience m’incite à prendre avec un grain de sel toute déclaration de l’Agence du revenu du Canada sur ses réalisations passées ou ses intentions.

Si nous avons besoin de ce projet de loi, c’est pour forcer l’Agence du revenu du Canada à faire ce qui s’impose et à rendre des comptes aux Canadiens. Malheureusement, si l’on se fie à ses antécédents, on ne peut pas croire ses déclarations publiques.

Chers collègues, il serait très facile pour moi de prendre la parole au Sénat pour énumérer une kyrielle d’occasions où les déclarations et les affirmations de l’Agence du revenu du Canada n’ont pas résisté à un examen minutieux. Par conséquent, chers collègues, c’est ce que nous ferons.

L’Agence du revenu du Canada a affirmé que 90 % des appels à ses centres d’appels étaient traités avec succès et acheminés à un agent ou au service téléphonique automatisé. Le vérificateur général du Canada a examiné cette affirmation, et il s’est avéré que l’Agence du revenu du Canada avait atteint ce taux de réussite apparemment impressionnant en bloquant 29 millions des 53 millions d’appels reçus et en excluant ces appels bloqués du calcul. En d’autres termes, les gens appelaient le centre d’appels de l’Agence du revenu du Canada, puis, après un certain temps, leur appel était tout simplement interrompu.

En tenant compte des appels bloqués et d’autres facteurs, le vérificateur général a conclu que « le taux de succès global de l’agence était de 36 % ».

L’ARC affirme aussi, par exemple, qu’au fil des ans, 80 % des demandes de crédit d’impôt pour personnes handicapées ayant été présentées par des Canadiens atteints de diabète ont été approuvées. Toutefois, en 2017, les défenseurs des personnes handicapées ont remarqué que presque toutes les demandes précédemment approuvées étaient désormais rejetées. L’Agence du revenu a publiquement affirmé qu’aucun changement n’avait été apporté aux critères d’admissibilité, mais selon des documents obtenus par Diabète Canada, un courriel de l’ARC daté du 2 mai 2017 remplace ces critères par « une nouvelle variable ». En effet, les demandes des diabétiques qui étaient auparavant admissibles au crédit d’impôt pour personnes handicapées étaient maintenant rejetées. Lorsqu’elle a été confrontée aux preuves de sa déclaration trompeuse, l’ARC a fait marche arrière.

Honorables collègues, dans une autre déclaration, l’ARC a affirmé avoir mis sur pied une équipe chargée de s’attaquer, à temps plein, au non-respect des règles à l’étranger, ce qui donnait l’impression qu’il s’agissait d’une nouvelle équipe, donc d’une ressource supplémentaire dans la lutte contre l’évasion fiscale. Toutefois, dans la réponse à une question écrite au Sénat, nous avons appris que la Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes était le produit d’une réorganisation d’actifs existants au sein de l’ARC et qu’elle n’avait « nécessité aucune augmentation ni aucun transfert de ressources ». Autrement dit, des personnes travaillant déjà pour l’agence ont simplement été mutées dans une autre partie de l’agence, sans financement additionnel.

Une allégation d’un autre genre s’est ensuite fait entendre. En février et mars 2017, partout au Canada, des articles vantant le travail de l’Agence du revenu du Canada ont été publiés dans les journaux et en ligne. « Des programmes fédéraux pour lutter contre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale », « Le Canada s’attaque à l’évasion fiscale et à l’évitement fiscal agressif », voilà le genre de titres qu’on pouvait lire.

J’ai bien sûr remarqué ces articles et je les ai lus avec beaucoup d’intérêt, car tout ceci était nouveau pour moi. Jamais l’ARC n’avait eu aussi bonne presse. J’ai alors fait inscrire une question au Feuilleton du Sénat et j’ai appris des années plus tard que l’ARC, faisant sien l’adage qui dit que, quand personne ne veut nous louanger, il suffit de payer quelqu’un pour le faire, a déboursé 300 000 $ pour publier du contenu commandité dans six journaux imprimés et électroniques du pays. Voilà ce que j’appelle de la fausse nouvelle, chers collègues, ou je ne m’y connais pas.

C’est bien sûr sans parler de l’écart entre les sommes que l’ARC disait à qui voulait l’entendre qu’elle avait retrouvées et celles qu’elle avait effectivement recouvrées — parlez-en aux membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales qui ont étudié le projet de loi S-258. Quand la sénatrice Pate a voulu connaître la teneur des évaluations réalisées par l’ARC dans la foulée des Panama Papers, des Paradise Papers et des Pandora Papers et le montant réellement récupéré, voici ce que l’agence lui a répondu par écrit :

[E]n date du 31 mars 2023, les audits ont évalué les sommes dues à :

Panama Papers : 77 000 000 $.

Paradise Papers : 1 800 000 $

Pandora Papers : Néant.

Alors, chers collègues, on a maintenant une bonne idée du fardeau que l’évasion fiscale fait porter aux Canadiens.

Cependant, en réponse à la question directe de la sénatrice Pate sur les sommes perçues, l’agence a répondu, et je cite :

L’ARC ne fait pas le suivi des paiements en fonction de redressements spécifiques au compte tels qu’une vérification, puisque ses systèmes imputent les paiements au solde cumulatif impayé du contribuable pour chaque année d’imposition, qui peuvent donc comprendre plusieurs évaluations, réévaluations, par exemple des vérifications de différents types et d’autres redressements.

Eh bien, chers collègues, cela clarifie les choses. Vraiment, on ne sait trop s’il faut rire ou pleurer avec une réponse comme celle-là.

D’autres pays ont récupéré des centaines de millions de dollars en impôts. Par exemple, l’Islande, un pays cité dans les Panama Papers, a perçu plus de 25 millions de dollars, et d’autres pays ont récupéré des sommes pouvant atteindre des milliards de dollars à la suite de ces fuites de renseignements fiscaux, mais au Canada, nous ne savons pas si nous avons récupéré un cent ou si nous faisons encore des vérifications. Nous ne savons pas si des sommes ont été perçues.

Les antécédents de fausses déclarations et de réponses évasives de l’Agence du revenu du Canada expliquent pourquoi j’ai prévu dans mon projet de loi des éléments qui obligent l’agence à continuer de mesurer le manque à gagner fiscal ainsi qu’à collaborer avec le directeur parlementaire du budget pour faciliter son examen indépendant. C’est une bonne chose que l’ARC mesure son propre rendement, mais ce n’est pas suffisant. Comme le disait Ronald Reagan, « faisons confiance, mais vérifions ». Dans le cas de l’Agence du revenu du Canada, il faut insister sur la partie « vérifions ».

Chers collègues, comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture, c’est la troisième fois que je présente ce projet de loi au Sénat. Je vous remercie de l’appui que vous lui avez déjà donné et je vous demande de le renouveler encore une fois. Qui sait? Les deux Chambres jugeront peut-être bon, cette fois-ci, d’adopter cette mesure législative pour que l’Agence du revenu du Canada fasse enfin preuve, comme il se doit, de responsabilité et de transparence à l’égard des Canadiens.

Je demande donc aux députés de se rallier au Sénat pour adopter cette mesure législative et lutter contre l’évasion fiscale.

Son Honneur la Présidente : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Downe?

Le sénateur Downe : Oui.

L’honorable Colin Deacon : Merci, sénateur Downe. Que répond l’ARC aux Canadiens qui donnent suite à ses demandes en faisant des déclarations vagues ou erronées?

Le sénateur Downe : D’après ce que je comprends, les règles sont un peu différentes. Je tiens à préciser que l’Agence du revenu du Canada fait un travail remarquable pour l’évasion fiscale commise au pays. Si vous êtes menuisier au Nouveau-Brunswick, si vous êtes serveuse en Saskatchewan, si vous êtes avocat à Vancouver et que vous essayez de frauder le fisc, vous risquez fort de vous faire prendre.

La faiblesse de l’agence est qu’elle n’a pas de capacité pour gérer l’évasion fiscale à l’étranger, qu’elle comprend peu. Cela remonte à 11 ou 12 ans, lorsqu’une fuite provenant d’une banque au Liechtenstein a révélé que plus de 100 Canadiens y détenaient des comptes dont les soldes s’élevaient à des centaines de millions de dollars. Personne n’a été inculpé pour cela. La position de l’Agence du revenu du Canada, après la publication de toutes les informations, était qu’elle était en train d’apprendre comment les choses fonctionnaient afin de pouvoir attraper les gens à l’avenir. Eh bien, cela n’a pas tenu la route, car après cela, il y a eu les fuites au Panama, et la liste ne s’arrête pas là.

Des Canadiens étaient clients de ces banques, ou de ces cabinets d’avocats dans le cas du Panama. Comme on le sait, il n’est pas illégal d’avoir un compte à l’étranger. Ce qui est illégal, c’est de ne pas déclarer le produit de ce compte. Peut-être qu’un habitant du Liechtenstein était en vacances et a décidé d’ouvrir un compte dans un paradis fiscal, ou peut-être qu’il essayait d’escroquer les Canadiens.

Comme nous le savons tous, à Ottawa, lorsqu’un sénateur a une proposition à faire, il y a deux réponses : « C’est une merveilleuse suggestion » et « Comment allons-nous la payer? » Eh bien, nous allons la payer en recouvrant les milliards de dollars dus au gouvernement canadien et qui, selon le directeur parlementaire du budget, n’ont pas été perçus par notre agence du revenu.

(1740)

Pour la gouverne des Canadiens, le manque à gagner fiscal mesure la différence entre ce que l’Agence du revenu du Canada perçoit et ce qu’elle devrait percevoir. Il permet d’évaluer l’efficacité de l’agence et de déterminer si elle fait du bon travail. Je ne le pense pas, mais cette information nous permettrait de le savoir avec certitude.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

L’honorable Elizabeth Marshall : Merci, sénateur Downe, de vos observations. Je me souviens de chacun des incidents dont vous avez parlé alors je vais donner mon opinion.

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-258, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada. Je serai brève, mais permettez-moi de formuler quelques observations.

Dès sa conception, le projet de loi S-258 avait pour objectif de combler une lacune fondamentale dans notre compréhension et notre gestion du manque à gagner fiscal, soit l’écart entre l’impôt qui a été perçu et l’impôt qui aurait dû être perçu.

Le projet de loi n’est pas qu’une affaire de chiffres; il concerne l’équité, la transparence et le renforcement d’un régime fiscal équitable pour tous les Canadiens. Ce sont des objectifs louables et le projet de loi S-258 comporte trois mesures visant à nous aider à les atteindre.

Premièrement, le projet de loi S-258 exige de l’Agence du revenu du Canada qu’elle produise une liste détaillée de toutes les condamnations pour évasion fiscale, dont une pour l’évasion fiscale internationale, dans le rapport annuel qu’elle soumet au ministre du Revenu national. Cette exigence a pour objectif d’accroître la transparence, mais aussi de servir de moyen de dissuasion en renforçant le message selon lequel l’évasion fiscale est un crime grave entraînant des conséquences réelles.

Dans les témoignages entendus au Comité sénatorial des finances, la valeur de ce moyen de dissuasion a été soulignée par les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada et par le directeur parlementaire du budget. Ce dernier a indiqué que :

Publier la liste des condamnations pour évasion fiscale dans le rapport annuel serait une occasion de plus de rappeler les conséquences de l’évasion fiscale internationale, en donnant un peu de contexte, évidemment. Cela pourrait avoir un effet dissuasif additionnel au-delà de ce qui se fait déjà.

Deuxièmement, ce projet de loi ajoute une exigence selon laquelle l’Agence du revenu du Canada doit, tous les trois ans, inclure dans son rapport les statistiques sur le manque à gagner fiscal. Il s’agit là d’un geste déterminant vers une plus grande reddition de comptes, qui permet aux parlementaires et au public de mesurer l’efficacité de notre régime fiscal ainsi que les efforts de l’agence en matière de recouvrement d’impôt et d’observation des règles fiscales. Nous obtiendrons ainsi des données qui nous permettront de prendre des décisions éclairées en matière de politiques fiscales et d’affectation des ressources.

Ce cycle de présentation de rapports tous les trois ans est le résultat d’un amendement apporté à une version antérieure du projet de loi. Des représentants de l’Agence du revenu du Canada avaient dit craindre qu’il devienne coûteux de produire des rapports annuels. À l’heure actuelle, le Royaume-Uni produit chaque année un rapport sur son manque à gagner fiscal. Les représentants de l’ARC ont dit qu’ils produisent de tels rapports depuis près de 20 ans, soit depuis 2005. L’ARC a confirmé que l’échéancier de trois ans est parfaitement réalisable et qu’il s’agit de la norme internationale par excellence.

Troisièmement, le texte précise que le ministre doit fournir des statistiques sur le manque à gagner fiscal au directeur parlementaire du budget. En plus de garantir une évaluation indépendante de ce manque à gagner, cette disposition rendra les données plus crédibles et nous permettra de mieux comprendre les obstacles au respect des règles fiscales. Il s’agit d’un élément clé du projet de loi. Le directeur parlementaire du budget fournit des évaluations de coût et des analyses financières indépendantes au Parlement, ce qui permet de rehausser le niveau des débats parlementaires, en plus de favoriser la transparence et la reddition de comptes.

Le directeur parlementaire du budget a déjà eu du mal à obtenir l’information dont il avait besoin pour évaluer l’ampleur du manque à gagner fiscal. Le projet de loi S-258 permettra de remédier à la situation.

Je signale que l’évasion fiscale a de nombreuses répercussions sur la société. Ces répercussions vont au-delà des seules recettes perdues, elles minent l’intégrité du régime fiscal et la confiance du public envers ce même régime. À cause de l’évasion fiscale, le public se demande si le système est juste. Quand un particulier ou une société se soustraient à l’impôt, ils refilent la facture aux contribuables honnêtes et privent l’État de l’argent dont il a besoin pour financer les services publics essentiels. Ce mélange peut créer un sentiment d’injustice et affaiblir le contrat social entre les citoyens et l’État.

Le projet de loi S-258 ne prétend pas résoudre tous les problèmes que cause l’évasion fiscale ou qu’éprouve l’Agence du revenu du Canada. Il constitue néanmoins une avancée de taille en ce qu’il permettra de rendre le régime fiscal plus transparent et de renforcer les efforts collectifs de lutte contre l’évasion fiscale. Bref, il pavera la voie à de meilleures politiques publiques et à une meilleure affectation des ressources.

En terminant, honorables sénateurs, je vous prie de tenir compte des retombées de ce projet de loi, qui en plus de faciliter la collecte des recettes fiscales, favorisera le respect des règles et rendra le régime fiscal plus juste. Merci d’appuyer le projet de loi S-258.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d’amendement—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wells, appuyée par l’honorable sénatrice Batters, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénatrice Dupuis,

Que le projet de loi C-234 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 2 :

a) à la page 2, par substitution, aux lignes 24 à 36, de ce qui suit :

« saire de l’entrée en vigueur de la présente loi. »;

b) à la page 3, par suppression des lignes 1 à 10.

L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’amendement de la sénatrice Moncion au projet de loi C-234.

Cet amendement empêcherait le gouvernement de prolonger, par l’entremise du gouverneur en conseil ou de motions présentées à la Chambre des communes et au Sénat, au-delà de l’échéance prévue les exemptions de la taxe sur le carbone accordées aux exploitations agricoles.

Bien que je dise qu’il s’agit de l’amendement de la sénatrice Moncion, est-ce bien le cas? Lorsque j’ai demandé à la sénatrice, dans la foulée de son intervention, s’il s’agissait du même amendement que le sénateur Woo avait proposé au Comité de l’agriculture, elle m’a répondu : « Je crois qu’il est semblable. » Or, voici, le libellé de l’amendement en question. Le sénateur Woo avait proposé :

Que le projet de loi C-234 soit modifié à l’article 2 :

a) à la page 2, par substitution, aux lignes 24 à 36, de ce qui suit :

« saire de l’entrée en vigueur de la présente loi. »;

b) à la page 3, par suppression des lignes 1 à 10.

Qu’en est-il de l’amendement de la sénatrice Moncion? Il n’est pas semblable : il est parfaitement identique, mot pour mot.

D’où vient donc cet amendement? Apparemment, sa marraine au Sénat ne connaissait pas assez bien son propre amendement pour s’apercevoir qu’il est identique à celui-là. De plus, la sénatrice Moncion n’a que très sommairement expliqué cet amendement, ne prononçant que trois phrases à son sujet dans son intervention ce soir-là.

Cependant, au comité, le sénateur Woo avait expliqué en ces termes son raisonnement pour présenter cet amendement :

[...] nous ne devrions pas, en tant que Chambre de second examen objectif, permettre que la prolongation de ces exemptions soit si facile.

C’est bien de cela qu’il s’agit, n’est-ce pas, honorables sénateurs? Le gouvernement ne veut pas que les agriculteurs bénéficient d’un allégement de la taxe sur le carbone, et surtout pas avec facilité. Des amendements comme celui-là font partie de sa stratégie visant à retarder, à paralyser, à vider de sa substance et finalement à torpiller toute mesure qui aiderait les agriculteurs.

L’amendement du sénateur Woo avait été rejeté par le comité, mais la sénatrice Moncion l’a ramené pour tenter de nouveau de bloquer le projet de loi.

On nous a dit que le Cabinet ne veut pas de ce projet de loi. Ce n’est pas une surprise de la part d’un gouvernement Trudeau qui appartient à l’élite laurentienne et qui est complètement déconnecté des agriculteurs canadiens. C’est ce gouvernement qui a récemment fait construire à Rideau Hall une prétendue grange de 8 millions de dollars qui est chauffée, qui comporte deux étages, qui est carboneutre et qui est dotée d’un garage. À mon avis, cela n’évoque pas une grange, mais plutôt ce qu’on peut en extraire à la pelle.

Honorables sénateurs, l’un des principaux objectifs du Sénat consiste à défendre les intérêts des régions du Canada dans le processus législatif; c’est donc ce que je fais ici aujourd’hui. Comme la plupart des gens qui ont grandi en Saskatchewan, j’ai toujours eu conscience de l’importance de l’agriculture. Mon père a vendu de l’équipement agricole pendant des décennies. Lorsque j’étais toute jeune, j’allais au magasin de mon père pour prendre un exemplaire de tous les dépliants en papier glacé montrant les toutes nouvelles machines agricoles, y compris des tracteurs, des moissonneuses-batteuses et, bien sûr, des séchoirs à grains. J’en mettais partout dans ma chambre à coucher, puis j’appelais mes petites sœurs pour qu’elles viennent faire du magasinage parce que le magasin d’équipement agricole était ouvert.

Honorables sénateurs, vous venez pour la plupart de grands centres urbains. Il n’arrive probablement pas souvent que des agriculteurs viennent vous parler, mais pour tous ceux qui, comme moi, représentent une province en grande partie rurale, cela arrive toutes les fins de semaine chez eux. D’ailleurs, cette semaine, l’exposition agricole annuelle de l’Ouest canadien a lieu à Regina, où ce projet de loi est un sujet brûlant. Les agriculteurs sont consternés que certains sénateurs tentent de faire de l’obstruction pour empêcher l’adoption de ce projet de loi plein de bon sens qui vise à offrir aux producteurs agricoles un répit par rapport à une taxe sur le carbone injuste qui, dans certains cas, menace carrément leur gagne-pain.

L’agriculture n’a jamais été un moyen facile de gagner sa vie. Les agriculteurs sont soumis à toutes sortes d’impondérables indépendants de leur volonté : l’imprévisibilité des conditions météorologiques, les marchés internationaux et les accords commerciaux, les insectes, les mauvaises herbes et les maladies, sans oublier, bien sûr, le gouvernement à Ottawa qui leur est souvent insensible.

Par exemple, le gouvernement Trudeau s’accroche désespérément à sa politique de taxation du carbone pour inciter les Canadiens à faire des choix plus écologiques. Or, les agriculteurs n’ont pas de leçon à recevoir de la part du gouvernement Trudeau sur la façon d’être de bons gardiens de la nature. Les agriculteurs prennent très bien soin de la nature parce que c’est dans leur propre intérêt économique de le faire.

L’agriculture est un puits de carbone. Des pratiques comme l’ensemencement sans labour et la rotation des cultures ont des effets bénéfiques sur l’environnement. Au fur et à mesure que la technologie évolue, les exploitations agricoles évoluent avec elle. Le gouvernement Trudeau préfère toutefois oublier certaines réalités propres au monde agricole. Tant que la technologie n’aura pas évolué, les agriculteurs continueront d’avoir besoin de carburants tels que le propane et le gaz naturel pour certaines de leurs activités, comme le séchage du grain ainsi que le chauffage et la climatisation des étables et des serres. Il n’existe pas encore de véritable solution de rechange, et ces activités sont absolument essentielles à la réussite des entreprises agricoles. Rappelons que sans fermes, il n’y a pas d’aliments. Si les fermes canadiennes ne tiennent pas le coup, la sécurité alimentaire du Canada sera compromise, ce qui aura un effet néfaste sur tous les Canadiens.

(1750)

Comme on pouvait s’y attendre, les solutions que propose le gouvernement Trudeau coûtent très cher. J’ai vérifié les prix récemment. Un séchoir à grains neuf conçu pour les fermes coûte 300 000 $, et il faut ajouter de 100 000 $ à 150 000 $ pour les accessoires requis.

Il s’agit d’un investissement massif, et cette nouvelle pièce d’équipement réduirait la consommation d’énergie d’environ 30 % seulement, comme l’a récemment admis le sénateur Dalphond lui‑même. Ainsi, les économies réalisées seraient dérisoires par rapport aux près d’un demi-million de dollars dépensés pour acheter ce séchoir à grains. Puis, il y a le coût de la taxe sur le carbone quand on fait sécher le grain. J’ai vu les factures de SaskEnergy de Kenton Possberg, un agriculteur de Humboldt, en Saskatchewan. Lorsqu’il s’est servi du séchoir à grains, la taxe sur le carbone et la TPS en sus lui ont coûté 6 400 $ un mois et environ 4 000 $ un autre mois. L’hiver, lorsqu’il ne se sert pas du séchoir à grains, la taxe sur le carbone lui coûte seulement 135 $ par mois. La différence de 5 000 $ par mois est stupéfiante.

Les agriculteurs de la Saskatchewan sont particulièrement affligés par la taxe sur le carbone parce que notre province est située à l’intérieur des terres. Ian Boxall, président de l’association des producteurs agricoles de la Saskatchewan, a déclaré :

Les exploitations agricoles de la Saskatchewan vont payer plus de 40 millions de dollars de taxe sur le carbone rien que pour acheminer leurs produits au port. Cet argent sort directement de la Saskatchewan rurale.

Partout au pays, les producteurs agricoles partagent les mêmes préoccupations. Hessel Kielstra, producteur de volailles de l’Alberta, a expliqué l’incidence de la taxe sur le carbone sur son exploitation dans ces mots :

Nous n’avons pas les moyens de payer la taxe paralysante sur le carbone. Si le gouvernement permet à la taxe d’atteindre 170 $, nous devrons fermer boutique, ce qui serait très douloureux pour notre famille [...]

Le coût pour nous est le suivant :

120 000 $ en 2022;

180 000 $ en 2023;

480 000 $ par an lorsque la taxe sur le carbone atteindra 170 $.

Comme vous pouvez le constater, la taxe sur carbone est prohibitive pour nous.

Le directeur parlementaire du budget a évalué le projet de loi C-234 et a déterminé que les exemptions de taxe sur le carbone prévues dans le projet de loi permettraient aux agriculteurs d’économiser 1 milliard de dollars d’ici 2030. Il s’agit d’une somme importante pour de nombreux producteurs agricoles. Dans bien des cas, cela pourrait sauver leurs gagne-pain.

Gunter Jochum, un producteur de grain du Manitoba et le président de la Western Canadian Wheat Growers Association, a dit ce qui suit :

Au rythme actuel, la taxe coûte à mon exploitation environ 40 000 $. Le gouvernement veut toutefois l’augmenter, ce qui coûterait à mon exploitation pas moins de 136 000 $ par année d’ici 2030. Cela va compromettre sa viabilité et sa durabilité.

Dernièrement, le premier ministre Trudeau a créé une exemption à la taxe sur le carbone. Il est ainsi allé à l’encontre de la politique phare de son propre gouvernement. Cette exemption se limite toutefois aux Canadiens qui se chauffent au mazout. Cet allégement fiscal cible donc surtout les gens des provinces de l’Atlantique et ce, de toute évidence, pour des motifs bassement politiques, dans le but de renflouer les fortunes libérales déclinantes de la région. La ministre du Développement économique rural du cabinet Trudeau, Gudie Hutchings, l’a directement admis. Elle a dit que cette exemption découlait de pressions exercées par les députés libéraux de l’Atlantique et que, si les provinces de l’Ouest voulaient une exemption semblable, elles devraient peut-être élire plus de libéraux dans les Prairies.

Cela prouve que les libéraux de Trudeau ne comprennent à peu près rien aux gens de l’Ouest. Cela en dit long, aussi, sur l’ancien ministre libéral Ralph Goodale, le seul représentant de la Saskatchewan au sein du Cabinet lors de la création et de la mise en œuvre de la taxe sur le carbone. Pendant des années, il aurait pu se porter à la défense des agriculteurs de l’Ouest qui réclamaient alors cette exemption, mais il n’en a rien fait.

Avec sa volte-face partielle à propos de la taxe sur le carbone, le gouvernement Trudeau admet que cette taxe coûte trop cher et que l’État ne devrait pas imposer ce genre de taxe quand les prix montent en flèche et qu’il n’est pas possible d’utiliser d’autres sources d’énergie, ce qui est précisément le cas de bien des agriculteurs.

Puisque les libéraux ont déjà accordé une exemption à l’Est du Canada, il est carrément injuste qu’ils en refusent une aux agriculteurs de l’Ouest sur le gaz naturel et le propane.

La Saskatchewan paie la taxe sur le carbone depuis déjà quatre ans et demi. Au cours de cette période, le gouvernement Trudeau a défendu différentes positions sur l’allégement de la taxe sur le carbone pour les agriculteurs. Il a d’abord dit que les agriculteurs n’avaient pas besoin de cet allégement parce que les exploitations agricoles et les activités agricoles normales seraient « complètement exemptées de la tarification du carbone ».

Le gouvernement Trudeau a évidemment rompu sa promesse en imposant la taxe sur le carbone sur le séchage du grain. Il est stupéfiant que le gouvernement libéral ait mis autant de temps à comprendre que le séchage du grain fait partie des activités agricoles normales. Le gouvernement a ensuite changé son fusil d’épaule en prétendant que l’allégement de la taxe sur le carbone accordé aux éleveurs de volaille allait compenser pour le « faible » coût du séchage du grain. Il n’est pas nécessaire de préciser que c’était tout simplement faux. Bien des agriculteurs doivent débourser des dizaines de milliers de dollars à cause de la taxe sur le carbone, mais les remboursements qui leur sont accordés ne sont que des miettes. Le remboursement ne couvre que de 7 % à 10 % de ce que coûte la taxe sur le carbone aux agriculteurs. Ce sont donc les agriculteurs et, en fin de compte, les consommateurs qui doivent assumer le reste de la facture.

Les aliments ne tombent pas du ciel. Ils n’apparaissent pas par magie sur les tablettes de Whole Foods. L’agriculteur qui cultive les aliments et les camionneurs qui les transportent paient tous les deux la taxe sur le carbone, ce qui veut dire que le consommateur qui achètent ces aliments la paient aussi. Le coût du carburant fait grimper le prix de tout. Les prix augmentent dans tous les secteurs et avec chaque participant de la chaîne, puisque tout le monde augmente ses prix pour tenir compte de la hausse des coûts de production. Résultat : les consommateurs canadiens doivent payer la note, et les agriculteurs canadiens sont désavantagés sur la scène mondiale.

Le gouvernement Trudeau aime se targuer d’avoir doublé récemment le supplément pour les régions rurales de manière à aider davantage les agriculteurs, mais je peux vous dire que le fait de doubler ce supplément ne rapportera que 11 $ par mois au résident d’une région rurale de la Saskatchewan. Combien de temps faut-il pour dépenser 11 $? Il faut seulement 11 secondes pour mettre 11 $ d’essence dans la voiture. Je l’ai chronométré. Quelle distance peut-on parcourir avec 11 $ d’essence? On peut seulement faire de 70 à 80 kilomètres environ. Beaucoup de Canadiens des régions rurales doivent faire plus que 70 ou 80 kilomètres pour aller à un rendez-vous médical ou à l’épicerie, ou pour aller reconduire leurs enfants à des activités parascolaires. Ils doivent décidément parcourir une distance encore plus grande quand ils vont acheter des pièces pour leurs machines agricoles.

Beaucoup d’agriculteurs font un trajet de plus que 70 ou 80 kilomètres pour aller à leur deuxième emploi, car ils ont souvent besoin d’un deuxième emploi pour avoir les moyens de payer toutes les factures de la famille.

Le gouvernement Trudeau dresse les régions du pays les unes contre les autres, et voilà maintenant qu’il fait tout ce qu’il peut pour que les agriculteurs n’obtiennent aucun allégement de son écrasante taxe sur le carbone, ce qui m’amène au débat d’aujourd’hui.

Les agriculteurs ont eu une lueur d’espoir avec le projet de loi d’initiative parlementaire C-234 lorsqu’il a été adopté à la Chambre des communes avec l’appui de députés de tous les partis — même trois députés libéraux. Mais, maintenant que ce projet de loi est arrivé au Sénat indépendant, le gouvernement Trudeau, y compris son leader et sa leader adjointe au Sénat, prend des mesures extrêmes afin de retarder, affaiblir et torpiller ce projet de loi. Cela explique l’avalanche de coups de téléphone paniqués de la part des ministres Guilbeault et Wilkinson à certains sénateurs.

Le ministre Guilbeault a admis dans une récente entrevue qu’il n’avait parlé qu’à la poignée de sénateurs libéraux restants. Même le ministre admet que l’indépendance du Sénat n’est pas totale.

Je connais au moins un sénateur indépendant à qui on a dit que la taxe sur le carbone ne coûte que 900 $ par année aux agriculteurs. C’est faux. Le gouvernement Trudeau induit intentionnellement les sénateurs en erreur.

Honorables sénateurs, ne vous laissez pas berner par un gouvernement qui agit uniquement en fonction de son propre intérêt partisan et non dans l’intérêt des Canadiens.

L’amendement de la sénatrice Moncion est une autre façon pour le gouvernement de nuire aux agriculteurs canadiens, de les pénaliser parce qu’ils n’ont pas voté pour les libéraux. Le fait d’amender le projet de loi à ce stade-ci pourrait essentiellement le torpiller. C’est ce qu’a déclaré le sénateur indépendant Brent Cotter au Comité sénatorial de l’agriculture :

[...] chaque amendement que nous proposons au projet de loi met en péril la probabilité que l’exemption voie le jour sous quelque forme que ce soit, et cela me semble triste et paradoxal puisque, d’après la conversation de jeudi dernier, le comité appuyait un volet de l’exemption proprement dite, plus particulièrement en ce qui concerne le séchage du grain.

Donc, à mes yeux, il n’est pas justifié d’ajouter à cela une disposition relativement insignifiante et un amendement relativement insignifiant, et je voterai contre cet amendement.

Si le projet de loi C-234 est amendé et qu’il retourne à la Chambre des communes, il est probable que le gouvernement ne le présentera pas à nouveau et qu’il le laissera mourir au Feuilleton lors du déclenchement des prochaines élections. Malheureusement, les agriculteurs n’ont pas le luxe d’attendre la défaite du gouvernement actuel. Il leur faut un allégement de la taxe sur le carbone dès maintenant.

Le projet de loi C-234 est un plan sensé visant à apporter aux agriculteurs l’aide dont ils ont tant besoin. Il a été adopté par la Chambre des communes il y a plusieurs mois. Des milliers de Canadiens ont contacté nos bureaux pour nous exhorter à adopter ce projet de loi sans amendement. Cinq premiers ministres vous ont écrit au nom de leur province pour vous demander de faire de même.

Honorables sénateurs, si le Sénat n’adopte pas le projet de loi C-234, vous démontrerez que vous êtes terriblement déconnectés de la réalité des Canadiens.

Je vous demande de faire ce qu’il faut au nom des Canadiens. Votez contre cet amendement et cessez de donner des réponses évasives sur la suppression de la taxe sur le carbone pour les agriculteurs qui nourrissent notre pays et la planète. Merci.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Souhaitez-vous ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. En conséquence, la séance est suspendue, et je quitte le fauteuil jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

[Français]

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d’amendement—Report du vote

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wells, appuyée par l’honorable sénatrice Batters, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénatrice Dupuis,

Que le projet de loi C-234 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 2 :

a) à la page 2, par substitution, aux lignes 24 à 36, de ce qui suit :

« saire de l’entrée en vigueur de la présente loi. »;

b) à la page 3, par suppression des lignes 1 à 10.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, je remercie la sénatrice Moncion de son amendement, qui me permet de faire ressortir une des nombreuses défaillances du projet de loi C-234. J’aurai l’occasion dans un prochain discours, en tant que porte‑parole du projet de loi, de vous exposer les autres défaillances et faussetés.

D’abord, permettez-moi de vous parler du parcours du projet C-234 à ce jour. La deuxième lecture a commencé le 9 mai dernier par le discours du sénateur Wells. Cette étape s’est terminée par mon discours à titre de porte-parole le 13 juin 2023. Bref, à peine 12 jours de séance pour un projet de loi des conservateurs de l’autre endroit, adopté malgré l’opposition du gouvernement et modifiant son principal outil en faveur de la lutte contre les gaz à effet de serre, d’une tarification progressive des émissions de carbone et, accessoirement, des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je vous invite à comparer ce processus avec la deuxième lecture du projet de loi C-226, concernant le racisme environnemental, où le porte-parole, le sénateur Plett, n’a pris la parole que six mois après la sénatrice McCallum, ou encore avec le projet de loi C-282 sur la protection de la gestion de l’offre, un projet de loi endossé par tous les chefs de partis aux Communes, où ce même porte‑parole n’a toujours pas pris la parole, deux mois après le discours de la sénatrice Gerba.

Ce qui a permis cette exceptionnelle rapidité, c’est une entente entre les groupes pour renvoyer le projet de loi à deux comités.

[Traduction]

La motion adoptée se lit comme suit :

[...] si le projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, est adopté à l’étape de la deuxième lecture :

1. il soit renvoyé au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts;

2. le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la teneur du projet de loi;

3. le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts soit autorisé à prendre en considération, au cours de son étude du projet de loi, tout document public et tout témoignage public reçus par le comité autorisé à étudier la teneur du projet de loi [...]

 — c’est à dire les finances —

[...] de même que tout rapport de ce comité au Sénat sur la teneur du projet de loi.

[Français]

L’implication souhaitée du Comité sénatorial permanent des finances nationales, plutôt que celle du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, découlait du fait que le Comité des finances avait étudié la Loi sur la tarification du carbone lors du budget de 2018, puis les amendements à la Loi de l’impôt sur le revenu qui accordaient des crédits aux agriculteurs, ce qui leur permettait de se partager le prix sur le carbone perçu auprès d’eux, lors du budget de 2022.

[Traduction]

Le 20 septembre dernier, avant que le Comité de l’agriculture n’amorce son étude du projet de loi C-234, qui devait être brève, j’ai envoyé un courriel au président pour soumettre une liste de témoins potentiels. Ces témoins avaient exprimé leurs préoccupations, voire leur opposition, au projet de loi.

Onze minutes plus tard, le président m’a envoyé la réponse suivante :

Je vous remercie de votre courriel, sénateur. Le comité a approuvé une liste de témoins plus tôt ce mois-ci, pour au moins les trois prochaines réunions du comité. Nous allons commencer les témoignages demain. S’il était décidé que le comité a besoin d’entendre de nouveaux témoins ou d’obtenir de l’information additionnelle, nous examinerons certainement vos suggestions.

Le même jour, j’ai écrit au comité directeur du Comité de l’agriculture pour souligner la nécessité d’éviter de court-circuiter le processus dans le but d’atteindre un résultat prédéterminé. J’ai remercié le comité directeur pour l’ajout de deux réunions afin d’entendre certains des témoins sur ma liste.

À la troisième réunion, le président a déclaré que, à la fin de la réunion suivante, les membres pourraient passer à l’étude article par article et qu’il serait utile de faire circuler des amendements ou des observations à l’avance. Certains sénateurs avaient ensuite posé des questions sur les observations du Comité des finances nationales. Le président avait répondu que le comité ne fournirait aucune information sur le projet de loi et que des amendements pourraient être proposés à l’étape de la troisième lecture.

Surpris, le sénateur Woo avait suggéré d’inviter le président du Comité des finances nationales à assister à la réunion suivante du Comité de l’agriculture.

Le 3 octobre, le sénateur Mockler, à titre de président du Comité des finances nationales, a assisté à ladite séance et a déclaré ce qui suit :

Dans l’ordre de renvoi qui nous occupe, on lit que le projet de loi est entièrement renvoyé au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts et que le Comité sénatorial permanent des finances nationales est autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la teneur du projet de loi. On fait donc la distinction entre la teneur du projet de loi et l’intégralité du projet de loi qui est renvoyé au comité.

Étant donné les responsabilités du Comité des finances, le comité de direction — et nous nous sommes réunis deux fois à ce sujet — a conclu que le Comité de l’agriculture et des forêts est bien outillé pour rédiger un rapport adéquat et le déposer au Sénat. Nous avons décidé de respecter ce que proposera le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts.

Autrement dit, le président du Comité des finances nationales a confirmé qu’il refusait d’étudier l’objet du projet de loi C-234, indiquant clairement que l’entente entre les groupes avait été reniée.

Pour citer le sénateur Wells, était-ce là une solution?

Le 17 octobre, le Comité de l’agriculture et des forêts devait siéger, mais les conservateurs ont refusé. Le 19 octobre, le même comité a procédé à l’étude article par article. Le nombre de participants a grimpé à 14, comparativement à six ou dix personnes lors des cinq réunions précédentes. Le sénateur Plett, entre autres, a exercé son privilège de chef de l’opposition et a participé comme membre d’office. Selon la pratique, on avise alors le bureau du représentant du gouvernement. La sénatrice LaBoucane-Benson a donc également assisté à la réunion.

Avant la réunion, le sénateur Woo et moi avons distribué quatre projets d’amendement, et d’autres sénateurs ont distribué des observations préliminaires. Mon seul amendement était une copie de l’amendement qui avait été rejeté au comité de la Chambre par six voix contre cinq. Il visait à limiter les exemptions fiscales au séchage du grain et à exclure le chauffage des bâtiments.

J’ai résumé les témoignages présentés au Comité de l’agriculture à l’appui de mon amendement, et la sénatrice Burey a ensuite fait valoir, dans un rappel au Règlement, que mon amendement n’était pas recevable, en se fondant sur des extraits de La procédure du Sénat en pratique. Le sénateur Plett, en lisant une note de service, s’est prononcé en faveur du rappel au Règlement.

Évidemment, ce jour-là, le Parti conservateur du Canada et le Groupe des sénateurs canadiens agissaient conjointement. Bien sûr, ni le Groupe progressiste du Sénat ni le Groupe des sénateurs indépendants ne s’était fait dire à l’avance de se préparer.

Pour reprendre les mots du sénateur Wells, s’agissait-il d’une conspiration, ou plutôt d’une énorme conspiration?

Je n’ai eu d’autre choix que de demander au comité d’annuler la décision, ce qu’il a fait lors d’un vote de sept contre cinq, avec deux abstentions. Les cinq voix favorables à la décision du président ont été celles de trois sénateurs conservateurs et de deux sénateurs du Groupe des sénateurs canadiens. L’événement a pris environ une heure et a forcé la tenue d’une deuxième réunion pour l’étude article par article.

Nous avons finalement débattu de mon amendement, qui a été adopté par sept voix contre six avec une abstention — notre collègue du bureau du représentant du gouvernement, la sénatrice LaBoucane-Benson.

Contrairement à ce qui a été dit par le sénateur Plett dans les médias sociaux et par l’Agriculture Carbon Alliance dans le National Post, le bureau du représentant du gouvernement n’a pas rendu possible l’adoption de l’amendement — au contraire.

Après la tenue du vote sur mon amendement, le président est passé à l’article 2. Le sénateur Woo a présenté son premier amendement, proposant de faire passer la période d’exemption de huit à trois ans. Après un long débat, le vote a abouti à une égalité des voix, sept contre sept, et au rejet de l’amendement.

Ensuite, oubliant que le sénateur Woo avait un autre amendement, le président a dit : « L’article 2 est-il adopté? » Certains sénateurs ont dit « D’accord », et le président a répondu « Merci », puis il a demandé au comité si le titre était adopté.

Le sénateur Woo a immédiatement mentionné qu’il y avait un autre amendement à discuter et qu’il voulait le présenter. Le président lui a répondu « Allez-y », puis le sénateur Woo a présenté son amendement, qui est identique à celui dont nous sommes saisis.

Un débat a suivi. À un moment donné, le sénateur Plett a indiqué qu’il voulait que l’on s’engage à terminer l’étude article par article avant de lever la séance. Le président a dit que le comité devait absolument s’arrêter...

(2010)

Son Honneur la Présidente intérimaire : À l’ordre.

Le sénateur Dalphond : Le président a dit que le comité devait absolument s’arrêter à 11 heures, et on a donc levé la séance.

Lors de la réunion suivante, les sénateurs Plett et Wells se sont opposés à ce que l’on poursuive l’étude de l’article 2, affirmant qu’il était irrecevable, puisque le président avait affirmé, lors de la réunion précédente, que l’article 2 était adopté.

Le sénateur Woo, la sénatrice Simons et moi avons indiqué que le débat sur ce dernier amendement avait déjà commencé. Par ailleurs, nous avons parlé d’incidents similaires qui s’étaient déjà produits au Sénat, et nous avons indiqué que, selon l’article 10-5 :

Tout sénateur peut proposer le réexamen d’un article déjà approuvé d’un projet de loi qui est toujours à l’étude.

Le président a rejeté le rappel au Règlement du sénateur Plett. Ensuite, nous avons repris l’étude des amendements restants, nous avons terminé l’étude article par article, et nous avons tous ajouté bon nombre d’observations judicieuses.

Honorables collègues, si on a apporté une correction ou davantage pendant ce processus, c’est non pas au Sénat, mais au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts qu’on l’a fait.

Passons maintenant à l’amendement de la sénatrice Moncion. Il est certes identique au dernier que le sénateur Woo a présenté au comité. Il est vrai qu’il a été rejeté, mais par un vote à égalité de sept voix contre sept.

Dans une telle situation, il est tout à fait justifié que l’ensemble du Sénat réexamine la question, d’autant plus que l’amendement de la sénatrice Moncion porte sur un mécanisme législatif exceptionnel. Il s’agit de permettre la prolongation de l’exemption d’une durée de huit ans qui est prévue dans le projet de loi — je répète qu’on parle de huit ans, et non de trois — en faisant simplement adopter une motion dans les deux Chambres dans les délais prévus.

Comme le sénateur Woo l’a clairement expliqué mardi, cet amendement offre un moyen facile de prolonger l’exemption avant qu’elle arrive à échéance, sans audiences du comité ni débats normaux.

Pourquoi devrions-nous accepter une procédure spéciale destinée à empêcher un examen approfondi des faits et à étouffer les débats? S’agit-il là d’une autre tentative de piper les dés?

En outre, pourquoi signaler aux agriculteurs qu’il serait facile de prolonger l’exemption et qu’il n’est pas vraiment nécessaire d’adopter des pratiques agricoles plus écologiques pendant la période d’exemption?

Alex Cool-Fergus, directrice des politiques nationales au sein du Réseau action climat Canada, a dit ceci au comité :

Je ne dis pas qu’il n’y a aucune solution commercialisable présentement, mais, s’il n’y a pas de signal du marché pour stimuler ce genre d’innovation, alors il n’y aura plus d’innovation, que ce soit dans huit ans — si le projet de loi est adopté, jusqu’à la fin de sa durée prévue — ou encore plus loin dans l’avenir.

Chers collègues, si nous voulons encourager les Canadiens à continuer de repousser les frontières technologiques pour réduire les émissions, nous ne devrions pas signaler que la prolongation de cette exemption pourrait être approuvée sans discussion dans huit ans, indépendamment des faits.

En conclusion, il semble que nous subissions toujours des pressions pour écourter le processus relatif à ce projet de loi, ce qui porte à croire que ce dernier ne repose pas sur une base solide. J’appuie donc l’amendement de la sénatrice Moncion. Merci, marsee.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Black, sénateur Plett, sénateur Wells et sénateur Quinn, nous n’avons que deux minutes.

L’honorable Robert Black : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dalphond : Bien sûr.

Le sénateur Black : Je vous remercie. Avec tout le respect que je vous dois, en tant que sénateur de la métropole de Montréal, comment se fait-il que vous pensiez savoir mieux que les agriculteurs ce dont ils ont besoin?

Une voix : Exactement.

Une voix : Bravo!

Le sénateur Dalphond : Je remercie le président du Comité de l’agriculture et des forêts, qui a très à cœur les intérêts des agriculteurs.

Effectivement, je vis à Montréal. Cependant, vous devez savoir qu’il y a deux ans, après le décès de mon père, j’ai vendu les terres agricoles qui appartenaient depuis 150 ans à ma famille à un agriculteur afin qu’elles puissent conserver cette vocation. Je suis né et j’ai grandi dans cette ferme. J’y ai grandi au milieu des vaches et des cultures céréalières.

[Français]

De plus, j’ai fait les foins chaque année, monsieur.

[Traduction]

Je connais les pratiques agricoles et les agriculteurs; la maison familiale est encore là-bas.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Plett, vous avez une question, brièvement.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Le sénateur accepte-t-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Dalphond : Avec plaisir, sénateur.

Le sénateur Plett : Merci. À part le fait que Don Plett appuie le projet de loi, y a-t-il une autre raison pour laquelle vous ne l’appuyez pas? J’ai l’impression que c’est la seule raison.

Je me demande, sénateur Dalphond, si vos collègues savent que la raison pour laquelle il n’a pas été possible de débattre adéquatement du projet de loi C-282, c’est que, pendant un bon moment, vous vouliez que le projet de loi S-270, votre projet de loi, soit priorisé. Lors des réunions d’organisation, vous avez fini par mettre le projet de loi C-282. J’attends que votre collègue en face de vous prenne la parole au sujet du projet de loi C-282 et, ensuite, ce sera mon tour.

Étiez-vous conscient de la situation que j’ai décrite, sénateur Dalphond? C’est une question.

Le sénateur Dalphond : Puis-je avoir cinq minutes de plus pour répondre à cette question?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Le sénateur Plett : J’ai une autre question. Si c’est seulement pour répondre à la question, alors c’est très bien.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Accordez-vous cinq minutes de plus au sénateur?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Dalphond : Merci, honorables collègues.

Sénateur Plett, vous savez très bien que vous assistez à la réunion des leaders, que j’assiste à la réunion des leaders adjoints et que nous participons ensemble à la réunion préparatoire. Lors de notre réunion préparatoire, la sénatrice Martin a dit : « Nous sommes prêts à aller de l’avant avec certains projets de loi. Voici les projets de loi que nous, les conservateurs, proposerons. Voici les projets de loi que vous, les sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants, proposerez. Voici le projet de loi que vous, sénateur Dalphond, proposerez au nom du Groupe progressiste du Sénat. Enfin, voici le projet de loi que nous sommes prêts à accepter de voir proposer au nom du Groupe des sénateurs canadiens. »

La sénatrice Clement et moi étions surpris qu’ils veuillent non seulement proposer des projets de loi, mais aussi choisir ceux que nous proposerions. Évidemment, pour me faire plaisir, ils ont dit : « Nous allons proposer votre projet de loi sur la fiscalité, c’est-à-dire la Loi instituant la Journée internationale pour la coopération et la justice fiscales. »

J’ai parlé avec mes collègues, comme nous le faisons toujours dans notre groupe. Je ne décide pas seul. Nous en avons parlé la semaine suivante. Nous avons convenu que, si un projet de loi devait être proposé, ce devait être un projet de loi sur les agriculteurs. Ce devait être le projet de loi C-282, soit le projet de loi sur la gestion de l’offre, un projet de loi qui avait été appuyé à l’unanimité par les chefs de la Chambre des communes, y compris M. Poilievre.

Je sais que M. Poilievre a sa propre position et que d’autres collègues ont dit au cours de l’été qu’ils ont des préoccupations, voire de graves préoccupations, par rapport au projet de loi. Toutefois, j’ai dit que si nous voulions faire progresser le projet de loi C-234 — un projet de loi important pour les agriculteurs, selon vous —, je tiens à ce qu’on fasse également progresser un projet de loi sur la gestion de l’offre, un projet de loi important pour les agriculteurs. C’est ce dont on a convenu. Malheureusement, vous avez refusé que l’on propose la deuxième lecture de ce projet de loi tant et aussi longtemps que votre projet de loi n’aura pas franchi toutes les étapes. Si je ne m’abuse, vous avez dit à la sénatrice Gerba que nous avions intérêt à voter dans le bon sens si nous voulions que l’autre projet de loi soit adopté.

Le sénateur Plett : Je crois que je mérite de pouvoir poser une autre question.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Pourvu que les trois sénateurs réussissent à poser leurs questions dans les deux minutes et demie qu’il reste.

Le sénateur Plett : Sénateur Dalphond, bien entendu, toutes ces informations sont inexactes. Je n’ai pas dit à la sénatrice Gerba ce que vous venez de suggérer que je lui ai dit.

Savez-vous que je suis le porte-parole pour le projet de loi et que la procédure normale au Sénat veut que le porte-parole soit le dernier à intervenir? J’attends que votre collègue et d’autres sénateurs prennent la parole au sujet du projet de loi C-282. J’ai préparé mon discours. Je suis prêt à le prononcer le lendemain du jour où votre collègue et les autres sénateurs auront terminé. Le saviez-vous, sénateur Dalphond?

[Français]

Le sénateur Dalphond : Merci, sénateur Plett, de nous rappeler que la règle qui indique que l’on donne 45 minutes à un porte-parole sert à s’exprimer après que tout le monde l’a fait, et non pas à informer les gens de nos préoccupations au sujet d’un projet de loi. Nos règles sont faites pour que le parrain ait 45 minutes pour expliquer un projet de loi et normalement, le porte-parole, qui n’est pas nécessairement un critique amical, devrait avoir 45 minutes pour expliquer à ses collègues, avant que le débat s’engage, les préoccupations et les inquiétudes que d’autres personnes éprouvent à cet égard.

Je sais que, pour le Parti conservateur, la pratique veut que le porte-parole s’exprime en dernier, mais je vous soumets, et je l’ai dit lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture au sujet du projet de loi C-234, que la pratique n’était pas voulue de cette façon, sénateur Plett.

[Traduction]

L’honorable David M. Wells : Merci, sénateur Dalphond, de votre intervention sur l’amendement.

Vous avez parlé de l’importance des signaux du marché et expliqué que c’est l’une des raisons pour lesquelles le projet de loi ne devrait pas être adopté.

(2020)

Quel est, selon vous, le signal du marché favorable à une exemption de la taxe sur le carbone pour le diésel et l’essence?

[Français]

Le sénateur Dalphond : Merci. Dans mon discours à l’étape de la troisième lecture, je traiterai de la question en long et en large. Je n’en parlerai pas maintenant dans le cadre du débat sur l’amendement, mais je suis heureux que vous reconnaissiez qu’il faut envoyer un important signal à tous les Canadiens, soit qu’il faut arrêter de faire de la production de dioxyde, qu’il faut arrêter les gaz à effet de serre et que la meilleure façon de le faire, comme tous les économistes du monde entier le reconnaissent, est d’imposer une taxe sur le carbone, comme le font l’Europe et la plupart des pays.

Nous sommes allés à Taïwan avec des collègues il y a trois semaines, et l’un des ministres que nous avons rencontrés a salué le fait que le Canada était un exemple de lutte contre le carbone, puisqu’il a imposé une taxe sur le carbone. Oui, je suis en faveur de la taxe sur le carbone et je crois malheureusement que votre parti, avec sa plateforme politique intitulée Supprimer la taxe, n’y croit pas. Il y a donc une grande différence entre nous deux. Je suggère que nous modifions le projet de loi et qu’il soit renvoyé là où tout cela doit être décidé : chez les élus.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Dalphond, votre temps de parole est écoulé.

[Traduction]

Le sénateur Black : Honorables sénateurs, je n’avais pas prévu prendre la parole au sujet de l’amendement au projet de loi C-234, mais je dois le faire pour vous faire part de quelques réflexions ce soir.

Tout d’abord, je tiens à remercier le sénateur Arnot qui, lors de son discours réfléchi de mardi dernier, nous a posé de très bonnes questions. Je vous encourage à les examiner si vous en avez le temps dans les prochains jours. Sénateur Arnot, je vous remercie de vos sages paroles et de vos réflexions.

En second lieu, je tiens à rappeler à tous les sénateurs que, à part le propane et le gaz naturel, il n’existe aucune solution de rechange viable utilisée ou pouvant être utilisée à l’heure actuelle pour sécher le grain, le maïs, les haricots ou tout autre produit au Canada. Il n’y a aucune autre solution.

Enfin, je souhaite exprimer mon désaccord, respectueusement, avec mon honorable collègue, qui a déclaré mardi dernier que le vote sur cet amendement ne concerne pas les agriculteurs. Chers collègues, si nous adoptons cet amendement, le projet de loi retournera à l’autre endroit, s’il finit par passer l’étape de la troisième lecture au Sénat. Là-bas, il mourra certainement au Feuilleton, et, par conséquent, les agriculteurs continueront à souffrir financièrement. Ce vote concerne assurément les agriculteurs, et, voter pour cet amendement, c’est certainement voter contre eux.

Chers collègues, je vous prie de voter contre cet amendement et d’appuyer nos agriculteurs, nos éleveurs et nos producteurs. Ils nous appuient 3 fois par jour, 7 jours par semaine, 52 semaines par année, année après année. Montrons-leur que nous les apprécions et que nous les appuyons dans leurs efforts pour nourrir le Canada et le monde. Merci.

L’honorable Jim Quinn : Sénateur Black, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Black : J’allais parler très brièvement, je vais donc refuser. Merci.

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, je vais tenter de dissocier le projet de loi C-234 des gestes malheureux qui ont été posés ici le 9 novembre et par la suite, gestes qui ont accaparé les discussions cette semaine.

J’aimerais fermement remettre l’accent sur ce qu’il faut faire pour que nos agriculteurs puissent avoir une incidence positive sur nos efforts collectifs de lutte contre les changements climatiques.

La majeure partie du débat sur le projet de loi C-234 a porté sur la façon dont la taxe sur le carbone aurait pu réduire graduellement les émissions de carbone provenant des activités agricoles canadiennes. Comme je l’ai dit dans mon discours sur le rapport du Comité de l’agriculture, je reste persuadé que cette mesure passe à côté d’une possibilité bien plus vaste. Chers collègues, je crains que cet amendement mette en péril notre lutte contre les changements climatiques pour les raisons qui ont déjà été énumérées par les sénateurs Arnot, Black et d’autres.

Le jour où les activités agricoles ne produiront plus de gaz à effet de serre est encore loin. Par contre, le jour où l’agriculture pourra jouer un rôle dans la lutte contre les changements climatiques est déjà arrivé, mais nous persistons à ne pas voir cette occasion énorme. Je le répète, le jour où l’agriculture pourra jouer un rôle dans la lutte contre les changements climatiques est déjà arrivé.

Je trouve très préoccupant le fait que cette possibilité ne soit pas envisagée à sa juste valeur. Si nous voulons vaincre la crise climatique, nous devons non seulement réduire notre production de gaz à effet de serre, mais il faut aussi commencer à retirer les gaz à effet de serre de l’atmosphère. La séquestration du carbone atmosphérique dans les sols agricoles — un processus appelé agriculture régénératrice — est un processus naturel qui améliore la santé des sols. Ce processus naturel peut être accéléré de façon spectaculaire dès aujourd’hui en prenant appui sur des années de recherche. Toutefois, une bonne partie de cette recherche n’est pas appliquée à grande échelle. Ce problème chronique ne se limite pas à l’agriculture, loin de là. On ne compte plus les fois où vous m’avez entendu parler du problème de longue date du Canada : nous n’appliquons pas les fruits de nos meilleures recherches pour optimiser les possibilités économiques, sociales, sanitaires et environnementales.

Les gouvernements de toutes les allégeances politiques n’y comprennent rien depuis des décennies.

Je comprends qu’en ce qui concerne les agriculteurs, le principal enjeu est qu’ils sont soumis à de nombreux risques externes. Parmi ces risques, on retrouve les événements météorologiques extrêmes, les guerres à l’autre bout du monde causant des hausses massives du coût de leurs intrants ou les fluctuations des marchés mondiaux qui dictent le prix de leurs produits. Par conséquent, les agriculteurs sont réticents à apporter des changements aux aspects qu’ils peuvent contrôler, à moins d’avoir une certitude quant au résultat ultime, d’où la lenteur à adopter des pratiques agricoles régénératives.

Afin d’offrir plus de certitude aux agriculteurs et aux marchés du carbone, des entreprises canadiennes de premier plan comme Terramera, de Vancouver, ont mis au point des technologies brevetées qui mesurent rapidement et à un coût abordable la composition des sols afin que les agriculteurs puissent faire le suivi de la recarbonation de leurs terres. D’autres entreprises ont maintenant des satellites munis de capteurs qui peuvent mesurer le carbone du sol à distance. Ce sont là des possibilités d’exportations absolument palpitantes pour des entreprises canadiennes de premier plan, lesquelles démontrent déjà qu’elles peuvent nous aider à lutter contre les changements climatiques.

Si ces entreprises sont soutenues et incluses dans la lutte contre la crise climatique au Canada, elles pourront ensuite exporter leurs solutions efficaces et rentables dans le monde entier, grâce à leur leadership et à leur expérience. Si nous refusons de saisir cette immense occasion de stockage du carbone et que nous nous contentons de traiter la tarification du carbone comme si c’était notre seul outil, nous allons rater cette occasion mondiale.

Pendant ce temps, un nombre incalculable de pays élaborent et créent des incitatifs et des cadres économiques pour inciter et habiliter les agriculteurs à adopter l’agriculture régénératrice afin de bénéficier d’une plus grande certitude et de pouvoir mieux gérer les risques associés à ces changements et, au bout du compte, recevoir une rétribution financière pour avoir lutté contre les changements climatiques.

Dans d’autres pays, on récompense les agriculteurs pour l’augmentation nette du contenu en carbone de leurs sols : ils trouvent des chèques dans leur boîte aux lettres, au bout de l’allée. Ce n’est toutefois pas le cas des agriculteurs canadiens. Les carburants les plus propres ne sont pas exemptés de la taxe sur le carbone, ce qui n’aide pas les agriculteurs à améliorer leur bilan carbone, puisque cette absence d’exemption est l’un des principaux freins à leur capacité d’investir dans des solutions différentes.

Ralentir l’adoption du projet de loi C-234 forcera le maintien d’une taxe qui ne touche qu’une partie marginale des émissions de carbone totales du secteur agricole. Comme le gouvernement l’a lui-même reconnu, la taxe sur le carbone ne touche que 3 % de tout le carburant utilisé dans les fermes du Canada.

D’après toutes les données probantes que j’ai vues dans le cadre de mes recherches, dans le travail effectué par le comité de l’agriculture pour son étude sur la santé des sols, et dans ce que les sénateurs Black et Cotter nous ont transmis après avoir assisté au Congrès mondial des sciences du sol de 2022, si nous séquestrions des gaz à effet de serre dans les sols agricoles du pays, il serait possible de séquestrer à tout le moins les émissions annuelles de l’ensemble du secteur agricole et peut-être même l’équivalent des émissions totales du Canada.

Le Sénat a réussi à adopter des projets de loi d’initiative parlementaire dans leur forme initiale, particulièrement quand les gouvernements précédents n’agissaient pas. Je mentionnerai, à titre d’exemple, le projet de loi C-208 adopté pendant la dernière législature.

Comme le projet de loi que nous étudions actuellement, le projet de loi C-234, et l’amendement dont nous parlons en ce moment, ce projet de loi était susceptible d’être amendé au Sénat. il visait à modifier la politique fiscale en vertu de laquelle les transferts intergénérationnels d’exploitations agricoles, d’entreprises de pêche et de petites entreprises étaient imposés à des taux doubles ou triples comparativement à ceux d’autres entreprises.

Cette situation a perduré pendant des années, plaçant les parents dans la position intenable de devoir vendre la ferme ou l’exploitation de pêche familiale à un tiers parce qu’ils ne pouvaient pas supporter la charge fiscale supplémentaire résultant de la vente à un fils ou à une fille désireux de perpétuer l’héritage de la famille. Pourquoi cette situation existait-elle? Tout simplement parce que le ministère des Finances estimait que le fait d’autoriser ces transferts pouvait encourager l’évitement fiscal, alors qu’une solution à ce risque existait depuis des années et était connue du ministère, mais n’avait pas été mise en œuvre.

Je suis incroyablement fier du fait que le Sénat se soit opposé à cet amendement en troisième lecture et qu’il ait soutenu le projet de loi non amendé. Après la sanction royale, en juin 2021, des craintes ont continué à être exprimées sur la possibilité de niveaux incontrôlés d’évitement fiscal. Ces craintes ne se sont pas concrétisées. Dans le budget de 2023, après des consultations très approfondies, des mesures ont été mises en place pour protéger fermement les transferts intergénérationnels d’exploitations agricoles, d’entreprises de pêche et de petites entreprises contre tout abus à l’avenir. Je félicite le gouvernement d’avoir trouvé une voie raisonnable et efficace, mais il n’y est parvenu que parce que nous avons tenu bon au Sénat. Chers collègues, nous avons fait notre travail. Nous avons mis le gouvernement au défi de faire mieux, notamment parce qu’il n’avait pas agi sur la question, et c’est précisément ce qui m’a été demandé lorsque j’ai été nommé au Sénat.

(2030)

Revenons au projet de loi C-234 et à l’amendement.

Soyons clairs : je suis généralement favorable à la taxe sur le carbone et au remboursement qui l’accompagne. Personnellement, j’ai toujours préféré les solutions basées sur le marché lorsqu’il existe un large éventail de solutions abordables. Je suis d’accord avec le sénateur Gold lorsqu’il nous rappelle que le Parti conservateur n’a pas de plan pour lutter contre la crise climatique. La suppression pure et simple de la taxe n’est pas une solution à la crise climatique. L’objectif de la taxe sur le carbone est de motiver le changement lorsque des solutions abordables existent. La question de savoir si elle peut être appliquée de manière égale dans tous les secteurs et dans tous les provinces et territoires se pose et, comme nous l’avons vu récemment, cette question se pose même au sein du Parti libéral.

Lorsque des décisions ont été prises au sein du gouvernement concernant l’application de la taxe sur le carbone à l’agriculture, il est évident qu’il n’y a pas eu d’accord sur l’application égale de la taxe sur le carbone aux quatre différents produits pétroliers utilisés dans les exploitations agricoles, des plus sales, c’est-à-dire le diésel et l’essence, aux plus propres, c’est-à-dire le propane et le gaz naturel. Je n’ai toujours pas trouvé de réponse à la question de savoir pourquoi les deux combustibles les plus propres n’ont pas été exemptés alors que les deux plus polluants l’ont été. La réponse selon laquelle 97 % des combustibles utilisés sont exemptés, de sorte que cela n’a pas vraiment d’importance, n’est ni appropriée ni efficace, car toutes les exploitations agricoles n’utilisent pas le même assortiment de combustibles. Dans les serres, le combustible dominant est très majoritairement le gaz naturel ou le propane. Dans d’autres exploitations, c’est le diésel qui domine.

Les exploitations maraîchères canadiennes sont fortement désavantagées par la taxe sur le carbone. Il ne fait aucun doute qu’elles veulent toutes être plus efficaces sur le plan énergétique, mais, plus que jamais, je veux qu’elles soient en mesure de livrer des produits cultivés au Canada qui peuvent concurrencer ceux de la Californie, de la Floride et du Mexique sur le plan des coûts ainsi que de l’intensité carbonique élevée attribuable au camionnage continental associé à ces légumes.

Chers collègues, l’imposition du statu quo ne fera que réduire légèrement les émissions de gaz à effet de serre provenant de nos activités agricoles. À l’inverse, les exploitations agricoles du Canada peuvent fondamentalement réduire leurs émissions nettes de gaz à effet de serre si nous commençons à suivre les pratiques globales d’agriculture régénératrice qui ont été appliquées avec succès dans d’autres pays comme la France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ainsi que si nous collaborons avec nos innovateurs pour exporter leurs services et solutions technologiques dans le monde entier.

Pour conclure, chers collègues, je voudrais souligner que l’incohérence de la politique climatique ne se limite pas à cette question; prenons l’approvisionnement, par exemple. Selon le Conseil des académies canadiennes, le recours à l’approvisionnement est la façon la plus efficace d’atteindre la carboneutralité. Les émissions de portée 3 sont nos émissions les plus importantes. Il s’agit d’émissions découlant de nos achats personnels et organisationnels, c’est-à-dire de notre approvisionnement en produits et services.

Cependant, je suis préoccupé par le fait que le ministère responsable de nos stratégies de lutte contre le changement climatique ne modifie pas son propre comportement et n’adopte pas de pratiques d’approvisionnement durable. Je dis cela parce qu’Environnement et Changement climatique Canada, ou ECCC, n’inclut pas systématiquement des critères de durabilité dans ses propres contrats d’approvisionnement. Comment pouvons-nous attendre des autres qu’ils relèvent le défi de la durabilité si le ministère responsable ne donne pas l’exemple?

Chers collègues, le comportement et les gestes déplorables qui ont suivi le 9 novembre ont jeté une ombre troublante sur le projet de loi C-234. Afin de prendre notre décision, nous devons faire abstraction de ces événements et nous concentrer sur le projet de loi lui-même. L’amendement de clarification proposé par la sénatrice Moncion met en péril le projet de loi, et les dissensions à la Chambre des communes rendent pratiquement impossible sa remontée dans l’ordre de priorité des projets de loi inscrits au Feuilleton.

Si j’ai décidé d’appuyer ce projet de loi sans amendement, c’est avant tout parce qu’il faut pousser le gouvernement à saisir l’occasion que représente la séquestration du carbone dans le sol. Je suis loin d’être le seul dans ce cas. Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts a passé une bonne partie de la législature actuelle à étudier la question de la santé des sols. Comme je l’ai indiqué, deux membres de ce comité ont assisté au Congrès mondial des sciences du sol pour s’informer des meilleures pratiques, des politiques et des réussites d’autres pays. En revanche, toutes nos tentatives de discussion avec les fonctionnaires d’Agriculture et Agroalimentaire Canada se sont heurtées à un mur. Ce ministère ne s’intéresse aucunement à ce dossier sans que nous sachions pourquoi.

Chers collègues, j’espère vraiment que nous n’amenderons pas ce projet de loi, ce qui ralentirait l’octroi de l’aide aux agriculteurs et, pire encore, ferait languir le projet de loi à la Chambre. J’espère que nous choisirons d’adopter le projet de loi C-234 sans amendement. En acceptant la volonté de la Chambre élue et avec des votes en faveur du projet de loi de la part des cinq partis, je crois que nous encouragerons le gouvernement à réexaminer ses plans pour qu’il ne compte pas uniquement sur la taxe sur le carbone afin de réduire progressivement les émissions de gaz à effet de serre, mais plutôt qu’il élabore des politiques, des incitatifs et des cadres qui modifient fondamentalement la quantité totale des émissions du secteur agricole et qui lui permettent de devenir un puits de carbone net.

Encore une fois, chers collègues, nous sommes loin du jour où les activités agricoles ne produiront plus de gaz à effet de serre. Cependant, l’agriculture peut déjà jouer un rôle important dans la lutte contre les changements climatiques. Il suffit de commencer à donner la priorité au piégeage du carbone dans les sols.

Merci, chers collègues.

L’honorable Lucie Moncion : Sénateur Deacon, je vous remercie de votre discours, car c’est l’un des premiers discours qui nous fournit des renseignements fondés sur les faits. Je trouve qu’on nous a présenté peu de faits dans l’ensemble du processus.

Je vous donne un exemple. On nous a dit que le carburant coûte 6 000 $ par mois à l’agriculteur, mais que dès que le séchage du grain est terminé, ce coût tombe à 135 $ par mois. Ce qu’on ne nous dit pas, c’est la portion de ce montant que la taxe sur le carbone représente, car le montant n’englobe pas seulement la taxe sur le carbone. C’est la première partie de l’équation.

La deuxième partie de l’équation — et j’arrive à mes questions, chers collègues —, c’est le montant qui est remboursé aux agriculteurs.

La troisième partie de l’équation, c’est la partie du montant qui est admissible au crédit d’impôt.

C’est le premier volet de ma question. Il est extrêmement important de connaître les trois parties de l’équation pour nous faire une opinion par rapport au projet de loi. Nous n’avons pas entendu ces renseignements au Sénat. On nous a fourni de gros montants, mais on ne nous a pas parlé du reste.

L’autre question — sénateur, j’ai la parole. Je ne vous interromps pas lorsque vous avez la parole et j’aimerais, s’il vous plaît, que vous fassiez preuve de la même courtoisie envers moi.

Voici ma question : le gouvernement fournit des subventions et offre 55 programmes par l’intermédiaire de...

L’honorable René Cormier (Son Honneur le Président suppléant) : Sénatrice Moncion, le temps de parole du sénateur Deacon est épuisé. Sénateur Deacon, demandez-vous plus de temps?

Le sénateur C. Deacon : Oui, s’il vous plaît, Votre Honneur.

Son Honneur le Président suppléant : Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur C. Deacon : Si c’est la volonté du Sénat.

Le sénateur Plett : La volonté du Sénat est de permettre à la sénatrice de poser une question et au sénateur de lui répondre.

Son Honneur le Président suppléant : Est-ce d’accord?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président suppléant : Merci.

La sénatrice Moncion : Il y a le Défi de réduction du méthane agricole, qui dispose de fonds. Connaissez-vous les programmes de ce genre et leurs objectifs? L’argent investi dans ces programmes est-il suffisant pour aider les agriculteurs à au moins commencer à faire les changements nécessaires?

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de vos commentaires et de votre question, sénatrice Moncion. Je vous en suis reconnaissant.

Je vais parler d’un autre programme. Le gouvernement a un programme de prévention des cyberrisques destiné aux petites entreprises. Pourtant, les entreprises ne l’utilisent pas. Ce programme est trop compliqué et trop difficile à comprendre. Même si les risques sont de plus en plus élevés pour les petites entreprises, et les risques sont graves, celles-ci ne font pas appel au programme comme prévu.

Le problème avec les programmes... Je connais les programmes offerts, car j’ai reçu des explications abondantes auprès du personnel du ministre, des fonctionnaires et du sénateur Cotter au cours d’un appel. Or, à aucun moment il n’a été question de la stratégie derrière tous ces programmes ni de la manière dont ils favorisent l’activité commerciale. Il est vrai que les cadres de référence du marché tiennent compte des mesures incitatives et des différents programmes pour aider à absorber les coûts. Toutefois, le cadre lui-même doit être établi, de manière à ce qu’il ne revienne pas à l’État de subventionner ce qui relève fondamentalement du marché. C’est le marché lui-même qui doit être en mesure de créer de la valeur afin de générer une demande et d’y répondre. Il s’agit de créer des règles, des normes et un marché, tout comme il y a une bourse du carbone où les agriculteurs peuvent vendre en toute confiance un crédit de carbone à une autre partie, ce qui apporte une valeur à cette partie sous la forme d’un crédit compensatoire, pendant que l’agriculteur en touche des recettes.

(2040)

Il s’agit d’une structure et d’une priorité gouvernementales qui n’ont pas été privilégiées au Canada, alors qu’elles l’ont été dans d’autres pays, et personne ne m’en a donné la raison. J’ai eu d’excellentes conversations avec le ministre Wilkinson lorsqu’il était ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Il était très intrigué. Agriculture et Agroalimentaire Canada a dit non.

Nous — le sénateur Cotter, d’autres sénateurs et moi — avons réessayé. Nous nous heurtons à un mur. Les fonctionnaires sont venus nous voir lorsque je siégeais au Comité de l’agriculture et des forêts. Ils nous ont bombardés de questions sur ce sujet, mais cela n’a rien donné.

Je ne comprends pas ce qui achoppe, mais il n’en reste pas moins qu’une liste de programmes, ce n’est pas un cadre de référence pour un marché. Ce cadre doit avant tout être mis au point, puis il faut laisser le marché remplir son rôle en lui en donnant au départ les moyens avec quelques subventions. Un marché ne doit pas reposer sur les subventions, mais sur la valeur qu’il apporte. J’espère que cela vous aide. Merci.

Son Honneur le Président suppléant : Avons-nous convenu de cinq minutes de plus?

Le sénateur Plett : Non.

Son Honneur le Président suppléant : D’accord. Merci.

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’amendement proposé par la sénatrice Moncion. Ce n’est pas un lutrin qui se trouve devant moi. Il s’agit des recherches que j’ai menées sur ce projet de loi et que j’ai terminées pendant la semaine de relâche afin que je puisse étayer tout ce que je vais dire dans mon discours, et je vous invite... Sénateur Plett, je vais vous dire ceci : la pluie de votre sarcasme n’atteint même pas le parapluie de mon indifférence.

[Français]

Monsieur le Président, chaque fois que je serai interrompue pendant mon allocution de 15 minutes, je vous demande, étant donné que —

[Traduction]

Je n’ai pas un temps de parole illimité, alors chaque fois que je suis interrompue, je veux que ce temps soit rajouté à mes 15 minutes. Merci.

Avant de passer aux arguments, je dois dire quelques mots pour mettre en contexte notre travail de second examen objectif — c’est la raison d’être du Sénat. Dans sa décision, la Cour suprême du Canada a indiqué que le Sénat doit examiner les projets de loi et les politiques de façon impartiale afin d’être une véritable institution parlementaire de second examen objectif.

Les sénateurs n’ont jamais fait l’objet d’un lobbying aussi orchestré qu’à l’heure actuelle. Il ne faut pas oublier que les lobbyistes sont des professionnels bien rémunérés qui cherchent à nous engager à répondre à leur demande. Il est donc très important de comprendre les nombreuses conséquences de toute question donnée.

Je me suis intéressée de plus en plus à ce projet de loi lorsque de nombreux sénateurs m’ont informée que certains des lobbyistes de Farmer Fairness faisaient aussi du lobbying contre un autre groupe qui souhaite l’adoption d’un projet de loi d’initiative parlementaire — le projet de loi C-282 — de la Chambre des communes. Les mêmes personnes qui prônaient l’équité pour les agriculteurs s’opposaient à l’équité pour un important groupe d’agriculteurs assujettis à la gestion de l’offre : les producteurs d’œufs, de lait et de volaille.

Je crois que les agriculteurs de ma région n’apprécient pas ce double discours. Je ne l’apprécie certainement pas.

Lorsque les lobbyistes m’ont alertée, j’ai commencé à faire mes propres recherches. J’ai commencé à lire le compte rendu de la réunion du comité de l’agriculture et des forêts et à recouper ce qui avait été dit avec d’autres recherches. Ce fut un processus d’apprentissage gratifiant. C’était également important pour moi, car lors d’une récente conversation avec le sénateur Klyne, il m’a judicieusement rappelé combien il était important de faire la distinction entre les mythes et les faits.

C’est ainsi que j’ai entrepris ma mission d’information, essentielle pour se former une opinion éclairée sur ces questions, non pas en fonction des lobbyistes ou des beaux discours, mais en fonction des faits qui me permettraient d’être une sénatrice à la hauteur des Canadiens d’aujourd’hui et de demain.

Alors que ce projet de loi aurait dû être un débat sur une politique publique équitable, il a été transformé en un document carrément partisan contre la tarification du carbone. Comme on dit, le chat est sorti du sac. Ce projet de loi n’a rien à voir avec l’équité pour les agriculteurs, c’est un cheval de Troie des climatosceptiques qui souhaitent éliminer la tarification du carbone.

Les chiffres fournis par le directeur parlementaire du budget et que je vais vous communiquer confirmeront cette réalité. Sénateur Plett? Je vous remercie.

Au cœur de ce débat, il y a les émissions de carbone à l’origine des changements climatiques et une politique de réduction des émissions qui permettra aux humains de continuer à vivre sur notre planète. Cela fait cinquante ans que les scientifiques nous avertissent qu’il faut réduire nos émissions de carbone, mais de nombreux dirigeants n’ont rien fait.

Dans mon humble région rurale du Nouveau-Brunswick, nous avons un dicton selon lequel ceux qui critiquent un problème sans proposer de solution font partie du problème.

Quarante-six pays ont mis en place un système de tarification du carbone et 80 autres prévoient de le faire pour lutter contre les changements climatiques. Sommes-nous en train de dire que tous ces pays ont tort? Le rapport du directeur parlementaire du budget daté du 15 juin 2023 — et je crois que le Comité de l’agriculture et des forêts n’a même pas pris la peine d’y jeter un coup d’œil — indique que l’exemption de la taxe sur le carbone pour l’essence et le diésel destinés à des fins agricoles — c’est-à-dire 97 % de la consommation de carburant des agriculteurs —, estime le manque à gagner à 595 millions de dollars en 2023, à 734 millions de dollars en 2024, à 871 millions de dollars en 2025, à 1,009 milliard de dollars en 2026, à 1,147 milliard de dollars en 2027, à 1,282 milliards de dollars en 2028, à 1,422 milliards de dollars en 2029, et à 1,562 milliards de dollars en 2030.

Honorables sénateurs, l’exemption de la taxe sur l’essence et le diésel pour les agriculteurs représente, de 2023 à 2030, un montant total de 8,622 milliards de dollars. Or, il semble que ce ne soit pas assez. Les agriculteurs veulent bénéficier d’une exemption sur 100 % des carburants qu’ils consomment.

Le rapport du directeur parlementaire du budget fournit également des données concernant les émissions totales de gaz à effet de serre dans le secteur de l’agriculture par type activité pour 2021. L’élevage et les cultures représentent 80 % des émissions des agriculteurs. Ces émissions ne font l’objet d’aucune tarification. Ce rapport montre également que le revenu agricole net est passé de 3,563 milliards de dollars en 2010 à 13,816 milliards de dollars en 2021, ce qui représente une augmentation de 387 %.

(2050)

Honorables collègues, en ce qui concerne l’équité en matière de tarification du carbone, les agriculteurs et les pêcheurs font partie du seul secteur de notre économie qui bénéficie d’une exemption de la tarification du carbone aussi généreuse. La question essentielle à laquelle on n’a toujours pas répondu pendant ce débat est la suivante : combien les changements climatiques coûtent-ils à notre économie? Quel est le coût de l’inaction ou de l’effort minimal?

Honorables collègues, comme je ne suis ni scientifique ni économiste, je compte sur les recherches de ces spécialistes pour me guider. Voici des résultats de recherche de l’Institut climatique du Canada que j’ai trouvés. Dans un rapport de 2022 intitulé Les coûts des changements climatiques pour le PIB du Canada, l’Institut indique que les coûts des changements climatiques pour le PIB du Canada ne se limitent pas à une année donnée. Ils freineront notre croissance chaque année à moins que nous prenions des décisions stratégiques.

Les pertes de PIB de 25 milliards de dollars que nous avons subies dans les neuf dernières années sont attribuables aux changements climatiques, et elles représentent des pertes de revenus de 630 $ par habitant au Canada. Les coûts des changements climatiques s’accumulent au fil du temps, et d’ici 2030, notre PIB sera inférieur de 35 milliards de dollars à la valeur qu’il pourrait atteindre dans d’autres circonstances. Le rapport ajoute ceci :

[...] les ménages essuieront des pertes de revenu, mais ce sont ceux à faible revenu qui en souffriront le plus. En effet, ces derniers pourraient connaître [...] des pertes de revenus de 12 % dans un scénario d’émissions modérées et de 23 % dans un scénario d’émissions élevées.

Selon les conclusions du rapport, pour maximiser la croissance économique pour tous les Canadiens, il faudra prendre les politiques climatiques beaucoup plus au sérieux, sur le plan de l’adaptation comme de la réduction. Est-ce bien ce que nous faisons actuellement?

Honorables sénateurs, il ne s’agit pas de mythes, mais de faits scientifiques dont nous devons tenir compte.

Il y a quelques semaines, dans les nouvelles nationales, nous avons vu un petit Canadien souriant de 10 ans, mort d’asthme après avoir respiré continuellement la fumée de feux de forêt qui était dans l’air cette année. Il y a quelques années, chers collègues, lorsque le Canada a connu des chaleurs extrêmes, cet événement climatique a contribué à la mort de plus de 600 Canadiens. À l’échelle de la planète, les scientifiques estiment que les décès associés aux températures extrêmes s’élèvent à 5 millions par an.

Les faits scientifiques et le réveil brutal m’incitent à poser la question suivante : quel est l’impact sur les vies humaines? Quel est l’impact sur le système de santé? En juin 2021, l’Institut climatique du Canada a publié un rapport sur ces répercussions :

À la suite d’une évaluation d’un éventail de répercussions possibles dans le cadre de scénarios de faibles et de fortes émissions, le rapport conclut que l’impact du changement climatique pourrait coûter des milliards de dollars au système de santé canadien [...] En ajoutant la valeur de la perte de qualité de vie et les décès prématurés associés aux changements climatiques, le coût économique total pour le Canada atteindrait les centaines de milliards de dollars.

Je le répète : ce n’est qu’au Canada seulement. Qui paiera pour cela? Nous ne pouvons pas ignorer ces faits.

Honorables sénateurs, il s’agit de faits scientifiques, pas de mythes. Je suis certaine que les six médecins qui siègent au Sénat peuvent en parler et expliquer comment, dans leur pratique, ils ont été témoins des réalités du changement climatique.

Honorables sénateurs, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur ces faits. En tant que société, nous avons pris un engagement envers le monde avec l’Accord de Paris. En tant que Canadiens, nous avons pris envers les citoyens, nos enfants et nos petits-enfants l’engagement d’agir et de ne remettre à plus tard ni les mesures nécessaires pour réduire les émissions, ni le coût potentiel de ces mesures, en raison des changements climatiques.

Aucune personne ou industrie ne choisira volontairement d’être assujettie à la tarification du carbone — pas même les gens qui se trouvent ici — si elle n’est pas obligatoire. C’est la seule façon de procéder.

En tant que sénateurs indépendants, nous n’hésitons pas à amender les projets de loi du gouvernement et les projets de loi d’intérêt privé. Nous demeurons fermement résolus à fournir un second examen objectif et nous avons renvoyé des amendements à des projets de loi à l’autre endroit. En fait, le Sénat a renvoyé à l’autre endroit plus de projets de loi amendés que jamais auparavant dans son histoire, et c’est grâce aux sénateurs indépendants qui sont ici.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Ringuette : Tel est notre mandat. Il nous incombe de fournir les meilleurs conseils objectifs à l’autre endroit.

J’ai entendu certains dire que l’amendement de ce projet de loi le torpillerait. Chers collègues, j’étais députée avant d’être sénatrice. Le Règlement prévoit que ce projet de loi ne serait pas torpillé, parce qu’il n’y aura pas d’élections avant deux ans, c’est certain. S’il devait y avoir prorogation, nous pouvons aussi nous en remettre au Règlement.

Vous devez savoir que je connais mon métier et que je connais le Règlement.

Son Honneur le Président suppléant : Honorable sénatrice Ringuette, votre temps de parole est écoulé.

La sénatrice Ringuette : Pourrais-je avoir encore 30 secondes?

Son Honneur le Président suppléant : Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Ringuette : Oui, cinq minutes.

Son Honneur le Président suppléant : Sommes-nous d’accord?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Ringuette : Merci.

J’appuie l’amendement proposé par la sénatrice Moncion...

Le sénateur Wells : Je suis désolé, Votre Honneur, mais je sais qu’il faut un consentement unanime et je ne donne pas mon consentement.

Une voix : Elle a été interrompue, Votre Honneur.

Le sénateur Dalphond : J’invoque le Règlement. La sénatrice Ringuette a été interrompue au moins deux ou trois fois pendant son discours. Elle dit qu’elle a besoin de 30 secondes pour terminer son discours. Or, comme elle a été interrompue pendant plus de 30 secondes, Votre Honneur, je pense qu’elle devrait disposer de ces 30 secondes.

La sénatrice Cordy : Je suis d’accord.

Son Honneur le Président suppléant : Sénateurs, acceptez-vous d’accorder à la sénatrice les 30 secondes qu’elle demande?

Des voix : D’accord.

Une voix : Non.

Son Honneur le Président suppléant : Non? J’ai entendu un « non ». D’accord.

L’honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, je serai très bref. Je tiens simplement à préciser que j’appuie ce projet de loi sans amendement. Les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard travaillent très fort pour s’adapter aux changements climatiques. Toutes les fermes que je connais ont installé des thermopompes et des panneaux solaires.

Le problème pour les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard est que nous n’avons pas de gaz naturel. Tout le pétrole ou le propane est expédié dans notre province. Il y a un coût de transport supplémentaire, et il est très élevé.

Le coût de l’adaptation au changement climatique est permanent et très élevé pour les agriculteurs. Les agriculteurs de la province font tout ce qu’ils peuvent pour atteindre les cibles climatiques fixées et réduire les émissions de carbone. Malheureusement, il leur faudra plus de temps et d’argent qu’ils n’en ont actuellement. Le projet de loi ouvre la voie à une réduction des changements climatiques. C’est la raison de son importance.

Les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard savent qu’ils doivent lutter contre les changements climatiques, et ils prennent déjà part à cette lutte, mais elle leur coûte très cher.

Une situation semblable est ce que le gouvernement du Canada vient de faire avec la subvention pour le mazout et l’exemption pour les gens de l’Île-du-Prince-Édouard — pas seulement de l’Île‑du-Prince-Édouard, mais d’autres régions du Canada. Le gouvernement a reconnu qu’il allait trop vite avec ses augmentations et que cela empêchait les gens, bien honnêtement, de chauffer leur maison. Un député du Canada atlantique — pas de l’Île-du-Prince-Édouard — m’a dit pas plus tard que la semaine dernière que des gens de sa région se retrouvaient face à un dilemme impossible : chauffer leur maison ou acheter de la nourriture. Une femme a dit à ce député que sa facture de chauffage coûte si cher qu’elle mange du poulet ou un steak seulement lorsqu’une nièce ou un neveu l’invite à dîner le dimanche.

(2100)

Les mesures prises récemment par le gouvernement, notamment à l’égard du mazout, ont été accueillies favorablement à l’Île-du-Prince-Édouard. Cela a énormément réduit les coûts, ce qui aide tout le monde. Ce projet de loi aidera plus précisément les agriculteurs.

J’aimerais également revenir sur ce qu’a dit le sénateur Colin Deacon au sujet des projets de loi qui sont renvoyés au Sénat, comme le projet de loi C-208, qui visait à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu pour le transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale. J’ai appuyé ce projet de loi. J’ai été inspiré par l’appui de tous les partis. Des députés libéraux l’ont appuyé, dont celui qui présidait à l’époque le Comité des finances de la Chambre des communes, l’honorable Wayne Easter, qui est de l’Île-du-Prince-Édouard.

Lorsque ce projet de loi a été renvoyé au Sénat, il a attiré mon attention. Comme beaucoup d’entre vous le savent, contrairement à certains sénateurs indépendants, je suis un sénateur indépendant libéral. Je partage les valeurs et les intérêts du Parti libéral et, par conséquent, j’appuie de 95 % à 97 % des projets de loi du gouvernement libéral au Sénat.

Dans ce cas, j’ai été étonné par le fait que ces députés libéraux ont voté contre ce que l’exécutif voulait faire. Il y a là une distinction à faire. C’est la même chose avec ce projet de loi. L’exécutif veut que ce projet de loi soit adopté. La Chambre des communes a dit « non », puis elle a voté pour le projet de loi, y compris des députés libéraux. Deux députés libéraux de ma province, Robert Morrissey, d’Egmont, et Heath MacDonald, de Malpeque, ont voté pour le projet de loi C-234, ce qui m’envoie un message, comme dans le cas du projet de loi C-208, pour lequel de nombreux députés libéraux avaient voté. Le Parti libéral et le gouvernement libéral ne sont pas comme une secte, comme en Corée du Nord, où tout le monde parle du « cher leader ». Le gouvernement commet parfois des erreurs. C’est ce qu’il a fait dans le cas du projet de loi C-208. Le Sénat a fait ce qu’il fallait en le renvoyant à la Chambre, et, comme l’a indiqué le sénateur Deacon, il a fini par être corrigé après un long moment.

Il en va de même pour ce projet de loi. Lorsque les députés libéraux — des députés élus à la Chambre des communes — adoptent un projet de loi, cela a de grandes répercussions sur moi. Je le remarque; j’y prête attention. Je ne pense pas qu’il m’appartienne de leur dire qu’ils ont tort, surtout lorsqu’ils sont élus par les agriculteurs de leur circonscription et qu’il s’agit d’un projet de loi important pour eux. Étant donné que le projet de loi est important pour les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard, il est important pour moi de soutenir les habitants de ma province et ceux qui travaillent dans l’industrie agricole.

Merci, chers collègues.

L’honorable Jim Quinn : Honorables sénateurs, je serai bref. Même si j’ai essayé à trois reprises de poser une question, je vais la poser sous forme de débat. Depuis des mois, nous entendons parler à la Chambre de la question de la sécurité alimentaire, du péril qui guette les agriculteurs et les exploitations agricoles au pays, de la perte quotidienne d’exploitations agricoles et de la difficulté pour les agriculteurs de léguer leur ferme à la prochaine génération à cause des règles qui sont en place. Nous avons entendu tous ces arguments.

Je pense que nous entendons d’autres arguments ce soir. En fait, d’excellents discours ont été prononcés, y compris le vôtre, et celui de la sénatrice Ringuette — pour qui j’ai le plus grand respect, comme vous le savez. Dans ces discours, vous avez clairement démontré que cet enjeu est véritablement lié aux changements climatiques.

Les élus ont présenté un projet de loi. Dieu sait que nous avons eu bon nombre de débats et de discussions sur la pertinence de notre rôle par rapport aux projets de loi que nous présente la Chambre élue et sur ce que nous faisons et la façon dont nous le faisons. Nous avons entendu parler de la nécessité de faire preuve de retenue à cet égard.

Un comité formé de nos honorables collègues s’est penché sur la question et nous a présenté le projet de loi sans proposition d’amendement.

Au lieu d’étudier un amendement et d’en quelque sorte prendre du recul par rapport à celui-ci afin de décider si le projet de loi doit être amendé ou non, je propose que nous agissions comme une Chambre de second examen objectif devant les Canadiens et les parties prenantes, soit le milieu agricole, et que nous traitions du projet de loi lui-même.

Je n’appuierai pas l’amendement, simplement pour être en mesure d’exprimer mon opinion sur le projet de loi et de traiter de la question elle-même, à savoir les changements climatiques, et non d’amendements qui font ceci ou cela, qui présentent un risque ou qui n’en présentent pas. Je respecte votre opinion et votre expérience.

Voilà la question dont nous sommes saisis : allons-nous étudier le projet de loi dans sa forme actuelle, ou allons-nous nous cacher derrière un amendement en évitant d’agir comme un Sénat se doit de le faire pour le bien de ceux que nous représentons dans nos régions? Merci.

La sénatrice Moncion : Sénateur Quinn, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Quinn : Ce soir, j’écoute mes collègues, mais je peux répondre à une question.

La sénatrice Moncion : C’était une fois de plus une excellente intervention.

Êtes-vous satisfait de la quantité de données que vous avez reçues au sujet de ce projet de loi, qu’elles y soient favorables ou non? Je parle des données que nous avons reçues au sujet des changements climatiques. Nous avons reçu des données sur les agriculteurs, qui sont extrêmement importants pour l’économie canadienne. Ils représentent 10 % de notre PIB.

Êtes-vous satisfait des données financières que vous avez obtenues? Si vous l’êtes, ce n’est pas mon cas. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

Je vais passer à ma deuxième question, car vous dites que vous voudriez traiter du projet de loi. Mon problème, c’est que je ne pense pas qu’on nous a fourni des données impartiales. Nous venons ici, nous étudions un projet de loi et nous tentons de prendre une décision — une importante décision. Il ne faut pas se contenter d’examiner un seul côté de la médaille. Ces dernières semaines, nous avons été inondés de courriels allant tous dans le même sens. Normalement — si vous avez déjà étudié un projet de loi sur les armes à feu —, on vous présente les pour et les contre. Mais c’est tout ce que nous avons reçu, et nous en avons reçu des milliers. Je veux comprendre. Êtes-vous satisfait?

Notre travail consiste à procéder à un second examen objectif, et je ne crois pas avoir reçu toutes les données qui me permettraient d’examiner ce projet de loi pour ensuite décider clairement si, au bout du compte, je vais voter pour ou contre.

Le sénateur Quinn : Merci, sénatrice. Je commencerais en vous disant que, en tant qu’ancien dirigeant principal des finances au sein du gouvernement du Canada, je m’abstiendrai de commenter. Je n’ai pas suffisamment d’information sur les aspects financiers de la question.

Cependant, j’ai suffisamment d’information sur les aspects relatifs aux changements climatiques. Nous avons un groupe de sénateurs préoccupés par les changements climatiques qui se réunissent chaque mois et qui entendent d’excellents orateurs et discours. D’ailleurs, nous en avons entendu un cette semaine. La sénatrice Coyle accomplit un excellent travail pour diriger ces activités.

Oui, j’ai certainement assez d’information pour prendre une décision éclairée au sujet du projet de loi. Je suis convaincu que notre comité a fait son travail. Je fais pleinement confiance aux personnes élues, que nous avons entendues à maintes reprises. Cela dit, nous devons vraiment faire preuve de retenue dans notre manière de gérer ce qui nous provient des élus. Avec tout le respect que je vous dois, je constate que nous élaborons des exceptions à mesure que nous progressons dans l’examen de votre amendement.

C’est notre devoir en tant que sénateurs de saisir l’occasion d’exprimer notre point de vue devant les Canadiens — y compris devant le milieu agricole — à l’égard du projet de loi. À mon avis, ce projet de loi est directement lié au programme du gouvernement en matière de lutte contre les changements climatiques, un programme essentiel.

La sénatrice Moncion : Merci.

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, je vous remercie de vos interventions. J’apprécie tous les angles abordés ainsi que les discussions sur le sujet.

On m’a accusé, pendant l’une des interventions, de nier l’existence des changements climatiques. Je peux vous garantir que c’est faux. Je constate les effets des changements climatiques chaque jour dans ma province. J’habite à proximité de la côte. Je les vois. J’ai passé 35 ans dans l’industrie de la pêche, et je peux voir les changements considérables qui se produisent dans cette industrie justement à cause des changements climatiques. Je ne les nie pas. Je crois que les changements climatiques sont réels et que nous devons faire quelque chose. Je crois toutefois que ce qui doit être fait exige un effort mondial.

(2110)

Chers collègues, je vais parler de l’amendement. J’espère ne pas prendre plus de 15 minutes.

L’élément clé de l’amendement, c’est le décret ou le gouverneur en conseil. Le gouverneur en conseil peut, par décret — ce qu’il est proposé de supprimer —, établir le texte d’une résolution prévoyant un report et précisant la durée de ce report.

Pour les sénateurs qui ne savent pas ce qu’est un décret, il s’agit d’une directive du Cabinet. C’est ce qu’on appelle un décret.

Un décret fédéral est un texte réglementaire par lequel le gouverneur général, c’est-à-dire le pouvoir exécutif du gouverneur en conseil agissant sur l’avis et le consentement du Conseil privé du Roi, exprime une décision. Voilà ce qu’est un décret. Il s’agit essentiellement d’une décision du Cabinet.

Le libellé précis qu’il est proposé de supprimer dans l’amendement de la sénatrice Moncion a été repris textuellement d’un autre projet de loi intitulé Loi sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grain, qui, je crois, a été adopté en 2014. Cette loi portait sur ce qu’on appelle l’interconnexion. Il s’agissait d’une disposition d’interconnexion qui permettait au Cabinet de permettre très rapidement — et au besoin —, s’il y avait un problème avec l’acheminement du grain d’une ligne ferroviaire vers le marché — ce qui s’est produit en 2015 — et ce décret, ce libellé, permettait donc au Cabinet de dire : « Vous pouvez transférer ce grain vers une autre ligne. »

Cette disposition était destinée à éviter que le grain ne pourrisse dans les wagons ou les silos en attendant l’arrivée d’autres wagons. Or, c’est justement dans ce contexte que cette disposition a été employée.

En 2015, le gouvernement du premier ministre Trudeau a invoqué cette disposition d’interconnexion de la Loi sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grains afin de permettre le transport du grain vers une autre ligne de chemin de fer et son acheminement rapide vers les marchés. Il fallait agir rapidement.

S’il fallait, comme le propose l’amendement, passer par une motion présentée à la Chambre des communes et par une motion présentée au Sénat pour qu’elle y fasse l’objet d’un débat, et s’il fallait que chacune des deux chambres donne son avis, le processus prendrait beaucoup trop de temps, ce qui aurait certainement été le cas en ce qui concerne la disposition d’interconnexion, qui se retrouve textuellement dans l’article du projet de loi qui porte sur son entrée en vigueur. Or, c’est cette disposition que la sénatrice Moncion propose de modifier.

Je tenais à aborder cet aspect, car il n’en a pas été question dans le débat concernant cet amendement.

Honorables collègues, le Comité de l’agriculture de la Chambre des communes a proposé un amendement pour changer la durée de ces mesures. Si on adoptait ce projet de loi sans amendement, la disposition de temporisation entrerait en vigueur au bout de huit ans. Dans la version initiale, elle devait s’appliquer au bout de 10 ans. Le député néo-démocrate Alistair MacGregor a proposé un amendement pour faire passer cela de 10 à 8 ans. On en a débattu un peu, puis on a adopté l’amendement sans le mettre aux voix. On l’a adopté sans réserve.

Tous les partis représentés au Comité de l’agriculture de la Chambre des communes se sont plus ou moins penchés sur la question, et on a convenu d’opter pour huit ans.

Or, cet amendement de la sénatrice Moncion propose d’enlever cette disposition et de ne pas fixer cela à huit ans.

On a débattu de la même question — pardon, je ne parle pas des huit ans, mais des décrets — au sein du comité, et on a rejeté la proposition à l’autre endroit, au Comité de l’agriculture de la Chambre des communes. Ensuite, évidemment, notre comité s’est penché là-dessus, et la proposition a été rejetée de nouveau.

Honorables collègues, nous disons souvent — et j’en ai parlé dans mon discours à l’étape du rapport — que nous sommes ici pour améliorer les projets de loi. Nous avons tous entendu dire cela. Nombre d’entre nous l’ont peut-être dit également. Je sais que je l’ai déjà dit. Or, cet amendement n’améliore pas le projet de loi. Il fait plutôt le contraire.

Chers collègues, je voudrais maintenant parler des amendements du Sénat à un projet de loi d’initiative parlementaire. Nous disons : « Oh, cela va torpiller le projet de loi s’il est renvoyé à l’autre endroit. Cela va le couler. » C’est très facile à dire, mais je vais expliquer pourquoi un amendement du Sénat à un tel projet de loi aurait cet effet.

Je lis un extrait de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, qui date de 2017 et dit ceci :

Lorsque l’affaire atteint le haut de l’ordre de priorité, elle est étudiée durant l’heure réservée aux Affaires émanant des députés et, si l’on n’a pas terminé son étude à la fin de cette heure, elle est reportée au bas de l’ordre de priorité […]

Le sénateur Cuzner le sait très bien, tout comme la Présidente intérimaire, la sénatrice Ringuette.

Comme il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire modifié par le Sénat, s’il est renvoyé à la Chambre, il serait précédé par 25 projets de loi d’initiative parlementaire, je me suis informé. Ces projets de loi font l’objet d’une heure de débat par jour. En fait, depuis l’énoncé économique de l’automne, ces discussions d’une heure n’ont pas eu lieu. C’est ce qu’on appelle la période réservée aux initiatives parlementaires. Il n’y en a pas depuis l’énoncé économique de l’automne. Et, en raison du débat sur l’énoncé économique de l’automne, les périodes réservées aux initiatives parlementaires continueront à être retardées. Donc, même si le projet de loi était adopté aujourd’hui avec un amendement, il ferait la queue et ne serait étudié pour la première fois que le 8 février 2024. Comme il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire modifié par le Sénat, les règles sont différentes d’un projet de loi d’initiative parlementaire modifié par l’autre endroit. Il y a une limite de temps — une durée maximale prévue — pour un projet de loi d’initiative parlementaire qui vient de la Chambre. Cette limite est de deux heures. Après deux heures, il est renvoyé.

S’il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire amendé par le Sénat, il n’y a aucune limite de temps. Il peut être étudié pendant cette heure, et si son étude n’est pas terminée, il retombe au bas de l’ordre de priorité. Lorsque celui remonte en haut de la liste, il peut de nouveau être étudié. Tout ce que ceux qui s’opposent à ce projet de loi ont à faire, c’est de proposer des députés pour qu’ils prennent la parole. Une fois cette heure écoulée, le projet de loi retombe au bas de la liste et est étudié de nouveau pendant une heure dans un délai de 25 jours, ou en fonction du nombre de projets de loi qui le précèdent. Quatre députés peuvent prendre la parole pendant 15 minutes chacun. Si l’étude du projet de loi n’est pas terminée, il retombe au bas de l’ordre de priorité. Voilà, chers collègues, comment on peut torpiller un projet de loi de manière inavouée.

Je sais qu’à l’autre endroit, il y a 15 projets de loi d’initiative parlementaire qui font l’objet d’amendements et qui sont étudiés pendant l’heure réservée aux initiatives parlementaires, et j’en ai la liste.

Six projets de loi d’intérêt public du Sénat amendés y sont étudiés, ainsi que deux motions, qui doivent aussi être abordées dans l’heure réservée aux initiatives parlementaires. Quand on dit que le projet de loi sera torpillé, c’est qu’il est facile de torpiller un projet de loi sans le faire directement. Il suffit de le laisser mourir en permettant à des personnes de prendre la parole. Le projet de loi retombe ensuite au bas de la liste. Je voulais l’expliquer. Je pense que c’est important, parce que je pense que c’est ce qui se passe dans le cas présent.

Je ne le savais pas avant, mais je le sais maintenant. Nous le savons tous maintenant.

La dernière chose dont je voulais parler, chers collègues, et j’en ai parlé l’autre jour quand j’ai pris la parole — je ne me souviens pas du jour de mon dernier discours — au sujet de ce projet de loi, parce que je pensais que ce serait facile. Je me disais que c’était un principe qu’il valait la peine de défendre. Cela concerne les agriculteurs, les éleveurs, les producteurs et ceux qui fournissent notre nourriture. On ne parle pas de fabricants de raquettes de tennis ou de pneus. On parle des gens qui produisent la nourriture que nous consommons. Ils vivent des moments assez difficiles. Chaque année, ils doivent faire face à tous les problèmes imaginables. Leurs coûts sont élevés déjà.

Puis, il y a les effets des changements climatiques, qu’il s’agisse d’inondations, de sécheresses, voire des deux au cours de la même année. Cela peut ruiner des récoltes et nuire aux animaux. Les températures peuvent être très élevées. Nous l’avons observé ces deux dernières années avec les dômes de chaleur dans l’Ouest. Cela tue les animaux. Nous avons vu les incendies de forêt, ainsi que les feux de broussaille et d’herbe, qui empêchent les terres d’être utilisées pour l’agriculture ou l’élevage.

Chers collègues, je pensais que c’était un projet de loi facile. Je pensais qu’il s’agissait d’une question qui faisait vraiment l’unanimité et que je pouvais confortablement soutenir, et ce, par principe, parce que je crois aux changements climatiques et en ceux qui produisent les aliments pour nous et pour le monde entier. Le Canada est un important fournisseur de grains et d’oléagineux pour le monde entier.

Quand je pense aux problèmes que peuvent rencontrer les agriculteurs, qu’ils soient liés aux conditions météorologiques ou aux prix, étant donné qu’ils ne choisissent pas toujours les prix, car ceux-ci sont choisis sur le marché de Chicago ou à une autre table de négociation. Ils ne sont pas maîtres des prix et ils ne sont pas toujours maîtres de leurs coûts non plus. Ces coûts leur sont imposés. Ils doivent faire l’acquisition de séchoirs à grains. La sénatrice Batters nous a indiqué que le prix d’achat d’un séchoir à grains est de 300 000 $. Or, les agriculteurs qui ne sont pas en mesure de payer ce montant au comptant — et je n’en connais pas beaucoup qui peuvent se le permettre — sont contraints de payer des frais de location. Tout l’équipement dont ils doivent faire l’acquisition fait généralement l’objet d’un programme de location, ce qui représente également des coûts. Or, ces coûts ont certainement augmenté en raison de la hausse des taux d’intérêt.

(2120)

Bien que nous ayons tous des obstacles à surmonter, je pense à tous ceux auxquels sont confrontés chaque année les agriculteurs, les éleveurs et les cultivateurs, qu’il s’agisse de parasites, de virus ou de maladies qui touchent leurs cultures. Ce sont autant d’obstacles qu’ils doivent surmonter chaque année. Il se peut qu’ils aient une bonne année et qu’ils ne se heurtent qu’à quelques-uns de ces obstacles. En règle générale, ceux-ci se manifestent régulièrement et entraînent invariablement des coûts élevés. Qu’il s’agisse de perte de récoltes, de bêtes ou de temps, c’est toujours une perte d’argent.

En fait, ce projet de loi permet aux agriculteurs de garder un peu plus d’argent dans leurs poches. Je crois que l’augmentation d’une taxe sur un carburant de transition, contrairement... J’ai posé au sénateur Dalphond une question au sujet du prix, mais je n’ai pas entendu de réponse compréhensible. Quel est le signal de prix? Quel signal envoie-t-on au marché si on accorde une exemption pour le diésel, mais pas pour le gaz naturel ni le propane? C’est toujours par ce point que je commence quand je tente de faire accepter l’idée du projet de loi, car cela n’a pas de sens.

J’ai des idées claires au sujet du projet de loi. Je ne prends pas le débat à la légère. J’apprécie, bien sûr, tous ceux qui sont en faveur du projet de loi non amendé, mais je suis heureux aussi de devoir réfléchir aux arguments de ceux qui s’opposent au projet de loi. Je comprends. Tout le monde ne pense pas comme moi, et c’est probablement une bonne chose.

Je veux conclure, si nous sommes en train de terminer la partie du débat sur l’amendement de la sénatrice Moncion, en disant ce que ce dernier fait vraiment : il enlève au Cabinet le pouvoir de prolonger ou de raccourcir le délai de caducité de la mesure législative ou de le maintenir tel quel, c’est-à-dire à huit ans. La nécessité accordée au Cabinet par les dispositions du projet de loi est là, comme elle l’était dans le cas de l’interconnexion, et cette disposition est nécessaire et toujours en place, prête à être utilisée par n’importe quel gouvernement jusqu’à ce qu’elle soit supprimée.

Chers collègues, je veux simplement dire qu’il s’agit d’un très bon projet de loi. Il aide les agriculteurs, les producteurs et les éleveurs et, ultimement, il aide les consommateurs et l’économie. Merci.

[Français]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Dalphond, voulez-vous poser une question?

Le sénateur Dalphond : Oui. Est-ce que l’honorable sénateur accepterait de répondre à une question?

[Traduction]

Le sénateur Wells : Oui, sénateur Dalphond.

Le sénateur Dalphond : Ma question est très brève. Savez-vous qu’à l’autre endroit, il est possible d’échanger de places? Si vous êtes le no 25 sur l’ordre de priorité et qu’un membre de votre propre caucus est le no 2, vous pouvez échanger vos places et vous rendre directement au haut de la liste.

Le sénateur Wells : Merci, sénateur Dalphond. Bien sûr, je suis au courant, mais cela ne change rien au processus. On peut monter dans l’ordre de priorité, mais aussi descendre rapidement après un débat d’une heure avec quatre intervenants. C’est aussi simple que cela.

Il n’y a aucune garantie qu’on pourra changer de place avec quelqu’un. Tous ceux qui ont un projet de loi d’initiative parlementaire prennent ces choses très au sérieux. Certains attendent peut-être depuis des années. Certains ont la chance de se retrouver au haut de la liste lors du tirage au sort. Je pense que c’est un lourd sacrifice, et il n’y a quand même aucune garantie.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Dasko, vous avez une question. Sénateur Wells, votre temps est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Wells : J’accepterais de répondre à la question de la sénatrice Dasko.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur Wells aimerait répondre à une autre question. Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

L’honorable Donna Dasko : Merci, sénateur, de vos observations.

Vous avez dit — et je vous crois — que vous ne niez pas le problème du carbone...

Le sénateur Wells : Je ne suis pas climatosceptique; je suis sceptique de la taxe sur le carbone.

La sénatrice Dasko : Oui, désolée. Climatoseptique. J’ai été inspirée par l’expression « le chat est sorti du sac » dans le discours de la sénatrice Ringuette. Je comprends que vous appuyez le projet de loi parce que vous êtes inquiet pour les agriculteurs. Je le crois sincèrement. Ce projet de loi a-t-il aussi pour objectif d’éliminer la taxe sur le carbone?

Le sénateur Wells : Merci beaucoup de votre question, sénatrice Dasko.

Dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai dit très clairement que ce projet de loi n’avait rien à voir avec le fait d’aimer ou de ne pas aimer la taxe sur le carbone. Je savais que s’il fallait que le débat au Sénat sur ce projet de loi tourne autour de cette idée, la salle serait divisée et il n’y aurait pas de possibilité de convergence des points de vue.

Le fait est qu’il y a une taxe sur le carbone et que c’est un outil du gouvernement. Je l’accepte. Le gouvernement a été élu pour diriger et il prend des mesures. Je ne les aime pas toutes. Il y en a que j’aime et d’autres pas, mais j’accepte que cette mesure-là existe.

Comme nous l’avons déjà dit, il s’agit d’une exemption juste et raisonnable. Elle est conforme aux dispositions concernant la taxe sur le carbone, qui prévoient la possibilité d’exemptions. Je crois qu’il s’agit d’une exemption raisonnable. D’ailleurs, tant qu’à parler de changements climatiques, il s’agit probablement d’une exemption plus raisonnable que celle qui existe déjà pour le diésel et l’essence. Je vous remercie de votre question.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous avez trois minutes, sénateur Wells. C’est vrai, nous nous étions entendus pour que ce soit une question. À moins, sénateur Wells, que vous souhaitiez répondre à une autre question.

Une voix : Non.

Le sénateur Wells : Merci. Je répondrai à la question de la sénatrice LaBoucane-Benson, si le Sénat le souhaite.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Êtes-vous d’accord? J’ai entendu un « non ».

Chers collègues, nous poursuivons le débat?

Des voix : Le vote.

Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénatrice Moncion, avec l’appui de l’honorable sénatrice Dupuis, propose en amendement que le projet de loi ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois...

Une voix : Suffit!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente intérimaire : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

[Français]

L’honorable Michèle Audette : Madame la Présidente, le vote sera reporté à la prochaine séance.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le vote est donc reporté. Conformément à l’article 9-10(6) du Règlement, il aura lieu après le vote que nous avons déjà reporté aujourd’hui sans que les cloches se fassent entendre de nouveau, donc immédiatement après l’autre vote.

[Traduction]

Le décès de l’honorable Ian Shugart, c.p.

Interpellation—Débat

Consentement ayant été accordé de passer aux autres affaires, interpellations, article no 17 :

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, attirant l’attention du Sénat sur la vie de feu l’honorable Ian Shugart, c.p.

L’honorable Peter Harder : Merci, chers collègues. L’heure est tardive, mais le moment est venu.

Nous avons passé quelques semaines à pleurer la disparition de notre cher ami et collègue, le sénateur Ian Shugart. Nous nous souvenons d’Ian pour sa gentillesse, son dévouement au service public, sa foi profonde et son amour de la famille. C’était son essence même.

Quelques-uns d’entre nous, moi y compris, ont eu le privilège de s’entretenir avec lui dans les semaines qui ont précédé sa mort, et nous avons pu lui faire part personnellement de certains de ces sentiments. Au cours de ces conversations, Ian nous a transmis en retour beaucoup de sagesse, et il espérait pouvoir vous en faire bénéficier aussi.

À l’origine, c’est Ian qui devait prononcer ce discours, mais il est apparu que sa santé déclinante ne lui permettrait pas de le faire. Il m’a demandé de le lire pour lui. Hélas, le sénateur Shugart est décédé avant que nous ayons pu achever la version définitive.

(2130)

Il est toujours risqué d’essayer de traduire dans ses propres mots les réflexions d’un autre. Il suffit de demander à tous ceux qui ont tenté de rédiger un discours pour le sénateur Shugart. Il y avait souvent peu de ressemblance entre les discours prononcés par Ian et les mots inscrits sur la feuille qu’il avait sous ses yeux. Même si son style était simple et direct, il s’exprimait d’une manière originale et pittoresque qui représentait bien l’homme qu’il était.

Maintenant que je vous ai mis en garde, je vais tâcher d’exprimer quelques-unes des dernières pensées de notre défunt collègue afin qu’elles soient inscrites au compte rendu. Avant son décès, Ian et moi avons beaucoup discuté et il m’a expliqué qu’il était convaincu que l’environnement politique actuel allait déboucher sur un moment charnière de notre histoire. Il voyait deux éventualités : soit nous allons succomber à la vague de polarisation qui a frappé un très grand nombre de pays dans le monde — ce qui, dans certains cas, a rendu le pays pratiquement ingouvernable —, soit nous trouverons un moyen de canaliser nos efforts vers des solutions d’avenir, ce qui pourrait faire du Canada un modèle dans un monde démocratique assiégé.

Les sénateurs se souviendront, car on en a même parlé cette semaine, que le sénateur Shugart a exhorté les membres de cette institution à faire preuve de retenue lorsqu’ils examinent les projets de loi provenant de l’autre endroit. Si nous allons trop loin en modifiant le projet de loi ou si nous le rejetons, nous risquons de mettre le Sénat en porte-à-faux avec les députés et, par le fait même, avec les citoyens qui les ont élus. Comme nous en avons discuté au cours de l’été, le sénateur Shugart voulait parler davantage de ce thème afin qu’il englobe tous ceux qui ont un rôle à jouer dans l’édification de notre pays — les gouvernements, mais également l’industrie, les membres de la société civile, les éducateurs et les électeurs eux-mêmes.

Lorsque l’intransigeance et les conflits sont à l’ordre du jour, le sénateur Shugart estimait que nous risquions de ne pas être en mesure de contrer efficacement les menaces contemporaines et existentielles qui pèsent sur la société. Si nous ne faisions aucun compromis, nous laisserions les solutions possibles avorter. Ian n’avait pas tendance à exagérer. Il gardait la tête froide et, malgré tout, il voyait autour de lui des preuves d’intransigeance, d’isolationnisme et de lignes dures qui rendaient presque impossibles les résolutions.

Il était préoccupé, par exemple, au sujet des États-Unis. La communauté internationale espérait que ceux-ci montrent l’exemple relativement à la guerre entre Israël et le Hamas, mais hélas, la Chambre des représentants était sans dirigeant et à la dérive parce qu’elle n’arrivait pas à s’entendre sur qui devrait la diriger. Ian aurait fait remarquer que les Américains, dont le pays se proclame, avec raison, le berceau de la démocratie moderne, ne semblent pas pouvoir trouver de terrain d’entente dans des dossiers tels que l’immigration, le contrôle des armes à feu ou l’avortement. Il voyait que les attitudes étaient dangereusement immuables, ce qui mène à des insultes, à des mauvais traitements, voire à de la violence.

Ces forces clivantes n’ont toujours pas créé de tel environnement au Canada, mais les fossés se creusent dans notre dialogue national, et la colère s’accumule ici aussi, comme en témoignent les injures lancées au premier ministre, dont les discours doivent parfois être annulés pour des raisons de sécurité. La même chose se produit dans les établissements d’enseignement supérieur, où l’on donne l’impression à des conférenciers qu’ils ne sont pas les bienvenus en raison du sujet de leur allocution.

Les partisans de la gauche se font qualifier de « gang woke » et ceux de la droite, de « rustres cupides » qui ne se soucient aucunement de l’environnement. Or, Ian était un homme axé sur les solutions, et il voulait que ce discours donne des exemples de la façon dont le Canada a surmonté les différences politiques par le passé.

Il a mentionné, par exemple, la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent, qui fait partie intégrante du bien-être économique du Canada et traite plus de 40 à 50 millions de tonnes de marchandises par an. Peu d’entre nous sont assez vieux pour s’en souvenir, mais l’idée de la voie maritime était loin de faire l’unanimité lorsqu’elle a été proposée pour la première fois. En effet, les gouvernements de l’Ontario et du Québec se sont opposés au projet à divers stades du processus, de même qu’un certain nombre d’associations ferroviaires et exploitants de ports du Canada atlantique. Toutefois, en 1945, les arguments en faveur de la prospérité de la voie maritime gagnent du terrain, au point que les Canadiens proposent de construire le projet même si les États-Unis n’y contribuent pas. Cette idée déclenche une nouvelle vague de soutien au Canada, et les États-Unis finissent par se joindre au projet. Au total, 22 000 personnes ont été employées pour construire la voie maritime, qui a été décrite comme une superautoroute de 3 700 kilomètres de long pour les cargos océaniques. Un projet tel que la voie maritime pourrait-il faire l’objet d’un accord aujourd’hui, compte tenu des batailles intergouvernementales sur les oléoducs, les barrages et d’autres projets intergouvernementaux? La question mérite d’être posée.

Plus récemment, l’ancien premier ministre Paul Martin et les dirigeants provinciaux et territoriaux du Canada ont signé un accord décennal de 41,3 milliards de dollars pour renforcer le système de soins de santé. L’accord de 2003 prévoyait de réduire les délais d’attente pour les chirurgies, d’améliorer l’accès aux soins primaires et aux soins à domicile et de créer une stratégie de gestion des ressources humaines en santé. En contrepartie de la contribution fédérale, les provinces ont accepté d’établir un délai fixe dans lequel certaines chirurgies doivent être faites.

Les objectifs nationaux étaient et sont toujours des questions hautement politisées pour les gouvernements. Lorsque le gouvernement ne réussit pas à les atteindre, il risque de perdre l’appui populaire. En tant que sous-ministre adjoint à Santé Canada à l’époque, le sénateur Shugart a sûrement pu constater directement ces risques et apprécier les sacrifices faits par les deux camps pour parvenir à ce compromis. Il comprenait également sans doute que certains estimaient que l’accord allait trop loin, tandis que d’autres auraient souhaité voir plus de conditions rattachées à l’argent. Mais c’est justement la beauté de la chose. On est parvenu à un accord malgré ces réserves. Nous n’avons pas laissé le mieux être l’ennemi du bien, du moins pas dans ce cas.

Un tel accord serait-il possible en 2023? Alors que le Canada et le monde sont aux prises avec des défis tels que les changements climatiques, les changements démographiques et les menaces envers la démocratie, il convient que nous nous demandions si nous avons ce qu’il faut pour forger des compromis et trouver des solutions à ces défis.

Par exemple, comment les Canadiens réagiront-ils si l’Alberta va de l’avant avec son projet de se retirer du Régime de pensions du Canada? Les tensions régionales feront-elles en sorte qu’il sera impossible pour les futurs gouvernements nationaux de trouver des mesures pour lutter contre les changements climatiques? Et que dire du recours à la disposition de dérogation? Connaîtrons-nous un avenir où l’on invoque fréquemment la disposition pour supplanter les protections garanties par la Charte canadienne des droits et libertés afin qu’un parti politique ou un autre puisse gagner la faveur d’une partie de l’électorat?

Les mots d’ordre qui ont guidé la carrière d’Ian dans la fonction publique étaient « jugement », « compromis » et « inclusivité ». Dans un pays aussi vaste et diversifié que le nôtre, de quels autres mots disposons-nous si nous voulons faire avancer les choses? Ian aurait su que notre pays est trop grand et notre population, trop variée, pour que chacun obtienne ce qu’il veut.

Ian ne me l’a pas dit directement, mais je sais qu’il pensait que le rôle des législateurs est de transformer des points de vue et des désirs disparates en quelque chose de cohérent qui profite à l’ensemble. L’autre option consiste à favoriser un segment étroit de la société qui pourrait permettre à un parti d’obtenir assez de sièges pour gouverner, mais qui ne refléterait pas les désirs et les besoins des autres segments.

Mon ami lord Hennessy, le célèbre historien anglais, a écrit : « Notre système se fonde sur les convenances. Sans elles, il cesserait d’exister. » Honorables sénateurs, ces mots méritent réflexion. Lors de l’une de nos dernières conversations, le sénateur Shugart a mentionné qu’il souhaitait lancer un dernier appel à la civilité aux candidats qui se présenteront aux prochaines élections.

Ian ne faisait pas preuve d’un optimisme béat. Après tout, il avait déjà travaillé comme adjoint politique. Les campagnes électorales sont énergiques, bruyantes et parfois houleuses. C’est normal. Convaincre les électeurs qu’on a les meilleures idées nécessite souvent un débat bruyant et enthousiaste au cours duquel il faut montrer aux gens que l’on a des convictions. Les élections sont également l’une des rares occasions où on peut se faire écouter par de nombreux Canadiens. C’est un moment où les idées doivent être bien exprimées, disséquées et évaluées. Plus nous perdons de temps dans les débats avec des injures, des demi-vérités et de la diffamation, moins nous avons de temps pour parler de sujets plus importants. En outre, avec la diminution du nombre de médias traditionnels pour couvrir le débat et l’augmentation du nombre d’acteurs qui veulent le manipuler, il est devenu essentiel pour les politiciens d’agir avec sincérité et civilité. Ne pas le faire flouerait les Canadiens qui méritent un débat aussi honnête et éclairé que possible.

J’aimerais conclure en disant que Ian croyait que servir au Sénat était un privilège. Il fondait de grands espoirs dans une manière plus indépendante et moins partisane de faire les choses, ainsi que dans le fait que nous puissions servir d’exemple à d’autres. En ce qui me concerne, je vais tenter de rendre hommage à sa mémoire en poursuivant ces objectifs et, grâce à votre aide, je crois que nous pourrons rendre le Sénat meilleur en hommage à la mémoire de Ian. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(À 21 h 40, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 28 novembre 2023, à 14 heures.)

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